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Référendum budgétaire ? l’exemple des votations suisses

De tous les pays européens, la Suisse a un système politique à part. Son fonctionnement en démocratie directe confère un pouvoir très important au peuple. Divisée en 26 cantons et 2 115 communes, elle est administrée au niveau national par la Confédération. Environ quatre fois par an, les citoyens sont invités à s’exprimer sur des projets de loi lors de votations. Ces dernières interviennent lorsque les parlementaires ou les citoyens souhaitent modifier la Constitution — ce qui requiert 100 000 signatures en 18 mois — ou pour contester un projet de loi, avec 50 000 signatures en 100 jours. Le Premier ministre, François Bayrou, a évoqué la possibilité de recourir au référendum pour redresser les finances publiques françaises. Il est intéressant de se pencher sur certaines votations suisses pour éventuellement s’en inspirer. L'adoption du frein à l'endettement par votation (approuvé à 84,7 %) et la suppression du statut des fonctionnaires (adoptée à 66,8 %) sont particulièrement éclairants.

Le système de votations

Les citoyens suisses sont assez régulièrement invités à exprimer leur avis sur des lois et même sur des révisions constitutionnelles. Le pays propose trois types de votations[1] : l’initiative populaire, le référendum facultatif et le référendum obligatoire.

L’initiative populaire est proposée par un groupe constitué d’au minimum 7 et au maximum 27 citoyens. Le but de ce type de votation est de modifier la Constitution fédérale. Le groupe ainsi formé, est érigé en comité d’initiative et dépose son projet à la Chancellerie fédérale. Concernant le contenu du projet, la liberté est grande ; il peut s’agir d’un ajout, d’une modification ou d’une suppression d’un article. Le comité peut aussi remettre en question la Constitution dans son entièreté lors d’une révision générale. L’administration fédérale examine le texte pour juger de sa recevabilité. Les critères sont la cohérence formelle, la présence d'un unique sujet, le respect du droit international et la probabilité pour le projet d’être exécuté. Si l’avis est favorable, le comité d’initiative a 18 mois pour récolter 100 000 signatures parmi les citoyens. Le conseil fédéral organise la votation populaire et le parlement peut proposer un contre-projet. Pour être voté, le texte doit obtenir la double majorité du peuple et des cantons. Si c’est le cas, le Parlement est tenu de voter une loi d’application pour modifier la Constitution.

Le référendum facultatif est aussi proposé par des citoyens, mais cette fois pour s’opposer à une loi, un arrêté fédéral ou un traité international débattu par le Parlement. Chaque citoyen peut lancer le référendum et doit alors récolter 50 000 signatures en 100 jours. En cas de recevabilité, le Conseil fédéral organise la votation qui, pour être adoptée, ne requiert qu’une majorité simple (du peuple seulement)

Enfin, le référendum obligatoire a lieu lorsque le parlement souhaite effectuer une révision constitutionnelle. En cas de double majorité, la Constitution est modifiée, sinon, elle reste inchangée.

La question posée au peuple est généralement « Acceptez-vous la loi du [date] concernant [sujet] ? » Pour aider les citoyens à voter en ayant tous les éléments, le Conseil fédéral met à disposition une note explicative[2] qui explicite le projet et décrit les éléments en sa faveur et ceux en sa défaveur.

Le frein à l’endettement 

Le 2 décembre 2001, les Suisses ont massivement dit oui (84,7 %) à un frein à l’endettement constitutionnel. Un référendum marquant en matière de rigueur budgétaire [3]

Le 2 décembre 2001, le peuple suisse a approuvé à 84.7 % l’instauration d’un frein à l’endettement inscrit dans la Constitution. Il s’agit d’un dispositif simple à comprendre : les dépenses de l’Etat ne doivent pas dépasser ses recettes. Le Conseil fédéral (organe exécutif) et le Parlement sont désormais limités dans les dépenses qu’ils peuvent engager.

De ce fait, si le parlement souhaite engager des dépenses publiques plus importantes, il est soit limité par le montant actuel des recettes, soit contraint de les augmenter. Il en va de même pour la diminution des impôts. Si le parlement choisit de baisser la pression fiscale, il doit diminuer les dépenses de façon simultanée.

Le frein est calculé sur l’ensemble d’un cycle économique. Les déficits, courants en temps de crise, s’équilibrent avec les excédents dégagés en conjoncture haute. En effet, en époque de mauvaise santé économique, la consommation diminue et, par conséquent, les recettes aussi. C’est l’inverse en période de croissance.

Comme le montre le graphique de la dette de la Confédération suisse[4], le frein à l’endettement a engendré une baisse de la dette souveraine. Celle-ci a de nouveau augmenté lors de la crise du Coronavirus puis s’est stabilisée. Cela met en exergue l’aspect adaptatif du frein à l’endettement. Loin d’être rigide, le dispositif s’adapte aux crises. Il est en effet prévu qu’en cas de « situations extraordinaires (catastrophes naturelles, récessions graves), les Chambres fédérales pourront, à la majorité qualifiée, à savoir à la majorité des membres de chaque conseil, augmenter le plafond des dépenses. »

D’autres pays comme l’Allemagne et la Suède ont aussi adopté un dispositif de frein à l’endettement. 

