Grande démission des maires : un appel à réduire le nombre de communes en France ?

Une étude réalisée par le CEVIPOF et l’AMF pointe la recrudescence des démissions de maires depuis les dernières législatives. On assiste d’après ces auteurs à près de 2.189 démissions depuis juillet 2020, soit 6% des maires qui ont quitté leur fonction depuis leur élection. L’étude note en particulier le profil et la géographie des démissionnaires. Le phénomène ne tient pas compte du sexe, mais plutôt « les jeunes retraités (…), les professions intellectuelles et cadres supérieurs, les communes moyennes (10 à 30.000 habitants », mais aussi à 53% de nouveaux maires, alors que les municipales de 2020 avaient profondément renouvelé les profils des édiles locaux (40% de nouveaux maires). Le phénomène est donc inquiétant est pose au-delà de l’éternelle question du statut d’élu et de ses contraintes, celle de la taille des communes et de l’enjeu des majorités au sein du conseil municipal, mais aussi de technicité du métier de maire.
Des cycles de démissions qui vont croissant dans le temps à chaque mandature successive :
Depuis 3 mandatures locales, les démissions sont en hausse d’un facteur 2 en moyenne. C’est ce que montre l’étude du CEVIPOF/AMF parue en juin 2025[1]. Ainsi, entre 2008 et 2013 on recense 129 démissions en moyenne par an, contre 209 démissions en moyenne entre 2014 et 2019 et 417 démissions en moyenne entre 2020 et 2025… En trois mandature le nombre de démission moyen a été multiplié par 4.

L’étude rappelle liminairement qu’il faut bien distinguer au sein du RNE (Répartoire national des Elus) entre « changement » et « démission des maires », ces dernières ne constituant qu’un motif particulier de « changement ».
Un changement de maire ne signifie pas toujours démission
Ainsi les changements de maire sont de 4 natures :
Autres (3%) ; |
Entre juillet 2020 et mars 2025, il s’est produit 2.189 démissions de maires soit pas une journée sans qu’un de ces derniers démissionne[2]. Un pic est atteint en 2023 avec 613 démissions[3]. Comme lors de chaque cycle électoral, les démissions fléchissent toujours à l’approche des élections municipales. Ce phénomène ne touche pas seulement les maires, mais aussi les conseillers municipaux[4] : un pointage réalisé en 2023 faisait alors état de la démission d’un édile municipal sur 20, mais aussi d’un conseiller municipal sur 13 (7,51% entre juillet 2020 et juin 2023), soit sur 511.675 conseillers, 38.412 démissionnaires…
L’étude révèle que les communes les plus touchées par les démissions volontaires en niveau sont les communes de petites tailles.

Leur proportion étant globalement en recul lors de cette mandature par rapport à la précédente, au contraire des communes plus importantes dont la strate 1000 à 3.500 habitants pour laquelle les taux de démissions sont en augmentation de 12,4 points à 25,4% aujourd’hui. Il en résulte un taux d’exposition particulièrement élevé pour les communes de 1000 à 10.000 habitants, avec des taux décroissant de 3,7% des effectifs de maires de la strate 1000 à 3500 jusqu’à un taux de 2,2% entre 5.000 et 10.000 habitants, mais toujours bien supérieurs à celui de 1,2% entre 0 et 500 habitants.

