Fraude aux prestations retraite versées à l’étranger : 28% des indus de la branche vieillesse

Comme chaque année, le rapport 2025 sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale fournit des exemples de gaspillages et de mesures d’économies. Dans la branche retraite, la fraude aux retraites versées indûment à l’étranger, la Cour souligne des progrès, mais elle constate que ce sujet ne fait pas l’objet d’un suivi spécifique tant par le régime général que les retraites complémentaires. La Cour estime le risque de paiement à tort de 200 M€, dont 130 M€ pour le régime général et 70 M€ pour le régime complémentaire. Montant des indus sur les pensions de retraite versées à l’étranger : 43 M€ en 2021, soit 28 % des indus de la branche vieillesse alors que ces pensions représentent moins de 3 % des prestations et pour l’Agirc-Arrco, 21,5 M€, soit 10 % du montant total des indus. Elle recommande des améliorations de procédures que ce soit sur l’estimation, les contrôles, les échanges de données informatisées et la récupération des indus.
La Cour donne les chiffres suivants :
- Fin 2022, 1,1 million de retraités du régime général et 853 000 retraités d’une retraite complémentaire résidaient à l’étranger. Ils représentent 5,9 Mds € de retraites versées (environ 2,7% des retraites versées) en 2022 (montant moyen : 300 € par mois pour le régime de base et 193 € pour la retraite complémentaire.
- Parmi les retraités résidant à l’étranger, près de la moitié vit en Europe, en majorité au Portugal, en Espagne, en Italie et en Belgique. 40% vivent en Afrique du Nord : Algérie (31 %), Maroc (6 %) et Tunisie (3 %).
Les risques de fraude sont l’omission de déclaration de décès ou falsification des preuves d’existence, fraude à l’identification (usurpation d’identité). Enfin, il existe un risque de fraude lié au départ à l’étranger pour les bénéficiaires de l’ASPA (soumise à une condition de résidence en France).
Des fraudes persistantes malgré les progrès des contrôles
Sur le sujet, commençons par dire que la Cour constate des progrès. Les échanges de données informatisés sur les états civils entre la France et des pays européens qui étaient inexistants avant 2020 couvrent désormais (2023) près de 50 % des pensions versées à l’étranger par le régime général et 45 % de celles versées par l’Agirc-Arrco. Les certificats d’existence et leur contrôle sont mutualisés entre les régimes. Dès lors que le certificat d’existence n’est pas transmis par un pensionné, le versement de sa pension est suspendu au bout de deux mois, jusqu’à la réception des justificatifs attendus. 87,2 % des certificats d’existence ont été retournés à trois mois et 94,2 % à douze mois en 2023.
À partir de l’extrapolation des non-conformités constatées sur les certificats d’existence des pensions versées par le régime général et par l’Agirc-Arrco entre 2020 et 2023 – en excluant les retraites versées dans les pays procédant à des échanges de données informatisés – la Cour estime le risque de paiement à tort de 200 M€, dont 130 M€ pour le régime général et 70 M€ pour le régime complémentaire.
En plus des échanges de données, les contrôles, exigeant la présence physique de l’assuré, ont été renforcés. Ces contrôles sont confiés aux consulats lorsque les pays comptent peu d’assurés ou lorsque les autorités locales ne présentent pas toutes les garanties nécessaires. Ils peuvent être confiés à des partenaires locaux (caisse de retraite, établissement bancaire) lorsque les assurés à contrôler sont nombreux. Seulement la Cour souligne aussi que les contrôles ne sont pas dispensés partout avec le même niveau d’exigence : par exemple certains partenaires locaux acceptent la possibilité de se faire représenter sur présentation d’un certificat médical ou par une procuration au profit d’un tiers.
Des expérimentations de convocation des assurés ont été menées en Algérie et au Maroc entre 2020 et 2023, où en moyenne près de 40% des assurés convoqués ne se présentent pas dans les délais et voient leurs pensions suspendues. Le taux décroît ensuite pour atteindre entre 20 et 25 % d’assurés dont les versements restent suspendus. On compte parmi les assurés qui ne se sont pas présentés, des décès non signalés avant et après le contrôle sont portés à la connaissance des régimes. Ils représentent entre 3 % et 22 % de l’échantillon convoqué. Le taux le plus élevé a été observé lors d’une opération de convocation systématique de tous les assurés de plus de 85 ans menée par la Cnav au consulat de France à Alger. Sur les 588 décès constatés, la moitié était antérieure à la date de convocation de l’assuré. Le préjudice pour la Cnav a été de 1 M€. Au vu de ces chiffres, on comprend mal pourquoi les expérimentations ne font cependant pas systématiquement l’objet de suspension de versement.
Une dernière modalité consiste en des contrôles sur pièces renforcés. Depuis fin 2023, des contrôles sont menés auprès des retraités résidant en Turquie, en Algérie, au Maroc et, prochainement, en Tunisie. Ces contrôles sont effectués par des agents spécialisés dans la fraude documentaire. Et permettent là encore des taux de détection entre 2 et 5% des échantillons contrôlés.
Ce que regrette la Cour c’est que la lutte contre la fraude aux retraites versées à l’étranger ne fasse pas l’objet d’un suivi spécifique de la part des régimes de retraite (général ou caisses complémentaires). La Cour a essayé d’estimer spécifiquement la fraude en Algérie et au Maroc : elle atteint entre 40 et 80 M€ pour l’Algérie et 12 M€ pour le Maroc.
C’est sur le sujet spécifique de la fraude à l’ASPA et du non-respect des conditions de résidence en France, que la Cour estime des progrès possibles grâce aux échanges de données notamment entre les régimes vieillesse et maladie, DGFIP ou registre des Français vivant à l’étranger (même si les retraités ne sont pas forcément Français). Sur l’ASPA le contrôle devrait être régulièrement renouvelé sur le séjour en France.
À partir de 2024 et 2025, les régimes ont toutefois prévu d’intensifier leurs contrôles dans un certain nombre de pays : Algérie, Maroc, en Turquie et Tunisie. De plus, le recours à la reconnaissance faciale biométrique va commencer à être déployé.
Dernier point qui retient l’attention de la Cour : le recouvrement des indus. En 2021, ces indus s’élevaient à 43 M€, dont 1 M€ d’indus frauduleux, et représentaient 28 % des indus de la branche vieillesse alors que leur part dans les pensions versées par la branche est inférieure à 3 %. Le taux de recouvrement des indus s’élève toutefois à 88%, ce qui est supérieur au taux de récupération sur les pensions versées en France. Mais le taux de récupération sur les indus frauduleux est lui très faible : seulement 2%. Quant aux sanctions et aux poursuites, elles sont très rares.