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Retraites : un quinquennat perdu et 35 milliards de dette accumulés

Lors de son allocution du 12 juillet dernier, Emmanuel Macron a mis un terme aux spéculations sur une éventuelle reprise de la réforme des retraites à l'automne. Le dossier est clos et le Président de la République ne sera pas parvenu à mettre en œuvre ce qui était présenté comme la grande réforme de son quinquennat. Un échec et 5 ans perdus alors que la crise sanitaire a conduit notre système de retraites à accumuler 18 milliards d'euros de déficit. Une réforme qui reste indispensable et qui doit avant tout passer par un report de l'âge légal, partout plus élevé en Europe.

"J'ai entendu les débats sur le moment : faut-il faire cette réforme dès ce mois de juillet, à la rentrée ou bien plus tard ? je ne lancerai pas cette réforme tant que l'épidémie ne sera pas sous contrôle et la reprise bien assurée"Lire l'intégralité du discours sur le site de l'Elysée https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/07/12/adresse-aux-francais-12-juillet-2021. En quelques mots, le Président de la République dans son discours du 12 juillet dernier a tiré un trait sur ce qui devait être la mère des réformes, régulièrement repoussée depuis 2017.

Emmanuel Macron achève son quinquennat sans réforme

Tous les présidents depuis François Mitterrand avaient pourtant mis en œuvre des mesures de durcissement des conditions de pensions pour tenir l'équilibre des régimes des retraites.

  • Après avoir mis en place la retraite à 60 ans en 1982, c'est dès le second septennat de François Mitterrand, mais sous la cohabitation, qu'Edouard Balladur introduit la première grande réforme visant le rétablissement des comptes du régime général (1993) avec le passage des 10 aux 25 meilleures années, l'indexation sur les prix des droits acquis et des pensions ;
  • 1995 : Jacques Chirac et son Premier Ministre Alain Juppé échouent à mettre en œuvre la même réforme aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux. Néanmoins, le Fonds de réserve des retraites est créé en 1997 sous la cohabitation (Lionel Jospin) ;
  • Mais c'est sous le second mandat de Jacques Chirac que sera mis en place le plan Fillon (2003) sur les retraites qui permet un rééquilibrage du système, grâce à un allongement de la durée de cotisation soit 40 ans en 2008 pour les fonctionnaires alignés sur le régime général ; 
  • En 2007, Nicolas Sarkozy étend ces dispositions aux régimes spéciaux et en 2010 après la crise financière, fait voter avec Éric Woerth une nouvelle réforme qui porte de 60 à 62 l'âge légal ;
  • Même si François Hollande en 2012 étend les possibilités dérogatoires de départ à 60 ans il fera quand même voter sous la houlette de Jean-Marc Ayrault et Marisol Touraine l'allongement de la durée de cotisation à 43 annuités (2014).

Même si chacune de ces réformes a été matinée de dispositions plus avantageuses (carrières longues, compte pénibilité, minimum de retraite, droit à l'information, élargissement des dispositifs de retraite supplémentaires) elles ont toutes été marquées par un sens des responsabilités face aux déficits attendus compte tenu du vieillissement de la population.

Il faudra travailler plus longtemps, un discours de vérité qui nécessitera beaucoup de pédagogie après avoir été occulté pendant 5 ans

Lorsqu'en 2017, Emmanuel Macron arrive au pouvoir, il promet de mettre fin aux injustices en matière de retraite en proposant une grande réforme systémique mais précise qu'il ne touchera pas à l'âge de départ en retraite. "Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier. Les travaux du Conseil d’Orientation des Retraites, qui font référence, le montrent"Le site du projet présidentiel https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/retraites. Sauf que les perspectives financières se sont à nouveau dégradées et ce, bien avant la crise sanitaire. Dès l'été 2017, les nouvelles perspectives du COR montrent que, quel que soit le scénario, le système se situerait à 10 milliards de déficit à l’horizon 2022, 14 milliards en 2025. Après un long processus de concertation, c'est la crise sanitaire qui met en pause la réforme voulue par le Président en même temps qu'elle précipite un peu plus les comptes dans le rouge (18 milliards de déficit au dernier comptage pour 2020). Même si le COR entrevoit un rétablissement des comptes à long terme, il faut rappeler que c'est au prix d'une chute des pensions (en termes relatifs) par rapport au revenu moyen. Une situation qui n'est pas nouvelle et qui est loin d'être satisfaisante : la grogne s'exprimait déjà sur les ronds-points tenus par les gilets jaunes.

D’ailleurs on notera que dans son discours de lundi dernier Emmanuel Macron parle de travailler plus longtemps et de partir à la retraite plus tard. Un travail de pédagogie d'autant plus important que selon un sondage Elabe pour « Les Echos », une écrasante majorité de Français refuse que l'âge de départ à la retraite passe de 62 à 64 ans. Ils sont même 32% à penser qu'il faudrait l'abaisser, un pourcentage en hausse par rapport à une précédente enquête de 2019Retraites : seuls 20 % des Français sont disposés à une hausse de l'âge légal, Les Echos 8 juilet 2021 https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-exclusif-retraites-seuls-20-des-francais-sont-disposes-a-une-hausse-de-lage-legal-1330807.

