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Ajustement budgétaire : le cas de l'Argentine

En novembre 2023, Javier Milei gagne les élections présidentielles en Argentine sur la promesse de réduction du périmètre d'intervention de l'Etat et des dépenses publiques. L'économie argentine souffre depuis des décennies d'une inflation galopante et d'une corruption endémique, dont le pays et son gouvernement actuel ne semblent pas s'être encore totalement extraits. En rupture avec le Kirchnérisme, le Président promet de s’attaquer à ces deux fléaux et de rétablir la santé économique du pays. Pour y parvenir, il mène depuis 2023, un plan d'ajustement budgétaire de grande ampleur afin de lutter contre l’inflation et d'assainir les finances publiques. En 2024, l’Argentine enregistre pour la première fois depuis 2015 un excédent budgétaire trimestriel, et l’inflation devrait être divisée par 10 en 2025 par rapport à décembre 2023. Quels leviers ont été utilisés pour repenser le fonctionnement de l'Etat argentin ? Quel est le bilan provisoire en matière de finances publiques ?

 

A la fin de l'année 2023, l’Argentine enregistre un déficit budgétaire important (-5.4% du PIB en 2023) comme chaque année depuis 2010. Au troisième trimestre de l’année 2024, le pays retrouve un excédent budgétaire trimestriel (première fois depuis 2015). Depuis, l’Argentine connaît une succession d’excédents budgétaires trimestriels et les prévisions pour 2025 sont positives (excédent budgétaire de 0.4%). La dette publique est ainsi réduite à 85.3% du PIB en 2024 et projetée à 73.1% du PIB en 2025 (contre 155.4% du PIB en 2023). L’équilibre des finances publiques semble donc rétabli.

Source : OCDE

Ces résultats s’expliquent en grande partie par la baisse des dépenses publiques (baisse de 27% en 2024 par rapport à 2023). L’Argentine est un pays avec un niveau de dépense publique très élevé comparé aux autres pays en développement (autour de 40% du PIB chaque année entre 2013 et 2023). Les politiques et réformes mises en place ont permis au pays de retrouver rapidement un niveau de dépense publique bien plus raisonnable. En 2024 les dépenses publiques du pays représentent 31,4% du PIB (au plus bas depuis 2008).

 

Pour mettre en œuvre la politique de réduction des dépenses et de libéralisation de l’économie, Javier Milei a créé le ministère de la Dérégulation et de la Transformation de l’Etat en 2024. Ce ministère parvient à supprimer pas moins de 340 normes de régulation (décrets, résolution, dispositions…) principalement dans les domaines de l’industrie agro-alimentaire, des transports et du commerce extérieur. Parmi ces mesures, on trouve notamment la suppression de contrôles sur les importations et les exportations, l’assouplissement du droit du travail et la fin des contraintes locatives. Le pays a également mené une politique de suppression de ministères et d’agences publiques pour réduire le coût de fonctionnement des administrations.

En Argentine, en 2023, l’emploi public représentait 18% de l’emploi total. Ce taux est bien supérieur à la plupart de ceux des autres pays d’Amérique latine. Le gouvernement a donc supprimé plus de 55 000 postes de fonctionnaires entre novembre 2023 et juillet 2025 (licenciements et non-renouvellement de contrats temporaires). L’objectif est de poursuivre ces suppressions de postes pour atteindre 70 000 postes de fonctionnaires supprimés. 

 

Les suppressions de postes de fonctionnaires touchent principalement l’administration centrale (dont ministères et secrétariats). Le nombre de ministères passe par exemple de 21 pour le gouvernement précédent à 10, réduisant rapidement le nombre de fonctionnaires au service de ces ministères. Toutefois, toutes les administrations sont touchées par les réductions d’effectifs (décentralisée, déconcentrée, entreprises et sociétés publiques).

Effectifs des fonctionnaires de l’Administration Publique Nationale et des entreprises publiques

 

Les ministères qui ont connu le plus de suppressions de postes sont le ministère du capital humain et de la santé, et les deux ministères qui ont été supprimés en 2024, le ministère de l’infrastructure et le ministère de l’intérieur. À l’inverse, la présidence, le ministère de la justice augmentent significativement leurs effectifs, et le nouveau ministère de la dérégulation est créé.

 

Cependant, la majorité des fonctionnaires argentins ne sont pas employés par l’administration publique nationale mais par les provinces régionales. En effet, plus de 60% des emplois publics servent les provinces. En moyenne, le nombre de fonctionnaires dans les provinces a même augmenté de 69% entre 2002 et 2022. Dans certaines régions, l’emploi public représente même une part plus importante que l’emploi privé informel. 

