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Vieillissement et retraite : la Cour des comptes ne veut pas (trop) se mouiller

Le rapport de la Cour des comptes intitulé Démographie et finances publiques laisse un peu sur sa faim. Si tous les effets du vieillissement de la population et de la diminution de la population active sur l’équilibre des comptes publics sont abordés, la Cour ne tire pas de recommandations. Au contraire, sa conclusion est très prudente : « la Cour n’a pas entendu formuler de recommandations immédiates aux pouvoirs publics » ; « les grandes questions et options identifiées pour affronter ces défis, qui relèvent pour l’essentiel de choix politiques et sociaux qu’il appartient aux responsables politiques de formaliser puis d’arbitrer ». Pourtant ce débat est d’une actualité brulante à l’heure où le Parlement doit voter le PLFSS, dont l’une des mesures phares est la suspension de la réforme des retraites. Tout au long du rapport, la Cour dit bien que les réformes successives des retraites ont eu et vont avoir des effets bénéfiques sur l’équilibre des finances publiques, mais une prise de position plus vigoureuse sur le sujet aurait été bienvenue. Au lieu de dire qu'il faut "repenser la tranche d'âge 60-70 ans comme une décennie où l'activité professionnelle devra continuer à prendre une place croissante pour ceux qui le pourront", elle aurait pu trancher "il faut repousser l'âge de départ à la retraite"...

La première partie de l’ouvrage revient sur des éléments maintenant bien connus, à la fois d’allongement de l’espérance de vie et de la position favorable de la France au regard des autres pays européens. C’est en particulier vrai si on considère l’espérance de vie en bonne santé.

La Cour examine aussi la chute de la natalité, avec le fléchissement récent de l’indicateur de fécondité à 1,62 enfant par femme en 2024, ce qui place la France sous le seuil de renouvellement des générations. Ainsi la population française devrait-elle plafonner à 68 millions d’habitants en 2070 (plus ou moins la population actuelle) après un pic à 70 millions d’habitants en 2040. Mais la structure de la population ne serait plus la même avec une augmentation significative de la part des 65 ans et +.

Au total la France verrait son ratio de dépendance aux personnes âgées augmenter sensiblement dans les prochaines années, plaçant notre pays au même niveau que l’Allemagne, mais dans une situation moins difficile que les pays du Sud ou de l’Est (Italie, Espagne, Pologne). En revanche, elle verrait sa population active diminuer très régulièrement, passant de 38 à 34 millions de personnes.

La Cour en vient ensuite à l’impact sur les finances publiques :

  • En ce qui concerne la croissance, la Cour rappelle cette formule simple :

Ainsi, le vieillissement entraîne une diminution de la population en âge de travailler, qui peut être compensée à la fois par une hausse de la productivité et par une hausse du taux d’emploi. 

En ce qui concerne la productivité, les effets du vieillissement sont mitigés : ils peuvent encourager des investissements technologiques, comme le montrent les cas de l’Allemagne ou du Japon. Ces pays frappés par un vieillissement de la population accéléré se distinguent par leur degré de robotisation : respectivement 419 et 429 robots pour 10 000 employés dans l’industrie manufacturière en 2023, contre 186 en France. En ce qui concerne la population au travail, les études suggèrent que la productivité décline avec l’âge à partir de 40-45 ans. Cependant, dans le cas de la France, la productivité tendrait à se stabiliser. Encore faudrait-il, pour enrayer ce phénomène, accentuer l’effort de formation en direction des seniors, qui sont la catégorie d’actifs les moins susceptibles d’en bénéficier.

  • Recettes publiques :

Si le lien entre nombre d’habitants et recettes publiques est assez intuitif, la structure de la population influence la structure des recettes publiques : 

Ainsi, le vieillissement et ses conséquences sur les dépenses de protection sociale, s’il est financé par des cotisations sociales, risquent de peser de plus en plus fortement sur le coût du travail et la compétitivité. Si on ajoute à cela le fait qu’une société vieillissante entraîne une augmentation des emplois de services avec des salaires plus faibles, cette hausse du poids des cotisations sociales risque d’être d’autant plus difficile à financer et peser sur les chances de réindustrialisation.

On peut cependant lire dans le rapport que les transferts intergénérationnels liés au financement de la protection sociale tendent à se rééquilibrer : tandis que la dépense par personne de protection sociale des plus de 60 ans progressait moins vite que la richesse nationale, leur contribution au financement de la protection sociale a augmenté. Un rééquilibrage nous dit la Cour qui s’explique d’un côté par la montée des impôts sociaux, notamment de la contribution sociale généralisée (CSG) à partir des années 1990, et de l’autre, par les politiques d’exonérations de cotisations sur les bas salaires dans les années 2000, qui ont allégé le poids des cotisations sociales des salariés. La Cour dit aussi que cela s’explique par la montée du taux d’emploi des 60 ans et plus, notamment sous l’effet des réformes des retraites.

