Actualité

Les 14 mesures qui ont permis à l'Italie de redresser ses comptes publics

En l’espace de deux exercices budgétaires, l’Italie vient d’opérer un spectaculaire redressement de ses finances publiques. Après avoir affiché un déficit de 7,2 % du PIB en 2023, le pays a ramené ce solde à 3,4 % en 2024 (soit quelque 85 milliards d’euros d’écart) et dégage depuis plusieurs mois un léger excédent mensuel (+0,4 %), une première depuis 2019. Conjuguée à cette trajectoire, la dette publique se contracte de 155 % du PIB à 135,3 % entre 2022 et 2024, ce qui lui a valu des félicitations du Fonds Monétaire International.

Ce redressement est dû à des mesures budgétaires et à des réformes structurelles. Le contraste est important avec la France, toujours engluée dans un déficit public massif qui s’élève à 5,6 % du PIB en 2025, estimé de grimper à 5,7 % en 2026 selon le FMI. Ces chiffres sont loin des engagements gouvernementaux, qui figuraient à 5,4 % et 4,6 % respectivement. Le gouvernement peine à identifier les économies nécessaires : l’exemple italien démontre qu’une combinaison d’efforts budgétaires et de réformes de fond peut rapidement restaurer la soutenabilité de la dette et redonner de la marge de manœuvre à l’action publique. 

La Fondation IFRAP recense ainsi quatorze mesures (rationalisation des dépenses sociales, privatisations sélectives, lutte renforcée contre l’évasion fiscale, réforme du marché du travail, etc.) qui ont permis à l’Italie de réduire son déficit et sa dette d’une situation trop dépensière.

Mesures de réductions des dépenses:

  1. Relance de la spending review

Dans le projet de plan budgétaire 2024, où est détaillée la politique budgétaire du gouvernement pour la période triennale 2024-2026, le gouvernement italien a exigé des plafonds de dépense pluriannuels par ministère. La spending review 2024-26 fixe des plafonds triennaux par ministère et exige des « relazioni di revisione » (rapport de révision). Les économies votées se résument à 1,2 Mds € (2024), 3,4 Mds € (2025), 5,7 Mds € (2026).

  1. Décrue du Super Bonus 110 %

Le Super Bonus 110% est une réforme où l’État s’engage à rembourser aux particuliers ou aux copropriétés 110% des dépenses éligibles de rénovations énergétiques. Cette réforme visait à relancer le secteur de la construction et à la rénovation, notamment des projets d' isolation thermique ou de panneaux solaires. Le coût projeté a grimpé à près de 160 milliards d’euros en seulement quatre ans, pesant lourdement sur les comptes publics italiens. Donc, une réduction graduelle de ces dépenses s’effectue afin de corriger les dépenses fiscales. Le crédit a été ramené à 90 % (2023), 70 % (2024) puis 65 % (2025), ce qui coupe la facture budgétaire de de 140 Mds à 99 Mds € (-41 Mds).

  1. Conditions plus strictes pour les retraites, le “quota 103”: 1,1 Md€ d'économie 

Initialement, ce quota permettait un départ anticipé à la retraite à 62 ans avec 41 ans de cotisation. En 2024, l'État italien a choisi de plafonner le montant de la pension à 4 fois le minimum (par rapport à 5 avant) et un allongement des délais d’attente. Dès le 1 janvier 2025, les seuils sont ramenés à l’âge légal (67 ans) et 43 ans de cotisations. Cette mesure a réduit la dépense en 2024 d’environ 1,1 milliard d’euros. L’âge légal de départ à la retraite a été repoussé à 67 ans.

  1. Réforme de la justice civile

Réduire la durée permettra de décongestionner les tribunaux, accélérer le processus de justice et moins de dépenses sur le système de justice civile. La durée moyenne d’un procès civil de troisième degré était estimée à 2008 jours (5 ans et 6 mois) contre 2512 jours en 2019, soit une réduction de 20,1% depuis les réformes du PNRR. L’objectif était d’atteindre une baisse de 40% d'ici juin 2026. Même si l'objectif semble hors d’atteinte, la réduction de 20,1% de temps passé démontre un rythme de réduction de dépenses non négligeable.

  1. Digitalisation & Généralisation de SPID/CIE

En 2024, la généralisation de SPID/CIE revient à déplacer les données de l'administration publique locale vers une infrastructure cloud sécurisée, permettant à chaque administration de choisir librement parmi un ensemble d’environnements cloud publics certifiés. Les chiffres estimant des économies sont encore non publiés, mais pointent vers moins de gestion administrative, de délais de permis, et de contrôles d’identité.

