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La Suède : un état central totalement « agenciarisé »

Depuis une réforme adoptée en Suède le 6 mars 1974, il existe une séparation stricte et claire entre les institutions politiques et les agences de l’État (statliga myndigheter). Ces structures deviennent alors juridiquement indépendantes et responsables de l’exécution des politiques publiques impulsées par leurs ministères de tutelle. Cette organisation a renforcé leur rôle dans la gestion des finances publiques, via des budgets fixés par des directives annuelles. Avec 368 agences indépendantes qui emploient plus de 250 000 agents, elles représentent 97,6% des dépenses des administrations centrales, 39,7% du total des dépenses publiques soit 19,7% du PIB en 2023. Par ailleurs elles emploient 93,4% des effectifs physiques des administrations centrales et 17,8% de l’emploi public total. Malgré les réformes de décentralisation mises en œuvre dans les années 1990, qui ont transféré des compétences comme l’éducation aux municipalités, et qui ont modifié à la baisse le poids des agences de l’État, les agences suédoises restent incontournables pour la gestion des politiques publiques.

Combien d’agences d’État en Suède ? 212 ou 368 en 2023 selon le périmètre choisi

Comme en France, la Suède a une identification divergente entre les agences qui sont directement placées sous la coupe du Gouvernement et le périmètre des autorités indépendantes qui relèvent de l’administration centrale. Le 1er comput est réalisé par le Gouvernement lui-même (comme pour les « opérateurs » en France) tandis que le second est réalisé par le Trésor suédois. Et les résultats sont différents, car des reclassements d’entités ont lieu plutôt que des suppressions sèches notamment s’agissant des organes judiciaires. On retrouve donc le dilemme « opérateurs – ODAC » au niveau suédois.

Si l’on prend pour référence le périmètre le plus large des « autorités indépendantes » ou autonomes, leur nombre a sensiblement évolué depuis 1990. Entre 1990 et 2024, leur nombre se réduit de 73,7% passant de 1.394 entités à 368 entités[1].

Source : Statskontoret, 2011 et 2024. Et Governement Office. 

Au contraire, si l’on en croit le périmètre retenu par le Government Office suédois, ces entités directement contrôlées par les ministères sont beaucoup moins nombreuses, et s’établissent à 212 en 2023[2].

Contrairement à la France, où chaque ministre défend activement les intérêts budgétaires de son ministère face au ministère des Finances lors des discussions financières, les ministres suédois agissent comme des relais du ministre des Finances dans leur propre champ de compétence, appliquant les arbitrages du Premier ministre et exerçant une pression sur les agences placées sous leur tutelle plutôt que d’en être les porte-paroles. 

Sources : Swedish and Governement Office Yearbook 2023 et Statskontoret (2024) op. cit.

Cette différence d’approche s’appuie sur une comptabilité des entités qui varie suivant les départements ministériels de tutelle dont les principaux écarts sont localisés au ministère de la Justice (comptabilité différente des juridictions autonomes : 87 entités d’écart), mais aussi au ministère des Finances (13 entités d’écart). 

Sources : Swedish and Governement Office Yearbook 2023 et Statskontoret (2024) op. cit.

Nous adopterons la perspective plus englobante du Trésor public dont la méthodologie boucle d’ailleurs avec celle adoptée par l’INSEE suédois (SCB). 

Des agences en nombre plus réduit, mais dont les emplois publics augmentent :

Le nombre des agences d’État Suédoise ne préjuge pas de l’accroissement des effectifs qui y travaillent. Comme le relève le Trésor public suédois[3] de 2024, entre 2011 et 2023, les effectifs employés par les agences de l’État ont cru de 24% passant de 200.818 employés à près de 248.489 soit +47.671. Si l’on se place maintenant en ETP (équivalent temps plein) et que l’on utilise les derniers chiffres disponibles livrés par la statistique publique, les éléments sont encore plus prononcés :

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Sources : Statskontoret (2025 )

Entre 2017 et 2024, les effectifs (ETP) augmentent de 16,5% soit +36.314 ETP en 8 ans. Il semble donc que la maîtrise des effectifs des agences se relâche dans le temps, malgré une baisse en apparence importante « en trompe-l’œil » du nombre d’agences publiée par le Gouvernement. Cette croissance est en tout cas beaucoup plus importante que celle des autres composantes de l’emploi des administrations centrales suédoises exprimées en ETP :

Sources : Statskontoret  et SCB (2025[5])

Les emplois centraux sont en effet constitués par 3 catégories identifiées par la statistique publique suédoise : les effectifs des ministères[6], les effectifs des agences et ceux des « autres entités centrales » qui ne sont pas identifiées en tant que telles. On constate qu’entre 2017 et 2023, les effectifs des agences d’État ont augmenté de +12,7% contre seulement de +3,4% pour les effectifs des ministères (4.931 agents ETP en 2023) et que ceux des autres entités (+7,6%). Les effectifs des agences croissent près de 4 fois plus vite que ceux des ministères centraux. L’effet masse permet de peser sur l’ensemble des effectifs centraux qui s’apprécient sur la période de +12,3%, les agences pesant entre 93% et 94% des effectifs centraux totaux. 

