Tribune

Dépenses publiques, retraites, fonctionnaires... Les leçons de nos voisins européens pour sortir de l’impasse

Réduction des dépenses, réforme des retraites, fin du statut de fonctionnaire... Partout en Europe, des États ont osé bousculer leurs modèles. Six exemples concrets de réformes ambitieuses que la France hésite encore à mettre en œuvre.

Cette tribune a été publiée dans le Journal du Dimanche ce mercredi 4 juin 2025

Pays-Bas, Danemark, Allemagne... Plusieurs pays européens ont eu le courage de réformer leur modèle économique. Tour d'horizon.

Réduction de la fonction publique : la méthode suédoise

Dans les années 1990, confrontée à une grave crise budgétaire, la Suède a mené l’une des restructurations de l’État les plus drastiques d’Europe. Entre 1993 et 2000, environ 70 000 postes ont été supprimés dans la fonction publique, soit une réduction de 4 % des effectifs de l’État. Cette cure d’austérité a permis de faire passer la masse salariale publique de 15 % du PIB à environ 12 % au tournant des années 2000 – un niveau toujours maintenu aujourd’hui. Cette politique n’a pas été sans tensions sociales, mais elle a durablement allégé la charge de l’État dans l’économie suédoise. D’autres pays ont suivi des trajectoires similaires, avec des réductions de personnel public de 2 à 10 % selon les cas : la Grèce, le Royaume-Uni ou le Portugal ont ainsi utilisé ce levier pour contenir leurs déficits.

Moins de communes, plus d'efficacité : la leçon néerlandaise

Aux Pays-Bas, la décentralisation s’est accompagnée d’un resserrement du maillage territorial. Pour les politiques d’éducation, d’emploi ou de solidarité, le pays a fait le pari d’une gouvernance de proximité, tout en rationalisant ses structures. Résultat : en 2025, les Pays-Bas ne comptent que 345 communes pour plus de 17 millions d’habitants, contre plus de 600 au début des années 2000. Cela représente une baisse de 36 % en vingt ans. Cette concentration territoriale, portée par une volonté politique claire, a permis de mieux maîtriser les dépenses publiques locales sans affaiblir les services. À titre de comparaison, si la France appliquait le même ratio population/communes, elle ne compterait plus que 12 660 communes... contre près de 35 000 aujourd’hui. Un écart qui interroge sur le maintien d’un tel morcellement administratif.

Santé : une franchise obligatoire pour responsabiliser les assurés

Depuis 2006, les Pays-Bas ont mis en place un système de santé universel combinant solidarité et responsabilisation. Tous les adultes de plus de 18 ans doivent s’acquitter d’une franchise annuelle obligatoire de 385 euros (en 2025), qui constitue le premier palier contributif de l’assurance maladie de base. Certains soins essentiels – comme les consultations de médecine générale ou les soins de maternité – en sont exemptés.

Ce montant peut être volontairement augmenté en échange d’une réduction de la prime mensuelle, une formule qui séduit notamment les jeunes en bonne santé. Pour les foyers modestes, l’État accorde une aide spécifique pour couvrir tout ou partie de cette franchise. Depuis cette réforme, le système repose sur une concurrence régulée entre assureurs privés, qui interviennent dès le premier euro au-delà de la franchise. Le but : contenir les coûts, tout en garantissant un haut niveau de couverture et une responsabilisation accrue des usagers.

Retraites : au Danemark, l'agence suit l'espérance de vie

Le Danemark a fait le choix d’un mécanisme automatique et transparent pour assurer la viabilité de son système de retraite. Depuis une réforme adoptée en 2006, l’âge légal de départ est indexé sur l’espérance de vie et révisé tous les cinq ans. En 2025, il est fixé à 67 ans. Une nouvelle loi votée en mai prévoit un passage à 68 ans en 2030, puis à 70 ans en 2040. L’objectif est clair : adapter progressivement l’âge de départ à l’évolution démographique, sans créer de ruptures brutales ni de débats politiques à chaque échéance. Ce système offre de la lisibilité aux actifs comme aux retraités.

La Suède applique une logique similaire. Là-bas, l’équilibre du régime repose sur un ajustement automatique des paramètres – soit l’âge, soit le niveau des pensions – selon la conjoncture démographique et économique. Une intervention législative reste toutefois nécessaire pour trancher entre les deux leviers ou les combiner.

Limiter la dette : les freins budgétaires allemand et suisse

Face à la tentation chronique du déficit budgétaire, l’Allemagne a inscrit dans sa Constitution un frein à l’endettement (le Schulden-bremse), entré en vigueur en 2009. Ce dispositif n’autorise les déficits publics qu’en période de récession et impose en temps normal un plafond de 0,35 % du PIB pour le budget fédéral. Les Länder peuvent adopter des règles similaires. Ce cadre strict a permis à l’Allemagne de maintenir une discipline budgétaire et de respecter, dans l’ensemble, les critères européens de stabilité.

En 2025, une exception a toutefois été introduite : les dépenses de défense et de sécurité sont désormais exclues du calcul, dès lors qu’elles dépassent 1 % du PIB. La Suisse a quant à elle adopté dès 2001 par référendum, à 84,7 %, un dispositif comparable : les dépenses de l’État ne doivent pas excéder ses recettes, en moyenne, sur l’ensemble d’un cycle économique.

e frein constitutionnel, plus simple dans son principe, est assorti de deux outils d’ajustement : un fonds de réserve contracyclique pour absorber les chocs, et un fonds d’amortissement de la dette pour lisser les excédents. Ces deux exemples montrent qu’un cadre institutionnel fort peut contenir durablement la dette publique – à condition d’en accepter les contraintes politiques.

Fonctionnaires : la Suisse tourne la page du statut à vie

La Suisse a profondément réformé son administration en mettant fin au statut de fonctionnaire. À la suite d’une votation populaire approuvée par 66,8 % des électeurs, le pays a supprimé ce statut dans l’administration fédérale, mais aussi dans des secteurs emblématiques comme la poste ou les chemins de fer.

Depuis cette réforme, les agents publics sont recrutés soit sous contrat de droit privé à durée indéterminée, après une période probatoire, soit sous contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon les besoins. L’embauche à vie n’existe plus. L’objectif ? Introduire plus de souplesse dans la gestion des ressources humaines, sans pour autant sacrifier la stabilité de l’emploi ni l’exigence de service public. Cette évolution marque un changement culturel fort dans la conception de l’État employeur.