Rapport de la commission d'enquête sur les opérateurs : on peut aller encore plus loin !

Ce jeudi 3 juillet 2025, la commission d’enquête du Sénat relative aux Agences de l’État, vient de rendre ses conclusions et son rapport provisoire. Et quelques propositions disruptives sont au rendez-vous. Il faut dire que le terrain d’action de la commission est giboyeux : elle relève l’existence de quelques 1.153 organismes publics nationaux (hors sécurité sociale), incluant 426 opérateurs au sens budgétaire – puisque certaines fusions ont eu lieu depuis la présentation du PLF 2025 (qui affichait 434 entités). Elle examine également la pertinence des quelque 317 organismes consultatifs. Et formule des propositions de réorganisation : 2 fusions, 13 reprises d’activités par d’autres structures, 9 évolutions substantielles et 6 évolutions non substantielles… La commission formule par ailleurs près de 61 recommandations. Il s’agit d’un travail substantiel, mais qui apparaît avant tout comme une « mise à jour » et une prolongation des travaux déjà réalisés par le Conseil d’État (2012) et l’IGF (2012) sur le sujet, avec une nouvelle approche méthodologique. Pour la Fondation iFRAP (auditionnée dans le cadre de cette enquête), le sujet mériterait au bas mot d’y consacrer une revue annuelle, si l’on voulait réussir à baisser les charges de personnel et les coûts de fonctionnement de 8%, soit une économie de 2,2 Md€. La commission met par ailleurs en évidence qu’une réduction de 20% des coûts des seules fonctions support « du reste, très volontariste pour des opérateurs ne faisant pas l’objet d’une fusion » pourrait dégager à elle seule une économie de près de 540 millions d’euros. Reste à voir quelle résonance le Gouvernement voudra bien donner aux pistes esquissées pour mettre en musique son propre programme de rationalisation des agences de l’État dont on rappelle les principaux attendus : 2 à 3 milliards d’économies à horizon 2027 et la suppression d’1/3 des opérateurs de l’État – les organismes de recherche et d’enseignement supérieur étant sanctuarisés.
Un maquis d’organismes à la classification pour le moins confuse :
Le recours aux agences de l’État « s’est fait au cas par cas, sans doctrine claire de l’État. 30 ans plus tard, cette politique au fil de l’eau nourrit un sentiment justifié de complexité, de redondance et d’enchevêtrement entre tous ces acteurs. » Le rapport donne à voir un processus « d’agencification » sans coordination d’ensemble,
permettant à l’État de gérer l’action publique avec plus de souplesse et de productivité
Mais aussi comme un moyen d’attirer/ou de retenir des compétences techniques et opérationnelles faisant parfois défaut au sein de l’appareil étatique,
Elles constitueraient enfin une réponse à l’incapacité des ministères à programmer des actions transversales au long cours ;
Malheureusement comme le relève également le rapport, les agences une fois créées tendent à poursuivre et à étendre leur activité, et à définir elles-mêmes leur champ d’activité, ce qui dans des cas particulièrement techniques tend à inverser le rapport entre la tutelle et l’organisme sous tutelle : « asymétrie des moyens humains, plus haut niveau d’expertise technique, tutelle partagée entre plusieurs ministères renforcent les agences face à l’État central. Ces dernières prennent parfois l’initiative de nouvelles attributions au-delà de leur simple rôle d’exécution : conception des politiques publiques, voire élaboration de la norme en lieu et place de l’État. »
Il en résulte logiquement un grand éclatement des structures (par sédimentation) et un enchevêtrement croissant des compétences et des financements. La commission d’enquête du Sénat a ainsi pu identifier près de 1.169 organismes publics nationaux identifiés par la Direction du Budget. Sur cette somme la commission en a retraité 16 comme appartenant au périmètre des établissements relevant du code de la Sécurité sociale. Le périmètre retenu par l’enquête a donc concerné 1.153 organismes, dont 426 opérateurs au sens budgétaire, et non pas 434 comme dans le « jaune opérateur » annexé au PLF 2025 dans la mesure où des fusions sont intervenues depuis. La mission ne s’est pas davantage interrogé sur le champ des ODAC recensés par l’INSEE (701) pourtant le seul périmètre pertinent au sens de la comptabilité nationale, pour se recentrer uniquement sur les opérateurs de l’État, ainsi que les 317 agences consultatives dont la rapporteur estime que les coûts indiqués (30 M€ redressé par la commission à 50 M€) « ne correspondent qu’à certains coûts directs et pas aux coûts indirects, bien plus élevés, notamment salariaux, induits par la participation aux réunions ou à leur préparation. »
Des défauts de tutelle repérés, mais aucun chiffrage :
La commission d’enquête « a constaté, non sans surprise, l’absence de vision consolidée de la situation financière des agences, opérateurs et organismes consultatifs ». Un suivi comptable est assuré entité par entité par la Direction du budget et le CGEFI, mais « cette vision ne dit rien de l’activité réelle des établissements, ce qui réduit fortement la capacité de pilotage du pouvoir exécutif ou de contrôle du Parlement. » D’ailleurs « trop d’établissements sont dépourvus de contrat d’objectif et de performance (COP) ou de contrats d’objectifs et de moyens (COM) et l’envoi d’une lettre de mission au dirigeant n’est pas systématique. » Il n’y a donc pas de conception unifiée de l’exercice des tutelles au niveau de l’État.