Un volume financier inédit et mal connu représentant près de 19,7% du PIB en 2023 : 

Le poids des agences en Suède est totalement inédit par rapport aux autres pays d’Europe (dont la France) dans la mesure où en pratique l’ensemble des politiques publiques de l’administration centrale sont effectuées par ces dernières. Il est toutefois possible d’en déterminer le montant dans la mesure où les dépenses publiques centrales sont ventilées d’après l’autorité de la statistique suédoise (SCB) en agrégeant l’ensemble des dépenses de l’État[7] et les autres dépenses centrales et que ces mêmes dépenses de l’État comprennent l’ensemble des dépenses des ministères et des agences. Par ailleurs le Gouvernement suédois exprime spécifiquement les dépenses des ministères centraux séparément[8]. Le budget global des agences devient alors commensurable. 

Sources : Government Office (2024)  et SCB (2025[9])

 

Ainsi, pour 2023, les dépenses des agences représentent 106,3 Md€ sur un total de 107,1 Md€ de dépenses de l’État, soit 99,2% du budget total de l’État, mais 97,6% du budget total du gouvernement central, si on y ajoute le budget des « autres entités gouvernementales centrales[10] ».

Sources : Government Office (2024), SCB (2025), Ameco database (2025). 

Si l’on rapporte le poids des agences de l’État en Suède au PIB, celui-ci augmente de près de +2,6 points entre 2017 et 2023, tandis que le poids des agences dans l’ensemble des dépenses publiques augmente lui sur la période de 5,5 points. On constate ainsi clairement que le poids des agences s’accroît alors même que sur la période le poids de la dépense publique totale est en recul, passant de 50,2% du PIB en 2017 à 49,5% du PIB en 2023. Les dépenses des agences continuent d’augmenter tandis que les autres niveaux de dépenses publiques sont en baisse (notamment au niveau local et régional). Il faut dire qu’elles comprennent en particulier l’ensemble des dispositifs principaux de protection sociale[11], dont les pensions (Pensionsmyndigheten) du privé et publiques (Statens tjänstepensions) mais aussi l’Agence nationale de sécurité sociale (Försäkringskassan).

Conclusion :

En devenant les démembrements des ministères et des caisses de sécurité sociale, les agences de l’État suédoise ont d’abord contribué à la rationalisation de la dépense publique, mais semblent aujourd’hui plutôt contribuer principalement à son augmentation. Au contraire les régions et les municipalités suédoises atténuent cet effet global en maîtrisant leurs propres dépenses. La taille systémique des agences suédoises devenues de quasi-ministères même moins nombreuses qu’auparavant contribue à l’augmentation globale de la dépense des administrations centrales. Le poids des agences d’État suédoises dans le PIB de 19,7% en 2023 est en tout cas sans commune mesure avec celui des ODAC français (4,33% du PIB). Il s’agit de la conséquence d’une extrême agenciarisation de l’État suédois qui en la matière représente un cas limite


[1] Statskontoret (Trésor public suédois), Färre men större Statliga myndigheter åren 2007–2010, 2011, p.11. Ainsi que Facts & Figures, Swedish government Offices, Yearbook, 2005, p.31. On consultera pour l’année 2024, Statskontoret, Statsförvaltningen i korthet 2024, p.13.

[2] Selon le Swedish Government Office Yearbook 2023, p.42.

[3] https://www.statskontoret.se/en/publications/publikationer/publikationer-2024/ever-fewer-ever-bigger--the-evolution-of-government-agencies-size-and-the-structure-of-public-administration-20112023/ et en particulier Ännu färre, ännu större Utvecklingen av myndigheternas storlek och förvaltningens struktur 2011–2023, p.24

[4]https://www.statskontoret.se/fokusomraden/fakta-om-statsforvaltningen/oppna-data/ qui livre les effectifs en open data depuis 2017.

[5] Op cit. et SCB, https://www.statistikdatabasen.scb.se/pxweb/en/ssd/START__AM__AM0106__AM0106C/Kommun16gA/table/tableViewLayout1/

[6] Voir https://www.government.se/contentassets/6c40223084e1475c888740ea5658a5d0/swedish-government-offices-yearbook-2023.pdf

[7] https://www.statistikdatabasen.scb.se/pxweb/sv/ssd/START__NR__NR0111__NR0111A/BudgetStatForvAr/table/tableViewLayout1/

[8] Par exemple, au chapitre 7 du Gouvernment Yearbook consacré aux coûts de support internes. Voir https://www.government.se/contentassets/6c40223084e1475c888740ea5658a5d0/swedish-government-offices-yearbook-2023.pdf#page=61

[9] Op cit. et SCB, https://www.statistikdatabasen.scb.se/pxweb/en/ssd/START__AM__AM0106__AM0106C/Kommun16gA/table/tableViewLayout1/

[10] Dont différentes autorités constitutionnelles (Parlement, Cour des comptes, Couronne etc.). 

[11] https://www.cleiss.fr/docs/regimes/regime_suede-salaries.html