En particulier l’étude relève que les démissions « sont plus nombreuses parmi les nouveaux venus (33%) », mais touchent des maires démissionnaires plus âgés que la moyenne des maires élus en 2020 (66 ans contre 59 ans en moyenne).
Des démissions qui naissent d’abord de tensions politiques locales :
Les démissions volontaires sont d’abord le résultat de tensions politiques locales à hauteur de 30,9%. Cela résulte d’abord de la « règle du tiers » : si les démissions de conseillers municipaux atteignent ou dépassent 1/3 du conseil municipal, de nouvelles élections doivent être organisées dans un délai de 3 mois après la dernière démission.
Source : CEVIPOF/AMF, juin 2025
Mais la règle est différente suivant la taille de la commune. Si celle-ci a plus de 1000 habitants, l’élection concerne l’intégralité des sièges – alors que pour une taille inférieure elle ne concerne que les sièges devenus vacants – ce qui peut donner lieu lorsqu’une démission massive apparaît dans l’entourage du maire, à des stratégies de déstabilisation provoquant des élections anticipées.
On constate également des cas de démissions collectives du conseil municipal en entier, pour protester dans le cadre d’un différend juridique opposant la municipalité à un tiers, ou à cause des méthodes de gouvernance du maire en place, afin de dénoncer l’absence de débat démocratique au sein du conseil.
Nous avons relevé plus haut le très fort taux d’exposition aux démissions volontaires des communes de la strate 1000 hab-3.500 hab avec 3,7%. Deux explications sont avancées :
Une sous-dotation en compétences humaines et donc en ingénierie du conseil municipal. Cela pose la question de la préparation des dossiers en amont des décisions et des risques juridiques associés. Le risque n’étant pas nul de situations de blocage ou que le conseil municipal devienne « une chambre d’enregistrement de désaccords. »
Une bipolarisation accrue de la vie démocratique locale, avec en moyenne 2 listes concurrentes dans les villes de 3.000 à 5.000 habitants. Ce qui risque de faire place à une confrontation directe entre majorité et opposition. Une déstabilisation a lieu « lorsqu’un argument de l’opposition recueille un consensus au sein d’une partie de la majorité, entraînant par la suite une vague de démission de conseillers municipaux ». C’est en particulier vrai dans les communes où la diversité des dossiers à traiter est plus restreinte qu’au sein des grandes communes.
Au contraire s’agissant des successions programmées (13,7% des démissions volontaires), font généralement suite à une annonce dès le début de mandat d’une passation de pouvoir du maire à mi-mandat. Les communes de petite taille (<500 hab) concentrent à elles seules 42% des transmissions en cours de mandat. Ce qui constitue à la fois une opportunité, mais aussi une « menace » à moyen terme avec la mise en évidence d’un « vivier de volontaires de plus en plus restreint, principalement en raison du vieillissement de la population de ces villages. »
La question de l’épuisement psychologique des maires 13,1% des causes de démissions volontaires évoquent des questions de santé. Le vieillissement de la population des maires, les fragilise, « l’âge [allant] en toute logique de pair avec une accélération d’ennuis de santé physique. » Le rapport évoque une étude publiée en 2024[5] faisant état du fait que « 83% des maires jugeaient leur mandat usant pour la santé et 40% d’entre eux déclaraient travailler sous pression. » Par ailleurs cette étude rapportait également que « 39% des maires avaient déjà quelques fois pensé à démissionner et 6% y songeaient régulièrement. » Un phénomène que l’on retrouve dans l’exploitation du RNE, puisqu’au sein des démissions volontaires identifiées, 5% le sont pour « fatigue/lassitude ». |
Changer d’échelle pour revivifier les « vocations » ?
Et si une partie de la réponse était institutionnelle. Le rapport présenté par le CEVIPOF ne propose pas d’éléments particuliers en sus du renforcement du statut d’élu, « le poste apparai[ssant] (comme) ingrat, difficile, voire dangereux. » ce qui peut aboutir à une crise des vocations alors même que la population des maires se retrouve vieillissante et qu’une transition démographique devra nécessairement s’imposer. Rappelons aussi que la densité des candidats et des élus locaux est énorme puisque « près d’un français sur 50 est prêt, tous les six ans, à s’engager sur une liste municipale. » Cet éparpillement des structures nécessite un très grand nombre de vocations pour les animer… ce qui témoigne de leur énorme émiettement.
À ce titre, l’étude révèle plusieurs éléments qu’une généralisation de la commune-communauté – fusionner les communes à l’échelle des intercommunalités – permettrait de juguler en partie :
Tout d’abord en niveau et en bas de distribution, 34% des démissions ont lieu dans des communes de 0 à 500 habitants. Nous ne disposons pas de statistiques précises de la taille moyenne des communes intégrant les EPCI[6]. Néanmoins on comprend, avec l’aide du tableau ci-dessous, qu’il s’agirait majoritairement de communautés de communes rurales autonomes et péri-urbaines.

