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Pourquoi réformer les retraites, en temps de crise, est une bonne idée

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a rappelé l'enjeu et l'exigence en matière de retraites : dans son rapport annuel, il indique que les dépenses de retraites ont clairement dévié en 2020 et que le retour à la normale sera long. Dans une note précédente, nous avons fait le point sur les solutions qui s'offrent au gouvernement : baisser les pensions ou remonter l'âge légal. Le gouvernement reste très prudent : pas question de relancer la réforme des retraites en pleine crise sanitaire. Pourtant, relever l'âge légal ne serait pas une si mauvaise solution. Les effets positifs pourraient l'emporter. Mais cela implique de se mettre au travail sur de nombreux sujets pour favoriser l'emploi des seniors : la remise à plat des dispositifs carrière longue et catégorie active qui découragent les salariés âgés de poursuivre leur activité, la prévention de l'état de santé des salariés seniors en améliorant la formation, lutter contre le chômage des seniors en améliorant l'accompagnement par Pôle emploi ou tout autre prestataire compétent sur ces sujets, favoriser le cumul emploi retraite et la possibilité de créer des droits supplémentaires à la retraite pour ceux qui y ont recours.

Reporter l'âge légal a un impact financier considérable

La preuve avec le relèvement de 60 à 62 ans de l’âge légal décidé en 2010. Selon une étude de la DREES de 2016[1], le solde financier (hors régimes spéciaux et régimes de la fonction publique) se sera amélioré de presque 0,6 point de PIB soit 16 milliards d’euros en 2025 grâce à cette mesure. D'autres études économiques sont venues confirmer l'impact sur la richesse nationale, notamment la DG Trésor dans une étude reprise par le Cor.

Reculer l'âge de la retraite améliore l'employabilité des seniors

Avec le recul de l'âge légal mis en place en 2010, le taux d'activité des seniors s'est redressé : Le taux d'activité 55 à 64 ans a progressé de 15 pts entre 1995 et 2016, essentiellement après la réforme de 2010 repoussant l'âge légal. Le taux d'emploi a également progressé, certes dans des proportions plus limitées : 50% en 2010 et 61,5% en 2017.

Néanmoins, la barre des 60 ans reste un seuil important en France avec un taux d'emploi moitié moins élevé pour les 60-64 ans comparé aux 55-59 ans, une différence que l'on ne retrouve pas dans la majeure partie des pays de l'UE sauf quelques exceptions (ex. pays de l'Est notamment).

Avec la réforme des retraites de 2010, on a donc redécouvert l'effet horizon, à savoir que la législation des retraites influence la situation des seniors sur le marché de l'emploi. Pour les entreprises, cela les conduit à reconsidérer leurs salariés seniors qu'elles conserveront plus longtemps. Et pour les seniors qui anticipent qu’ils devront travailler plus longtemps.

L'Insee confirme d'ailleurs que ce relèvement n'est pas seulement le fait des professions indépendantes aux règles de liquidation plus strictes ou du cumul emploi retraite qui reste peu utilisé. Avec le départ en retraite des baby-boomers, la baisse de la natalité et l’allongement de la durée d’études, la population active est en baisse et ce phénomène devrait d'ailleurs s'accentuer. Les seniors vont devoir rester plus longtemps en emploi, faute de main d'œuvre, comme actuellement pour les personnes diplômées ou qualifiées.

Alors pourquoi on hésite ?

Pour les syndicats, une telle réforme est un repoussoir :

  • CGT : une personne sur deux à 55 ans n'est plus en activité ;
  • Laurent Berger : 40% des salariés aujourd’hui, quand ils arrivent à la retraite, ne sont déjà plus au travail.

Même pour le Medef, demeure une certaine prudence : « Tout le monde sait que c’est la solution la plus efficace » déclare Geoffroy Roux de Bézieux mais pas « tant que la crise sanitaire et sociale dure ».

Une prudence qui s'explique par le marché du travail des seniors qui se caractérise par un taux de chômage certes inférieur à la moyenne nationale. En revanche, lorsqu'ils sont au chômage, les seniors ont plus de mal à retrouver du travail que les autres catégories d'actifs. La crainte est donc d'alourdir mécaniquement les comptes de l'Unedic en repoussant l'âge légal.

La hausse du chômage est pourtant transitoire

Au niveau macroéconomique, les mêmes simulations réalisées par la DG Trésor d'un report de l'âge d'ouverture des droits montrent que la réforme aurait un effet sur l’activité d’autant plus favorable à long terme que le report de l’âge d’ouverture des droits est important, et ces effets positifs se matérialiseraient d’autant plus rapidement que le rythme de montée en charge de la réforme est rapide, au prix néanmoins d’une hausse transitoire du chômage plus marquée.