Le statut de fonctionnaire

26 novembre 2000 : fin du statut de fonctionnaire, approuvée à 66,8 % via la nouvelle loi sur le personnel de la Confédération [5]

Une autre votation majeure pour l’organisation de la Suisse concerne la loi sur le personnel de la Confédération, à savoir les fonctionnaires, adoptée à 66,8 %. Pour augmenter l’efficacité du secteur public, l’Etat propose une refonte de son administration passant par la suppression du statut de fonctionnaire. Cela concerne la majorité des plus de 105 000 collaborateurs de l’administration, de La Poste et des Chemins de fer fédéraux. Outre l’efficacité, l’objectif de la loi est de maintenir une certaine attractivité dans ce secteur d’activité. L’Etat souhaite ainsi se positionner comme un employeur compétitif face aux entreprises.

Avant cela, c’est une loi du 30 juin 1927 qui régissait le personnel de la Confédération. Les fonctionnaires étaient alors nominés à la suite de « la mise au concours public de la fonction vacante ». En théorie, ils étaient nommés pour une durée de 4 ans. Dans la pratique, sauf faute grave, les contrats étaient renouvelés automatiquement.

Avec cette nouvelle loi, le personnel de la confédération passe dans le domaine privé. Le contrat fixe de 4 ans renouvelable est remplacé par un contrat à durée indéterminée. Toutefois, elle prévoit aussi une grande protection contre les licenciements et une certaine sécurité de l’emploi. Est aussi instaurée une appréciation périodique du personnel de telle sorte que les rémunérations soient alignées avec l’investissement et les prestations du travailleur. Ce dernier devra travailler avec des objectifs de résultat.

Le référendum a été déclenché par l’Union fédérative du personnel des administrations et des entreprises publiques et ses associations affiliées avec 84 000 signatures. L’organisation craignait un affaiblissement du service public et des licenciements massifs[6].

Malgré l'entrée en vigueur de cette loi en 2002, il reste des fonctionnaires en Suisse. C'est en particulier le cas dans les cantons qui n'ont pas tous abolit leur statut et les communes.

Autres exemples de votations fiscales ou budgétaires

Loi du 24 février 2008 visant à améliorer la fiscalité des PME approuvée à 50,5 % [7]

Cette loi qui cherche à réduire l’imposition des petites et moyennes entreprises a été adoptée avec 50,5 % de « oui ». Elle prend appui sur trois leviers. Le Conseil fédéral et le Parlement souhaitent alléger la double imposition des dividendes (auprès des entreprises puis auprès des détenteurs), abaisser la charge fiscale sur le capital et simplifier « la réorganisation des entreprises de personnes et facilite(r) leur réorientation économique ». 

26 septembre 2010 - Loi fédérale sur l’assurance-chômage, acceptée à 53,4 %[8]

Acceptée à 53,4 %, cette loi a pour but de restaurer l’équilibre financier de l’assurance-chômage. Pour se faire, elle prévoit une augmentation du taux de cotisations (de 2 % à 2,2 %), et une réduction des prestations de 500 millions de francs. Cela a pour but de stopper les déficits de ce dispositif et commencer à réduire la dette.

Le comité référendaire, à l’origine de la votation est frontalement opposé à des baisses de prestations.

25 septembre 2022 - Arrêté fédéral sur le financement additionnel de l’AVS par le biais d’un relèvement de la TVA approuvé  à 55,1 % [9]

Cet arrêté accepté à 55,1 % a comme objectif le rétablissement des finances de l’Assurance vieillesse solidarité (AVS). Cela passe par deux mesures majeures. Premièrement, l’âge de départ à la retraite des femmes est relevé et passe de 64 à 65 ans. Elles sont désormais sur un pied d’égalité avec les hommes. Le deuxième volet est le relèvement du taux de la TVA. Le taux normal passera ainsi de 7,7 à 8,1 %, le taux réduit, de 2,5 à 2,6 % et le taux spécial pour l’hébergement, de 3,7 à 3,8 %.

Le comité référendaire pointe les inégalités entre les rentes perçues par les femmes et celles des hommes. Il dénonce une réforme qui se fait majoritairement « sur le dos des femmes ».


[1] Les votations, comment ça marche ?, RTS, 10/11/2017 https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/economie-et-politique/systeme-politique-suisse/9075568-les-votations-comment-ca-marche.html

[2] Compilation des explications du Conseil fédéral depuis 1978, Chancellerie fédérale https://www.bk.admin.ch/bk/fr/home/documentation/compilation-explications-Conseil%20f%C3%A9d%C3%A9ral-depuis-1978.html

[3] Votation populaire du 2 décembre 2001, Explications du Conseil fédéral http://bk.admin.ch/bk/fr/home/dokumentation/volksabstimmungen/volksabstimmung-20011202.html

[4] La dette de la Confédération, Évolution de la dette nette et du taux d’endettement de la Confédération de 1990 à 2024, Département fédéral des finances, 24/03/2025 https://www.efd.admin.ch/fr/dette-de-la-confederation

[5] Votation populaire du 26/11/2000 https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/20001126/index.html  

[6] Explications du Conseil fédéral (26.11.2000)

[7] Votation populaire du 24/02/2008 https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/20080224/index.html

[8] Votation populaire du 26/09/2010 https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/20100926/index.html

[9] Message relatif à la stabilisation de l'AVS (AVS 21) https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2019/2267/fr