Même si le vieillissement devrait accroître d’autres recettes : successions, taxation de la consommation et de l’épargne, la réduction de la population active qui va s’opérer avec le vieillissement devrait malgré tout se traduire par un décrochage des recettes publiques par rapport aux dépenses. 

  • Dépenses publiques

Il existe différentes façons d’approcher le poids du vieillissement sur les dépenses publiques, essentiellement à partir de la classification COFOG qui permet de classer les dépenses publiques par nature et de les attribuer à telle ou telle classe d’âge. La Cour donne différents calculs : ainsi, entre 1998 et 2023, les dépenses sensibles au vieillissement représentent une part élevée (plus de 40 % des dépenses publiques) et croissante (+ 11 %), notamment sous le poids des dépenses de retraites, premier poste de dépenses de la protection sociale.

La Cour propose aussi un autre calcul : par tête et en le rapportant au PIB par habitant, pour tenir compte de l’effet richesse du pays.

On voit qu’en 2023, la population de moins de 20 ans reçoit une part de la dépense publique légèrement supérieure à celle de la moyenne de la population, mais la population de plus de 65 ans reçoit elle le double de la moyenne, soit 118 % du PIB par habitant. La dépense publique par tête pour les plus de 65 ans est passée de 135,5 % du PIB par habitant en 1998 à 118,0% en 2023 (soit une baisse de 12,9 %). Ces chiffres montrent que l’augmentation des dépenses publiques liées au vieillissement au niveau macro ne se ressent pas au niveau individuel. 

Toutefois la poursuite du vieillissement de la population entraînera une dérive de plus en plus forte des dépenses publiques, qui pourraient atteindre 60,8 % du PIB. Pour que les dépenses publiques soient contenues, une correction devrait être de plus en plus vigoureuse : la dépense publique par tête et par an devrait être réduite de - 1,7 % en 2030, - 3,3 % en 2040, - 4,8 % en 2050 et - 5,1% en 2060 puis de - 6,1 % en 2070. Là encore, la Cour dit que ces chiffres n’intègrent pas les effets à venir des réformes des retraites.

Dans le détail, ce sont essentiellement les dépenses de retraites et de santé qui expliquent cette dérive. Mais la Cour regrette que, à l’inverse des travaux du conseil d’orientation des retraites (COR), le suivi des effets du vieillissement sur les dépenses de santé et d’autonomie apparaisse nettement plus flou ; « une appréhension lacunaire » dit même la Cour.

Elle cite différentes études qui se complètent : si le vieillissement explique bien la montée des dépenses de santé selon France Stratégie, selon une autre étude de la DREES, seulement un quart de leur progression s’explique par le vieillissement. L’augmentation de la population en explique un autre quart. Le vieillissement a un impact sur la consommation de soins d’auxiliaires médicaux, sur les transports et sur les soins hospitaliers. La moitié de la croissance des dépenses de santé ne s’explique donc pas par des facteurs démographiques, mais par d’autres facteurs : l’innovation thérapeutique au sens large, un effet générationnel (à âge et état de santé donnés, une génération pourrait consommer plus de soins), l’état de santé moyen à âge donné. Ces travaux sont cependant restés ponctuels, déplore la Cour. 

Ce n’est pas le cas au niveau européen, où la Commission européenne publie tous les 3 ans un rapport très complet sur les effets du vieillissement sur les dépenses de pensions, soins de santé, soins de long terme et éducation (ageing report). Ce rapport analyse les impacts économiques et budgétaires des changements démographiques, et notamment du vieillissement de la population. La Cour se livre à un exercice de recherche lexicale pour constater qu’en France, le vieillissement est complètement absent des discussions budgétaires.

Les trois questions que pose le vieillissement pour l’avenir 

La première question que pose la Cour est  : comment faire face à la baisse de la population active, alors que celle-ci va connaître une contraction d’environ 10%, sauf flux migratoires massifs (dont les effets sont là aussi partagés) ?