La hausse de population active engendrée par le report de l’âge constitue un choc d’offre qui se traduit à long terme par un supplément de PIB et d’emploi d’ampleur équivalente à la hausse de la population active. L’effet à long terme sur l’activité serait, pour chaque année de report de l’AOD, de l’ordre de 0,7 point de PIB et près de 200 000 emplois créés.

À court-moyen terme, l’effet de la réforme est favorable à une hausse de la demande de travail de la part des entreprises liée à une modération des salaires (hausse de la population active plus rapide que celle de l'emploi qui entraîne une augmentation temporaire du chômage et donc une modération salariale). Les ménages baissent leur épargne en raison de la baisse de la durée de vie en retraite qui induit une hausse de la demande.

Le choix d’un rythme élevé de montée en charge de la réforme permet d’atteindre plus rapidement les effets positifs de long terme sur l’activité, tandis qu’un rythme lent permet au marché du travail d’absorber plus progressivement le surplus de population active, limitant ainsi l’impact transitoire de la réforme sur le taux de chômage.

Reculer l'âge de la retraite c'est aussi bon pour l'économie

Il faut tordre le cou à une vision de l'emploi des seniors assez fataliste : non, les seniors n'occupent pas des emplois normalement dévolus aux jeunes. Une vision du marché du travail par substitution entre tranche d'âge, dont l'expérience passée a d'ailleurs montré que cela ne marche pas comme ça. Ainsi en 1981, le passage à la retraite à 60 ans a été promue comme une mesure d'encouragement au travail des jeunes. Ce qui s'est révélé être un échec. Dans une étude France Stratégie de 2018, il est d'ailleurs indiqué que la littérature économique considère généralement qu’il n’existe pas de « concurrence » entre progression de l’emploi des seniors et celui des jeunes, au moins à long terme. C’est pourquoi le COR considère que "l’hypothèse d’une substitution entre emploi des seniors et emploi des jeunes est peu probable, en raison des différences de capital humain et de postes occupés".

D'un point de vue plus concret, reculer l'âge de la retraite permet de garder des expertises en pénurie actuelle : une personne aux compétences critiques qui manque peut bloquer toute une activité.

Cela permet d'envoyer un signal aux actifs qu'ils sont utiles et doivent se préparer à travailler plus longtemps. Mais pour cela, il faut poursuivre la politique de formation qui améliore le taux d'emploi des Français, alors que nous sommes très en retard par rapport aux autres pays.

Cela apporte un certain dynamisme au pays : les retraités sont particulièrement précautionneux, ils consomment moins et investissent moins[2]. Ils épargnent et surconsomment des dépenses de santé à tort ou à raison[3].

Faut-il craindre un effet de substitution ?

Les secteurs qui recrutaient le plus (avant la crise du Covid) étaient le commerce, la restauration, l'hébergement ou encore la construction, secteurs où la part des salariés seniors était faible de toute façon. Un recul de l'âge ne devrait pas bloquer les embauches. Avec la crise, difficile de savoir quels seront les secteurs qui rebondiront en premier. Dans une note réalisée avant la crise, la Dares avait tenté une prospective sur les métiers de demain. On trouve parmi les secteurs les plus prometteurs en création d'emploi : Les métiers de soins et d’aide aux personnes fragiles, les agents d’entretien, les employés de maison ou les conducteurs de véhicules, Les métiers du commerce, de l’hôtellerie et de la restauration[4]. D'autres enquêtes existent : Qapa citée par Capital indique que les métiers qui devraient recruter en 2021 sont les aides à domicile, les préparateurs de commandes, les infirmiers, … Ces métiers marqués par un fort turnover ne sont pas trop susceptibles d'être bloqués à l'embauche des jeunes.

En revanche ce sont pour les créations d'emplois dans les métiers qualifiés que ce phénomène risque de s'observer. C'est en particulier vrai dans les administrations et dans l'enseignement. C'est aussi le cas dans le secteur financier / assurance / immobilier. Et dans certains métiers de services aux entreprises. Ces métiers sont en pleine restructuration avec moins d'embauches que de départs à la retraite. Par ailleurs, ces métiers sont systématiquement écartés des politiques de soutien à l'emploi avec des niveaux salariaux se situant au-dessus des plafonds d'exonérations de charges sociales.