 

La suppression de postes de fonctionnaires des provinces régionales n’étant pas une compétence de l’Etat fédéral, le budget des provinces a été drastiquement réduit pour les contraindre à réaliser des coupes budgétaires et des suppressions de postes. Les transferts non automatiques vers les provinces ont ainsi été réduit de 76% en moyenne (jusqu’à 89.5% selon les régions), et les transferts automatiques de 19%. Ces coupes budgétaires ont contraint les provinces régionales à réduire leur dépense consolidée réelle de 24% environ entre 2023 et 2024 (56% de baisse de dépenses en investissement, 20% pour les salaires et 19% pour les retraites). Le nombre de fonctionnaires a également été réduit dans certaines régions pour faire face à la baisse des transferts fédéraux. À San Juan par exemple, le gouverneur a réduit de 30% les postes politiques et a annoncé le licenciement des fonctionnaires embauchés dans les six derniers mois. 

Outre les coupes dans la masse salariale, le gouvernement argentin a également réduit drastiquement les dépenses d’investissement public dans tous les domaines, qui chute globalement de 75.1% en 2024 comparé à 2023.

 

Les entités publiques les plus touchées par les coupes dans les dépenses d’investissement sont les universités nationales, les provinces et les municipalités. Quant aux secteurs, les plus concernés sont avant tout l’eau potable et l’assainissement, les transports, la santé, les infrastructures et le logement. Concernant les infrastructures, le gouvernement a même pris la décision de mettre fin aux appels d’offre et d’annuler les projets non commencés. Cette décision a entraîné la paralysie de 3500 à 4000 chantiers et la suppression de 100 000 emplois dans le secteur.  Le ministère de l’infrastructure a même été supprimé en février 2024.

 

Un vaste programme de privatisation et de baisse des subventions d’entreprises publiques a aussi été mis en place, en visant majoritairement les entreprises publiques déficitaires. Les prix de vente de l’électricité, de l’eau et des transports se sont ainsi rapprochés des prix de production. C’est une des mesures qui ont le plus touché le pouvoir d’achat des Argentins.

Source : Asociaciо́n Argentina de Presupuesto y Administraciо́n Financiera Pública

Pour réduire rapidement le déficit budgétaire, le gouvernement a également suspendu temporairement l’indexation des salaires des fonctionnaires et des pensions de retraite. Entre janvier et octobre 2024, les dépenses de retraite ont diminué de 6.5%. Cependant, sur la même période, le pouvoir d’achat moyen des retraités a chuté de 23%. 

Une restructuration des plans sociaux a aussi été mise en œuvre afin de supprimer les intermédiaires et favoriser l’aide directe. Les aides ont également été recentrées sur les citoyens les plus précaires, en priorisant les aides familiales et alimentaires. L’objectif était de diminuer les dépenses dans les plans d’aide sociale tout en limitant les effets sur le taux de pauvreté.

Les réformes fiscales du gouvernement Milei

Parallèlement à la baisse des dépenses publiques, l'objectif était d'inciter au rapatriement des capitaux sur le territoire argentin pour améliorer la solvabilité de l'Argentine. Il a pour cela réformé le système fiscal argentin à travers plusieurs mesures :

  • Mise en place de l’amnistie fiscale temporaire sur les rapatriements de monnaie. Les Argentins ont eu la possibilité de rapatrier jusqu’à 100 000 dollars détenus illégalement à l’étranger sans être taxés, voire plus si l’argent était investi dans certains actifs (comme les bons du trésor). Plus de 18 milliards de dollars ont ainsi été régularisés. Cette mesure a permis de renforcer les réserves de change du pays.

  • Mise en place du Régime d'Incitation aux Grands Investissements (RIGI). Permet aux entreprises qui investissent plus de 200 millions de dollars en Argentine de bénéficier d’avantages fiscaux, douaniers et de taux de change. L’objectif était de stimuler l’investissement dans le pays. Toutefois, les flux d’IDE entrants ont baissé en 2024. Ils étaient tout de même en hausse en 2025.

  • Suppression des contrôles de changes et des contraintes de circulation des capitaux. Cette mesure pourrait accélérer les flux d’IDE entrants en soutien au RIGI.

  • Suppression de l’« impuesto país » de 30% sur les transactions en dollar. Cette mesure a permis de faire pression à la baisse sur les prix en limitant l’inflation importée.

  • Réintroduction de l’impôt sur le travail (catégorie 4). La suppression de cet impôt par le gouvernement précédent exemptait la majorité des revenus des salariés de la classe moyenne. Dans le même temps, les seuils d’imposition ont été augmentés et certaines déductions ont été élargies. L’objectif était de rendre le système d’imposition plus progressif, et de retrouver des recettes fiscales pour diminuer le déficit budgétaire. Mais cette réforme a été suspendue par le Sénat.

Outre son succès sur l'assainissement des finances publiques, le gouvernement argentin a également réussi à faire chuter l'inflation. Alors qu'elle atteignait 211% en décembre 2023, elle devrait se situer aux alentours de 20% en 2025. Le gouvernement argentin a donc divisé l'inflation par 10 en 2 ans, tout en réduisant les dépenses publiques, alors que les deux s'entretenaient mutuellement. La politique de rigueur budgétaire de Javier Milei a reposé en grande partie sur la suppression de cet engrenage dette-inflation, et a permis de réduire le déficit public (notamment par la désindexation des prestations et rémunérations publiques) et d'arrêter l'inflation par la dette (grâce à une politique monétaire restrictive).