Pourtant lors de la précédente présidentielle nous avions déjà estimé que le coût total (plus de retraités et moins de cotisants) d'un retour à la retraite à 60 ans se situe entre 20,3 et 40,7 milliards d’euros par an. Aujourd'hui certaines enquêtes d'opinion évoquent même un âge idéal de la retraite à 58 ans pour les Français interrogésRetraite : les Français veulent partir à 58 ans, Les Echos, 3 juillet https://www.lesechos.fr/patrimoine/retraite/retraite-les-francais-veulent-partir-a-58-ans-1329318. Une telle mesure représenterait un coût annuel de l'ordre de 38 milliards € auquel s'ajoute le déficit de 18 milliards actuel du système de retraite soit un coût global de 50 milliards d'eurosOn peut estimer la dépense annuelle supplémentaire de retraite à 46,3 Mds pour un décalage de 4 ans en moins. En plus, il faut compter les cotisations retraites perdues : 29 Mds. Au total, cela donne 75,4 Mds mais on a tendance à diviser par deux les résultats parce que certains feront toujours d'autres choix (manque de trimestres, intérêt du job, manque de ressources). Cela représente encore 37,7 Mds par an. Un chiffre qui peut être un peu revu à la baisse en tenant compte de l'effet indirect sur l'Unedic. Si on retient en effet qu'un senior sur 2 est au chômage au moment de son départ en retraite, cela représente certes une économie sur les dépenses mais en contrepartie, ce sont aussi des cotisations en moins pour l'UNEDIC. Donc un coût annuel de l'ordre de 32 milliards d'euros auquel s'ajoute le déficit de 18 milliards actuel du système de retraite soit un coût global de 50 milliards d'euros.. C'est dire si la pédagogie est importante et pose la question des outils actuels (rapports du COR, rapport du CSR – comité de suivi des retraites, débat au Parlement, négociation avec les partenaires sociaux) pour prendre la mesure des enjeux.

La suppression des régimes spéciaux pour les nouveaux entrants ne suffira pas

Autre élément du discours du Président de la République : supprimer les régimes spéciaux mais uniquement pour les nouveaux entrants. Les débats de 2019 sur la réforme des retraites ont montré que le système est trop complexe pour passer en une fois au régime universel et inconnu promis par le candidat Emmanuel Macron. Le projet de régime unique était sans doute séduisant pour ne stigmatiser aucun mais il a suscité beaucoup d'incompréhension et de rejet. Notamment de la part des indépendants qui ne comprenaient pas d'être soumis à une révolution eux qui avaient fait des efforts pour tenir leur régime à l'équilibre et même dégager des réserves.

Une réforme appliquée aux seuls nouveaux entrants signifie que l’ancien système devrait continuer à être géré jusqu’au dernier survivant (droit direct et réversion), soit plus de 70 ans pour effectuer une transition complète.

La réforme de 2019 avait d'ores et déjà convenu d'appliquer cette méthode dite du grand père à toutes les professions du secteur public. Si cette proposition a pour avantage d'avoir déjà été appliquée (La Poste, France Telecom, Banques, etc.) et d'être simple à mettre en œuvre, elle serait aussi appréciée des partenaires sociaux et des responsables des caisses de retraite qui redoutent un big bang avec la création d'une caisse unique, autant pour des raisons de sécurité informatique des droits à instruire que pour la préservation de l'emploi et la paix sociale au sein de leurs caisses.

Mais soyons clairs : cette réforme ne procurera pas suffisamment d'économies et nécessite d'autant plus des mesures d'âge pour rétablir l'équilibre de notre système de retraite. Elle implique également de s'attaquer à tous les régimes spéciaux et en particulier au premier d'entre eux celui des fonctionnaires d'Etat, des collectivités locales et hospitalières.

Dans une étude parue en 2018, nous avions réalisé une simulation de l'application des règles de liquidation du secteur privé sur un échantillon robuste de carrières de la fonction publique d'Etat, en faisant le choix de ne pas prendre en compte les primes dans le calcul de la retraite. Le résultat était sans appel : la pension moyenne calculée selon les règles du privé serait inférieure de 21 % à celle obtenue avec le régime de la fonction publique. Un changement appliqué aux nouveaux retraités de la fonction publique (sans attendre les générations de nouveaux entrants, mais bien en commençant à mettre en œuvre cette disposition à court moyen terme) serait un signe d'équité et contribuerait à réduire les injustices entre de nombreuses règles qui divisent public et privé (majorations pour enfants, réversion, catégories actives, surcote, etc.) En appliquant ces règles aux 150 000 départs annuels dans la fonction publique (retraités de droit direct et de droit dérivé, pour les 3 fonctions publiques), on peut envisager environ 600 M€ d'économies, un chiffre qu'il faudrait majorer de 50% sans doute en revoyant un certain nombre de règles avantageuses pour la fonction publique. Un effort substantiel mais qui de toute façon doit s'accompagner de mesures d'âge qui profiteront à tout notre systèm social.

Quoi qu'il en soit, la réforme des retraites devra être la réforme n°1 de 2022. Le diagnostic est connu et les pistes sont claires. L'inaction nous aura conduit à avoir accumulé 35 milliards d'€ de dette supplémentaire pour nos régimes de retraitre enrte 2018 et 2022. Même si le Président a déclaré demander à Jean Castex de travailler avec les partenaires sociaux à la rentrée sur le sujet, ce qu'il faut maintenant, c'est agir.