Ensuite, on relève une cause de démission importante dans les communes de 1000 à 3.500 habitants (37,3%) là où la plupart des dérogations juridiques accordées aux échelons plus petits sont totalement levées, sans que les compétences techniques soient nécessairement au rendez-vous. Il s’agit principalement de communautés de communes urbaines et de communautés d’agglomération rurale autonomes ou péri-urbaines qui regroupent ce type de communes. Mutualiser les compétences à ce niveau, permettant la simplification des circuits de décision et de conseil, ainsi que la surface financière pour gérer les dossiers en amont, milite là encore pour une généralisation de la commune-communauté à ce niveau.
Enfin plus généralement le vieillissement des effectifs municipaux, devrait être l’occasion de réduire la taille des conseils, d’augmenter leurs ressorts et de simplifier l’exercice de leurs compétences. Vouloir rester aveugle à cette situation – c’est par avance – se condamner à devoir traiter le tarissement des vocations dans l’urgence, alors qu’un regroupement avisé des communes à l’échelle intercommunale actuelle permettrait de simplifier le maillage territorial et d’alléger le travail des élus avec des supports administratifs de bonne dimension. Rappelons que le géographe proposait récemment de réduire le nombre d’entités communales à 900, au lieu des plus de 34.900 actuelles[7]. Pour lutter contre « la grande démission » des maires et des conseillers municipaux, il faut sans doute simplifier et homogénéiser encore les structures, afin d’alléger les contraintes de tous ordres qui pèsent sur eux… et pas seulement politiques[8].
[1] https://www.amf.asso.fr/documents-observatoire-la-democratie-proximite-amf-cevipofsciences-po-les-demissions-maires-enquete-sur-un-phenomene-sans-precedent/42676
[2] Sur un effectif total de 34.983 maires.
[3] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/11/20/avec-la-hausse-des-demissions-de-maires-la-crainte-d-un-crash-democratique_6404175_823448.html
[4] https://www.ledauphine.com/politique/2023/11/26/depuis-2020-un-conseiller-municipal-sur-treize-n-est-plus-en-poste
[5] Didier Demazière et Jérome Pélisse, https://elus.hypotheses.org/files/2024/11/ITW-Ouest-France-oct2024.pdf ainsi que Enquête ELUSAN, novembre 2024 https://medias.amf.asso.fr/docs/DOCUMENTS/80a961349bcaebb1371c456467f068e1.pdf
[6] Une lacune que l’on retrouve dans la publication annuelle Les collectivités locales en chiffres, publiée par la DGCL. Or il serait tout à fait possible de savoir par type d’EPCI le nombre et la des communes membres. Nous avons donc calculés des moyennes.
[7] Voir https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/collectivites-territoriales-ligf-veut-10-milliards-deconomies-sans-preciser-comment, ainsi que https://www.lagazettedescommunes.com/923553/le-rapport-qui-veut-diviser-le-nombre-de-communes-par-quarante/?abo=1, et le rapport de l’institut TERRAM, avril 2024 https://institut-terram.org/wp-content/uploads/2024/04/IT_00001_COLDEFY_2024-04-11_w.pdf
[8] Bien que comme le montre également l’étude du CEVIPOF, le fait d’augmenter la taille des communes, évite une bipolarisation accrue de la vie politique locale, et des destabilisations difficiles à gérer lorsque de nouvelles élections de l’ensemble du corps municipal ou des élections partielles sont décidées à raison de la taille des communes en question.