À titre de comparaison, l’Italie n’est pas la seule à adopter des systèmes centraux d’identité numérique. Leur adoption croît considérablement au fur et à mesure que la population adopte une identité civile numérique.

Voir l'image en plus grand
Source: Digital Innovation Observatories of the School of Management of Polytechnic University Milano
  1. Le Jobs Act & renforcement de politiques de l’emploi: 470 M€ d'économies

En Italie, le CDI est à “protection croissante”, prévoyant que la protection contre le licenciement (indemnités et procédures) augmente avec l’ancienneté du salarié. La favorisation du CDI se traduit par une baisse sensible des recrutements en contrats temporaires, ce qui générait une proportion élevée de dépenses de précarité (indemnités de chômage, réallocation travail, gestion administrative). En stabilisant davantage les parcours professionnels et en rapprochant plus efficacement les demandeurs d’emploi des postes vacants, la combinaison CDI à protection croissante et les politiques d’emploi poussés ont permis, en 2024, de réduire le coût global de la précarité et du chômage tout en augmentant les recettes sociales et fiscales, participant ainsi au redressement budgétaire italien. En 2024, la combinaison du contrat à durée indéterminée “à protection croissante” et du renforcement des politiques actives de l’emploi a dégagé un gain net pour les finances publiques d’environ 470 millions d’euros.

  1. Sortie progressive des aides d’énergie : 2 Mds € d'économies

En 2024, l’Italie a entamé le retrait progressif des mesures de soutien à l’énergie mises en place pendant la crise sanitaire (remises sur la facture, plafonnement des prix, ristournes fiscales), et ne maintient qu’une aide aux ménages les plus vulnérables. Selon le ministère de l’Économie et des Finances, ces dispositifs exceptionnels représentaient encore près de 0,4 % du PIB en 2023, mais leur prolongation au-delà de 2024 n’était plus soutenable pour les comptes publics. L’OCDE souligne que le coût cumulé de ces subventions, tout en ayant protégé la demande intérieure, contribue à creuser le déficit structurel et à retarder la normalisation du marché de l’énergie. En limitant les aides aux seuls ménages identifiés comme vulnérables (revenus très faibles, bénéficiaires de minimas sociaux, familles nombreuses), l’État italien réalise une économie nette d’environ 2 milliards d’euros sur l’exercice 2024.

  1. Loi annuelle pour le marché et la concurrence 2022-2023: 205 M€ d'économies

Cette loi annuelle de la concurrence 2022-2023 exige une ouverture des marchés locaux (taxis, réseaux gaz) afin de stimuler la concurrence et générer des gains budgétaires. L’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (AGCM) a vu ses prérogatives élargies, lui permettant d’examiner des opérations de concentration « sous-seuils » et d’imposer des remèdes structurels dans des secteurs clés (énergie, télécoms, transport maritime). En 2024, l’AGCM a ainsi ouvert 28 enquêtes sur ces concentrations et assorti 9 opérations de conditions de cession, engendrant environ 120 M€ de gains de concurrence. D’autre part, la suppression des plafonds de licences de taxis a permis à Rome, Milan et Naples d’émettre 3 500 nouvelles licences (+ 15 % du parc), ce qui a entraîné une baisse moyenne des tarifs de 8 % (course type de 10 km à Rome passant de 15,20 € à 14 €). Cela a dopé les recettes locales de TVA et IRAP de 18 M€ en 2024 . Parallèlement, la simplification du régime des concessions énergétiques (réduction des délais d’attribution de 150 à 90 jours pour le gaz) a fait chuter de 12 % les tarifs HT/km de distribution, économisant des centaines de millions d’euros aux collectivités et consommateurs. Enfin, l’obligation de mise en concurrence des services locaux (eau, déchets, transports publics) a généré une baisse de 15 % du prix de l’eau, 11 % du TARI et 12 % du coût kilométrique des bus en 2024, produisant environ 95 M€ d’économies pour les budgets locaux. Globalement, ces mesures ont renforcé l’efficience des marchés, accru la perception de recettes fiscales (amendes, meilleure collecte de TVA) de quelque 205 M€ en 2024 et contribué à la réduction du déficit, consolidant ainsi la trajectoire d’assainissement des comptes publics italiens.

