Agences de l’État, Opérateurs : les 13 propositions de la Fondation IFRAP

La Fondation IFRAP a été auditionnée par la commission d’enquête du Sénat sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État le 9 mai 2025. À ce titre elle a formulé 13 propositions que nous souhaitons rendre publiques afin de les verser au débat sur la rationalisation des agences de l’État. Pour planter le décor baroque des « agences de l’État », nous rappellerons au lecteur que le processus d’agenciarisation de l’État n’est pas arrivé à son terme en France. Sans aller jusqu’à un État totalement agenciarisé comme en Suède (368 agences, représentant 97,6% des dépenses centrales et 19,7% du PIB en 2023), la France n’a pas non plus choisi d’avoir des agences puissantes et peu nombreuses comme au Royaume-Uni (304 entités représentant 13,7% du PIB en 2023) ou aux Pays-Bas (107 agences 10,4% du PIB en 2023). La France au contraire offre une image très émiettée avec environ 792 entités (opérateurs/ODAC) individualisables, pour des dépenses globales de l’ordre de 5,3% du PIB, soit près de 2 fois moins que les Hollandais pour un nombre d’entités 7,4 fois plus important. Ce que l’on doit donc constater c’est que la voie française aboutit à dépenser moins à travers nos agences que nos voisins européens susmentionnés, avec un nombre de structures incomparablement plus important. Afin d’y remédier et tout au moins d’assurer une transparence « nécessaire » sur le fonctionnement et les comptes de ces « agences », la Fondation IFRAP formule les propositions suivantes :
Créer une banque des comptes des opérateurs la plus exhaustive possible : Cette banque des comptes permettrait de rendre publics les budgets prévisionnels, initiaux, rectificatifs et l’exécution des comptes lorsque ces entités disposent d’une comptabilité budgétaire. Si leurs comptes ne sont tenus qu’en comptabilité générale, le compte de résultat et le bilan (là encore prévisionnel, initial et clôturé) devraient être publiés en libre accès. Enfin le rapport social unique lorsqu’il existe (RSU) devrait également y être publié. Cette base de données accessible aux parlementaires comme aux citoyens permettrait ainsi de rendre plus transparente la gestion des opérateurs et surtout de pouvoir la suivre dans le temps, en comparant les états prévisionnels et réalisés. La généralisation du RSU (rapport social unique remplaçant le bilan social) entité par entité devrait permettre également de singulariser les opérateurs, alors qu’aujourd’hui trop souvent leurs données sociales sont noyées au sein du RSU de leur ministère de tutelle, ce qui ne permet pas de les individualiser.
Mettre en place un document de politique transversale (DPT ou « orange ») relatif aux coûts de tutelle : La multiplication des opérateurs et des agences implique soit que les coûts de tutelle soient très faibles (ce qui impliquerait que l’autonomie de cette myriade de structures soit très forte et peu auditée) ou au contraire très forts (ce qui induirait un véritable « centre de coût » pour les ministères de tutelle, à raison de leur très grand émiettement). À la vérité aujourd’hui, on ne connaît pas la situation exacte ni le montant de ces coûts de tutelles, ni si ces derniers sont portés par les secrétariats généraux des ministères ou par des directions sectorielles. Sans doute que la situation reste contrastée entre les ministères en fonction du nombre d’opérateurs dont ils ont la charge. Ainsi la constitution d’un tel document permettrait d’objectiver le débat sur le coût des tutelles au regard du nombre et du poids des opérateurs suivis.
Augmenter les informations contenues au sein du « jaune » opérateurs de l’État : Ce travail devrait être multidimensionnel et inclure également l’INSEE. Nous proposons a minima :
De présenter en face des comptes simplifiés initiaux de l’année N-1, les comptes exécutés de l’année n-2, voir des 3 années précédentes notons qu’actuellement les années n-2 à n-4 font l’objet d’une présentation des seuls transferts de l’État, des ressources propres, taxes affectées écrêtées, de la masse salariale et de la trésorerie disponible… ce qui est toujours insuffisant pour reconstituer leurs comptes. Il n’est donc pas possible de suivre leurs soldes ou résultats dans le temps, ce qui est dommageable surtout pour isoler les entités structurellement déficitaires.
Il serait bon d’y joindre en annexe les comptes désagrégés des ODAC (dont la catégorie se recoupe partiellement avec celles des opérateurs) avec des comptes exprimés en comptabilité nationale sur base pluriannuelle (afin de bien montrer les périmètres de consolidation de leurs activités dans le champ des APU au sens de la comptabilité nationale), ce qui supposerait un travail de préparation réalisé en concertation avec l’INSEE.
Le jaune « opérateurs » devrait également proposer une présentation consolidée des opérateurs en comptabilité budgétaire afin de les retraiter des flux financiers interne inter-opérateurs et présenter un solde budgétaire en comptabilité de caisse.
Enrichir les données relatives aux personnels des opérateurs dans la publication annuelle de la DGAFP : Actuellement le « rapport sur l’État de la fonction publique » publiée par la DGAFP et qui faisait l’objet d’une publication anticipée non thématique sous la forme d’un « jaune » budgétaire annexé au projet de loi de finances, ne fait pas mention spécifiquement des effectifs des opérateurs et ne détaille ni les statuts des personnels par opérateur, ni leur schéma d’emploi prévisionnel associé à leur plafond d’emploi, ni le détail de la pyramide des âges de ces derniers et les possibles départs à la retraite. Ces informations devraient faire l’objet d’une annexe au « jaune » État de la fonction publique et d’un rappel au sein du « jaune » opérateur.