Les freins à l'emploi des seniors

S'il ne faut pas craindre un effet de substitution sur le marché du travail entre générations, il existe cependant des freins à l'emploi des seniors qu'il faut lever pour que le report de l'âge se révèle vraiment efficace sur les comptes des régimes de retraite et sur l'activité :

  1. Le poids des retraites anticipées : on ne peut pas tout faire pour reculer l'âge de la retraite si on élargit en même temps les dispositifs de départs anticipés

La Cour des comptes avait appelé à en "hiérarchiser" les priorités car la multiplication des dispositifs ces dernières années a eu un coût non négligeable proche des 15 milliards d'euros pour 400 000 assurés partis à la retraite dans le cadre de l’un de ces dispositifs, soit 1 retraité sur 2 en 2017.

On compte 7 dispositifs permettant de partir avant l'âge légal de 62 ans, dont 4 créés depuis 2003. Or, depuis cette date, les réformes des retraites qui se sont succédées ont visé à relever l'âge moyen de départ à la retraite mais en apportant en même temps des dispositifs compensatoires.

Le premier de ces dispositifs est le départ en retraite pour carrière longue (2003). Plus de 250 000 départs à la retraite pour carrière longue sont intervenus en 2017, soit quasiment un tiers des départs à la retraite. S'ajoutent  les catégories actives dans la fonction publique qui ont concerné 14 000 départs dans la fonction publique d'Etat (24% des départs en retraite FPE), 2 800 départs dans la territoriale (6,4%) et 14 300 départs dans la fonction publique hospitalière (56%). S'agissant du compte pénibilité, le dispositif est trop récent pour que des départs en retraite aient été effectués à ce titre.

Pour le régime du privé, il existe aussi des dispositifs d'inaptitude/invalidité : environ 95 000 assurés sont partis à la retraite en 2017 grâce à ces dispositifs. Dans un rapport de 2018 de France Stratégie, il est indiqué que le caractère plus ou moins restrictif de l’admission en invalidité selon les pays implique des transferts entre régimes d’invalidité et de retraite et que cette porosité peut fragiliser les comparaisons internationales. Toutefois, "si l’on basait les comparaisons européennes sur une catégorie agrégeant aux retraités cette dernière catégorie d’inactifs, les conclusions seraient inchangées : la France demeurerait 10 points au-dessus de la moyenne". Ce sont donc surtout les règles de départ à la retraite qui comptent.

Ce que décrit la Cour ce sont des dispositifs de plus en plus complexes, mis en place pour corriger des inégalités en termes de santé ou d'espérance de vie mais qui sont au final peu documentés. Ainsi, pour les catégories actives, l'espérance de vie à 60 ans est de 26,7 ans contre 27,6 ans pour les sédentaires sauf pour les agents en tenue.

Par ailleurs, comme le note le sénateur Savary, un quart des personnes en situation de cumul emploi retraite sont partis à la retraite avec le dispositif de la retraite anticipée pour carrière longue. La Cnav note que l’assouplissement des conditions d’accès au dispositif carrière longue a eu un effet favorable sur le cumul, ce qui est plutôt contre-intuitif.

D'où cette discussion qui pourrait s'ouvrir entre syndicats et gouvernement, à savoir remettre à plat les dispositifs, notamment carrière longue et catégories actives, contre un dispositif vraiment ciblé sur la pénibilité.

  1. L'état de santé des salariés âgés et le poids des maladies longue durée

Ce sujet fait le lien avec une autre problématique, à savoir la question de l'état de santé des salariés âgés. Avec le vieillissement de la population active, le poids des arrêts maladie va croissant. C'est ce que l'on retrouve dans les chiffres de l'assurance maladie : un rapport récent sur la maîtrise des dépenses de santé montre qu’entre 2010 et 2016, le montant indemnisé au titre des arrêts maladie a augmenté de 15 % passant de 6,2 milliards à 7,1 milliards d’euros. Par ailleurs, l’une des tendances de fond sur la période est la croissance de la place des personnes de 60 ans et plus dans les arrêts maladie. Ainsi, elles représentent 7,7 % des montants indemnisés en 2016 contre 4,6 % en 2010.

Mais ces chiffres doivent être pris avec précaution : le cabinet Ayming, spécialiste du sujet, montre bien que le taux d’absentéisme grimpe en flèche avec l’âge, passant de 2,21% pour les moins de 25 ans, 3,23% pour les 25-30 ans, 3,60% pour les 30-40 ans mais 7,11% pour les plus de 55 ans (moyenne tous âges confondus 4,72%) (voir son dernier baromètre de l’absentéisme). Mais l’absentéisme des salariés seniors est à relativiser car le présentéisme augmente aussi avec l’âge : plus dégagés d’obligations familiales, les salariés sont moins concernés par exemple par les congés enfants malades et peuvent assurer une présence au travail plus régulière.