Bonne question, à laquelle la Cour fait une réponse assez verbeuse. « Cette contraction exercera, toutes choses égales par ailleurs, une pression sur le potentiel de croissance de l’économie, sur le niveau des recettes des finances publiques et sur le devenir de la protection sociale. Les effets structurels de cette pression accrue pourraient toutefois être infléchis, ou au moins atténués, par différents leviers à la main des pouvoirs publics et des partenaires sociaux. Ces leviers, de différentes natures et d’efficacités comparées variables, sont susceptibles d’être mobilisés à des degrés divers d’intensité, en fonction des choix politiques retenus. Non exclusifs les uns des autres, ils pourront en outre être conjugués pour esquisser une réponse combinée aux défis posés par la contraction de la population en âge de travailler ». Certes la Cour évoque les réformes des retraites mises en œuvre depuis une trentaine d’années, qui ont eu pour effet d’améliorer le taux d’emploi des seniors, mais pourquoi ne dit-elle pas la nécessité absolue de maintenir la réforme des retraites de 2023 ? Et que d’autres réformes à venir seront nécessaires ? 

Elle aborde d’autres causes, comme le plus faible taux d’emploi des jeunes, qu’il faudrait améliorer en prévenant l’échec en premier cycle universitaire. Ou les NEET, ces jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation. Selon l’Insee, ces derniers représentaient 1,4 million de personnes en 2021, dont la moitié ne souhaiterait pas travailler et les trois quarts déclarent ne pas rechercher un emploi. Elle parle aussi du déficit de compétences, mobilité et formation qui conduit à la persistance d’un chômage structurel et durable pour certains publics.

La Cour parle aussi de la productivité et du niveau de qualification des actifs qui doivent être préservés, mais qui sont dépendants des dépenses publiques dans l’éducation, l’enseignement supérieur et la formation tout au long de la vie. Ils résultent également des investissements consentis par les pouvoirs publics dans le numérique et la recherche. Mais la Cour ne dit pas mot de l’efficacité de ces dépenses : c’est en particulier vrai de l’éducation dont les classements PISA reflètent un décrochage depuis plusieurs années, ou bien de la formation professionnelle dont les résultats ne sont pas à la hauteur des montants investis.

En revanche la Cour pose la question de l’efficacité des dépenses de santé : « Dans les années à venir, les contraintes démographiques et financières auxquelles sont soumises les dépenses de santé poseront en effet immanquablement la question d’une plus grande efficience de la dépense ». Et elle appelle d’ores et déjà à réfléchir aux conséquences de l’entrée dans la dépendance des générations nombreuses nées dans les deux décennies après-guerre, dont les effets se manifesteront dès la seconde moitié des années 2020. 

Le 2e thème que retient la Cour dans sa conclusion, c’est le financement de la protection sociale : continuer à faire reposer le financement sur le travail paraît improbable sans entamer le potentiel de croissance de la France. La 2e voie serait de continuer à diversifier les ressources de financement de la protection sociale, et de citer l’accroissement de la taxation sociale des revenus, par exemple au travers d’un renchérissement de la contribution sociale généralisée (CSG), ou par une augmentation de la fiscalité assise sur la consommation au bénéfice de la sphère sociale (taxe sur la valeur ajoutée, taxe sur les énergies fossiles importées ou taxes comportementales), ou encore par la création d’un nouvel impôt social ad hoc. Il aurait également l’avantage, s’il était bien conçu, de faire contribuer davantage les inactifs, qui en sont les principaux bénéficiaires, au financement du système de protection sociale. Une troisième voie viserait, non pas la solidarité intergénérationnelle, mais la solidarité intragénérationnelle en renforçant la contribution à la protection sociale des plus âgés les plus aisés. Ces pistes sont laissées en suspens alors qu’elles soulèvent de très nombreuses questions : rupture du lien contributif pour les retraites, etc. 

Le dernier thème est celui de la chute de la natalité : la Cour est assez pessimiste, estimant que même si des marges de manœuvre existent, les effets des politiques natalistes étant tellement longs à se matérialiser, la fenêtre d’opportunité démographique se referme progressivement pour la France.

Conclusion 

Comme nous l’avons dit, la Cour s’abstient de toute recommandation précise, estimant que les décisions à prendre relèvent de choix politiques et sociaux qu’il appartient aux responsables politiques de formaliser puis d’arbitrer. Tout juste redit-elle que « l'âge de bascule entre travail et retraite exerce, au moins autant que le niveau des pensions, une influence décisive sur l'équilibre des finances publiques. Un départ en retraite plus tardif représente en effet à la fois des recettes publiques supplémentaires et des dépenses évitées ». On notera cependant une proposition intéressante : repenser la tranche d'âge 60-70 ans comme une décennie où l'activité professionnelle devra continuer à prendre une place croissante pour ceux qui le pourront. Pour préparer et conduire une telle évolution, la Cour propose une adaptation progressive des représentations statistiques et budgétaires, afin qu'elles correspondent aux nouvelles réalités démographiques. Dans un premier temps, les 60-65 ans pourraient être distingués comme une catégorie intermédiaire ; puis la tranche des 60-70 ans considérée au sein de la population en âge de travailler.