L’INSEE devrait publier la liste exhaustive des ODAL (organismes divers d’administration locale) et des ODASS (organismes divers d’administration sociale) : en effet actuellement le service de la statistique publique ne publie qu’un résumé de la liste des ODAL et ne publie pas celle des ODASS. Ces éléments sont importants pour mieux cerner les périmètres des « agences » locales et sociales, d’autant que certains opérateurs sont par ailleurs soit des ODAL (Société des Grands Projets/Agences de l’eau) soit des ODASS (France Travail) par exemple.
Rendre publique la liste des entités dotées d’un comptable public. Cette catégorisation qui avait fait l’objet d’une analyse complémentaire de l’IGF dans son rapport L’État et ses agences (2012[1]) permettait d’y associer également l’ensemble des fonds non dotés de la personnalité juridique, mais auxquelles était assignés un comptable public. Cette catégorie n’est malheureusement plus suivie juridiquement, si bien que le compte de ces entités n’a pas été remis à jour publiquement depuis 2012.
Lancer une mission d’inspection afin de comparer à isopérimètre – les opérateurs en France et les Arm’s length bodies britanniques. Cette étude comparative serait d’autant plus intéressante que bien qu’il n’existe pas au niveau européen de « comparaison des agences » dans les différents pays et politiques publiques par politiques publiques. Seule une mission d’inspection IGF/IGAS/IGA par exemple pourrait permettre d’effectuer se travail de comparabilité afin de déterminer les secteurs où nous avons plus d’opérateurs/agences que nos voisins européens et pourquoi.
Recentraliser les taxes affectées aux opérateurs et aux autres EPA sous champ ODAC : cette approche aurait un double but :
D’une part, éviter que l’opérateur ne développe spontanément de la trésorerie en cas de moindre dépenses – ce qui devrait rééquilibrer en même temps les rapports avec la tutelle, en compensant ces moindres recettes par une augmentation des subventions pour charges de service public, ou des dotations, etc.
D’autre part, mettre progressivement en extension les TFR (taxe à faible rendement <175 M€) dont la Cour des comptes a pu montrer qu’elles venaient irriguer pour 46 d’entre elles les opérateurs de l’État[2]. Ces taxes une fois recentralisées pourraient ensuite au fil de l’eau être supprimées (simplification fiscale).
Taxer la trésorerie oisive des opérateurs : il s’agirait pour l’État d’effectuer une ponction sur cette trésorerie (soit directe, soit via des sous-budgétisations obligeant l’opérateur à la mobiliser ou à la redéployer) en dehors des fonds strictement nécessaires pour faire face aux investissements futurs programmés et déjà engagés (y compris en lissant les investissements à la baisse dans le cas contraire).
Créer un nouveau « jaune » budgétaire consacré aux services à compétence nationale : ce document permettrait ainsi de pouvoir connaître les effets des « rebudgétisations » d’opérateurs (ou d’ODAC) lorsque celles-ci interviennent en continuant à suivre leurs budgets au moins côté dépenses, afin de vérifier que l’opération aboutisse bien à une rationalisation des moyens engagés.
Mettre en place une politique de Gouvernement ouvert et d’Open Data s’agissant des documents annuels des opérateurs : Il s’agit de l’introduction d’une dimension supplémentaire par rapport à la proposition de banque des comptes évoquée à la proposition n°1. En particulier :
En sus de la Banque des comptes, publier les rapports d’activités, rapports financiers, comptes et avis du certificateur lorsqu’il existe, ainsi que les rapports thématiques associés de la Cour des comptes directement sur le site de l’opérateur au sein d’un espace dédié ouvert au public. Certains documents seraient publiés en double par rapport à la Banque des comptes, mais permettraient un accès facilité au public selon le principe de redondance.
Adopter une politique d’Open Data en téléversant systématiquement les données d’activité et financières sur data.gouv.fr : cela permettrait une exploitation plus rapide des documents que les formules existantes actuellement. D’ailleurs les « jaunes » sont souvent déployés en format Excel avec beaucoup de retard, voir pas du tout mis à disposition, ni par la DB, ni sur data.gouv.fr
Clarifier la politique immobilière des opérateurs en enrichissant le jaune « opérateur » et l’orange « politique immobilière de l’État » : Aujourd’hui les éléments permettant de savoir le nombre, la surface, la valorisation et la nature des emprises immobilières des opérateurs, opérateur par opérateur fait défaut. On ne connaît pas non plus le nombre de locaux pris ou mis à bail ni le montant des beaux associés. Les ventes et les achats ne sont pas non plus recensés, opérateur par opérateur. Ces éléments viendraient utilement enrichir l’orange consacré à la politique immobilière de l’État ainsi que le jaune opérateur lui-même.
Synchroniser les exercices comptables des opérateurs sur l’année calendaire : cette opération permettrait ainsi de faire correspondre au moins formellement les exercices budgétaires et comptables (ce qui n’est pas le cas actuellement, indépendamment des opérations d’ordre et des décalages calendaires liés à l’enregistrement[3]). L’ensemble des comptes arrêtés seraient donc disponibles pour l’examen du législateur, ce qui dans le cadre de la loi de finances n’est pas toujours le cas (avec certaines entités qui ne délivrent jamais leurs comptes).
[1]L’État et ses agences, IGF, 16 mars 2012 https://www.igf.finances.gouv.fr/igf/accueil/nos-activites/rapports-de-missions/liste-de-tous-les-rapports-de-mi/letat-et-ses-agences.html
[2] Cour des comptes, Les taxes à faible rendement, 17 avril 2025 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-taxes-faible-rendement-0
[3] Comptabilité de caisse pour la comptabilité budgétaire (soit au décaissement/encaissement des sommes), soit comptabilité d’engagement (pour la comptabilité générale des opérateurs) enregistrant les créances ou ressources à leur date de naissance.