En fait c'est l’ancienneté qui influence l’absentéisme mais cette fois-ci positivement : plus un salarié a une ancienneté élevée plus son taux d'absentéisme diminue. Mais le corollaire, comme le rappelle Malakoff-Mederic c'est que l'absentéisme des seniors coûte plus cher : « Directement indexée sur le salaire, l’indemnité d’un salarié en fin de carrière est bien plus élevée que celle d’un jeune fraîchement arrivé dans l’entreprise. » Ce coût est renforcé puisque le salaire augmente lui-même avec l’ancienneté et donc l’âge du salarié.

  1. Rémunération à l'ancienneté

C'est l'autre frein à l'emploi des seniors : les salaires qui augmentent avec l'ancienneté. Ce système salarial s'entend comme un contrat implicite entre l'entreprise et son salarié visant à garantir fidélité et implication de la part du salarié en échange de la promesse d'un salaire relativement élevé en fin de carrière. Un phénomène assez répandu en France où les grilles salariales des grandes entreprises s'inspirent en cela des pratiques de la fonction publique, où cette règle est enkystée par une autre règle toit aussi incohérente : calculer le montant des retraites sur le salaire des 6 derniers mois..

Repousser l'âge de la retraite alourdit alors l'effort financier demandé aux entreprises qui préfèrent se séparer des salariés âgés et surtout ne pas les recruter. Inversement baisser le salaire en fin de carrière peut conduire les salariés à se retirer du marché du travail.

C'est ce que met en évidence l'économiste D. Blanchet, actuel président du Comité de suivi des retraites : "On aboutit ainsi à une contradiction : le vieillissement global appelle à une augmentation de l’emploi des plus âgés, mais la relation âge/salaire prévalant actuellement s’y opposerait, et la remise en cause de cette relation est difficile". Il propose d'accroître l'effort de formation en 2e partie de carrière pour que l'offre de travail des salariés seniors soit plus en adéquation avec les attentes des entreprises et les attentes salariales. Mais il souligne surtout que cet effort est d'autant plus raisonnable que l'âge légal de départ en retraite est repoussé. Par ailleurs, le vieillissement généralisé de la population active doit théoriquement conduire à ce que l'effort de formation soit moins couteux puisque partagé entre plus d'actifs.

En pratique pourtant, on constate que le recours à la formation professionnelle décroît avec l’âge. Selon l’Insee, la part des personnes ayant suivi au moins une formation au cours des 12 derniers mois approchait en 2016 60 % pour les 25-44 ans, 50 % pour les 45-54 ans mais tombe à 35 % pour les 55-64 ans. Et ce moindre recours se vérifie aussi pour les demandeurs d'emploi selon la DARES. France stratégie relève également une inadéquation de l’offre de formation aux besoins des seniors.

  1. Les règles de l'Unédic

De son côté, le Sénat citant un rapport du Conseil d'analyse économique déplore que notre système d'assurance-chômage "continue d’alimenter un dispositif implicite de préretraite qui gonfle le nombre de chômeurs indemnisés trois années avant l’âge légal de la retraite". Les règles d'indemnisation prolongées pour les salariés âgés et les dispenses de recherche d'emploi implicites conduisent à des effets non désirés de substitution entre les régimes de retraite et les régimes du chômage. Pour les sénateurs qui se sont penchés sur ce sujet, c'est l'occasion de demander à Pôle Emploi d'accentuer son accompagnement sur les demandeurs d'emploi seniors. On pourrait aussi penser à recourir à des prestataires spécialisés sur ces publics. Il faut favoriser le cumul emploi retraite en se penchant sur toutes les conditions qui découragent les salariés et les employeurs d'y avoir recours. Cela passe en priorité par la possibilité offerte au bénéficiaire du cumul emploi-retraite d’acquérir des droits supplémentaires à la retraite en faisant en sorte que leurs cotisations soient créatrices de droits supplémentaires.


[1] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dd9.pdf

[2] https://www.cor-retraites.fr/node/524   

[3] https://www.cercledesepargnants.com/consommation-et-depenses-des-menages-retraites/#:~:text=D'une%20mani%C3%A8re%20g%C3%A9n%C3%A9rale%2C%20les,%2C%20habillement%2C%20loisirs%2C%20etc%E2%80%A6&text=En%202013%2C%20la%20DREES%20%C3%A9value,pour%20un%20m%C3%A9nage%20non%20retrait%C3%A9

[4] http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_rapport_metiers_en_2022_27042015_final.pdf