Mesures en recettes : 

  1. Facturation électronique généralisée (SdI)

Afin d’assurer le respect des obligations fiscales et lutter contre la fraude, chaque facture doit obligatoirement transiter par le Sdl. Selon l’Italie, cette réforme a simplifié le processus de facturation et peut suivre en temps réel des performances des entreprises en matière de gestion des flux de trésorerie.

En 2019, la Cour des comptes italienne a estimé que l’Administration fiscale a pu récupérer 6 milliards d’euros de fraude grâce à la mise en place du Sdl. De 2018 à 2022, la fraude TVA est passée de 21,6 % (2018) à 10,6 % (2022), soit 16,3 Mds € récupérés sur ces quatre années. À présent, depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, même, les micro-entreprises doivent émettre des e-factures, soit près de 2,1 M de micro-entreprises. Des chiffres estimant les économies de 2024 ne sont pas encore disponibles, mais seront les fruits d’efforts de lutte contre la fraude fiscale déjà entamées depuis plusieurs années.

  1. La Réforme IRPEF: 4-5 Mds € d'économies

La réforme IRPEF est un impôt sur le revenu des personnes physiques. La réforme a visé à modifier les tranches d’imposition passant de 4 à 3. IRPEF à 3 tranches: 23 % jusqu’à 28 000 €, 35 % jusqu’à 50 000 €, 43 % au-delà. Cela permet de supprimer plusieurs niches fiscales (notamment celles jugées moins efficaces pour la croissance ou favorisant l’évitement fiscal), ce qui devait dégager un gain de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros dès 2024.

  1. Interconnexion des systèmes fiscaux et sociaux pour remédier à l’évasion fiscale

Grâce à l’interconnexion des systèmes fiscaux et sociaux - l’Agenzia delle Entrate (AdE) et l’INPS (Institut National de la Sécurité Sociale) - les deux corps échangent leurs bases de données afin de disposer de toutes les informations sur les revenus déclarés. Les mécanismes mis en place comprennent: des Déclarations pré-complétées, des échanges inter-administration et des outils de data mining. En 2021, l’évasion fiscale et la fraude aux cotisations sociales ont coûté à l’Italie environ 83,6 milliards d’euros. Des estimations des économies fassent n’existent pas à ce jour, mais promettent un renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale.

  1. Programme de privatisations 2024-2026: 20 Mds € d'économies

La NADAF (Nota di Aggiornamento del Documento di Economia e Finanza) fixe l’objectif de céder, entre 2024 et 2026, des participations pour un montant total de 20 milliards d’euros (soit environ 1 % du PIB), afin de générer des recettes. Parmi les groupes publics cédés: Monte Dei Paschi di Siene (MPS), Poste Italienne, L’ENI, Ferrovie dello Stato, ITA Airways… 

  1. Renforcement de la Digital Services Tax : 80 M  € d'économies

En 2025, l’Italie a supprimé le seuil de chiffre d’affaires de 5,5 millions d’euros précédemment requis pour l’application de la Digital Services Tax (DST) à 3 %, de manière à inclure dans son assiette fiscale l’ensemble des entreprises offrant des services numériques sur son territoire, y compris les plus petites plateformes, élargissant le chiffre à plus de 1600 entreprises. Autrefois réservée aux sociétés générant au moins 5,5 M€ de revenus en Italie, la DST s’applique désormais dès le premier euro perçu sur toute prestation numérique (publicité en ligne, places de marché, services de recommandation, etc.). D’après EY Tax News et PwC, cette extension devrait procurer un supplément de recettes de l’ordre de 80 millions d’euros en 2025, consolidant ainsi les ressources fiscales et soutenant de manière directe l’assainissement du solde public italien.

  1. L'Italie a créé “rientrio dei cervelli” (retour des cerveaux) pour attirer les entrepreneurs étrangers 

L’Italie devient une destination attractive pour les entrepreneurs. L’Italie possède un dispositif fiscal, dit “rientrio dei cervelli” (retour des cerveaux) permettant aux entrepreneurs ou aux fortunés étrangers qui transfèrent leur résidence fiscale en Italie de profiter d'un impôt sur le revenu forfaitaire plafonné de 200.000 euros. La taxation en matière de succession - et donc de transmission des entreprises - est aussi beaucoup plus faible: le taux qui s'applique en ligne directe est de 4 % après une exonération jusqu'à un million d'euros.