En effet, si en 2020 la Cour des comptes relevait que 22% seulement des opérateurs avaient une COP, ce montant s’élève à 43% en disposaient au sein du PLF 2025 les couvrant jusqu’à la fin 2024, mais seulement 30% des opérateurs jusqu’à la fin 2025. Ces chiffres dépassent largement les 78 opérateurs du monde universitaire qui n’en disposent pas à raison de leur autonomie administrative, ni les EPSCP. On retrouve en particulier des opérateurs gérant des fonds importants tels que l’AFITF, l’Ademe, l’ASP, l’ANCT, l’AFPA, l’AEFE, France Compétence, l’INSP, « en outre aucune Agence régionale de Santé ne dispose d’un COP à jour. [1]» La commission recommande par ailleurs l’usage systématique et le suivi d’exécution d’un COM lorsqu’une trajectoire financière à la baisse est déterminée, afin de pouvoir mesurer la réalité des économies dégagées et le respect de la trajectoire financière assignée.
Dans certaines circonstances, on passe ainsi d’une relation d’autonomie à une autogestion de fait : « le rapporteur a eu à connaître un projet de COP directement rédigé par le directeur de l’opérateur comme en atteste la signature électronique du document. » Dans ces conditions « l’agence peut être tentée de reconstituer une structure administrative entièrement autonome du ministère » ce qui induit nécessairement des doublons avec la structure de tutelle, mais aussi avec les autres agences dépendantes de celle-ci (d’où les gains potentiellement attendus sur les « fonctions support » à mutualiser)… cette approche débouche sur un autre défaut : celui de missions qui n’ont pas de fin. La mise en place d’un établissement pour un besoin ponctuel, l’amène à concevoir la pérennisation de sa mission dans le temps et son évolution quand bien même le besoin initial aurait disparu (on peut voir les prémices de cette approche au travers de la Société du Grand Paris, devenue en décembre 2023, la Société des grands projets).
Cette absence de stratégie globale ou même sectorielle, quant au pilotage des agences, se retrouve malheureusement également au niveau du suivi du parcours des agents eux-mêmes par les ministères de tutelle. « L’administration a reconnu ne pas connaître la proportion de fonctionnaires effectuant une mobilité au sein d’une agence. »
Au niveau des territoires, recentrer l’action des agences autour du PréfetFace à la multiplication des interlocuteurs intervenant dans des dossiers communs, la commission d’enquête propose dans les territoires de rationaliser l’action publique en simplifiant les circuits de financement, mais aussi l’instruction des dossiers en renforçant le rôle du préfet à l’échelle locale, comme point d’accès unique aux financements :
Enfin pour les entreprises le point d’entrée serait le préfet de région, puisque c’est à ce niveau que l’administration territoriale est compétente en matière de développement économique ; |
Les opérations de « rationalisation » proposées par la commission d’enquête :
La commission formule par ailleurs des recommandations en matière de réorganisation de certains opérateurs, en proposant du « sur mesure » :
En matière de fusions : la commission propose une réorganisation des structures de formation professionnelle pour adulte, et la fusion de l’AFPA et des Greta.
Des transferts de financement à des structures disposant d’une masse critique suffisante : Ainsi l’AFITF serait réinternalisée dans l’administration centrale du ministère des Transports ; les activités de financement de France Compétence seraient transférées à la Caisse des dépôts et consignation (CdC) ; les activités de versement d’aides simples seraient transférées à l’Agence de services et de paiement (ASP), permettant d’en délester l’ANAH (agence nationale de l’amélioration de l’habitat).
Des suppressions : la mission n’en propose pas formellement, mais propose, comme au Royaume-Uni, la mise en place d’une revue des missions systématique tous les 5 ans.
La mutualisation des fonctions support : cela permettrait de conserver une autonomie administrative pour certaines structures tout en mutualisant leurs fonctions support sous égide de leur tutelle : par exemple s’agissant des écoles d’art et d’architecture.
Les évolutions possibles sont proposées en deux ensembles : l’un a activé à court terme, l’autre devant maturer encore un peu :


La Fondation IFRAP se félicite des suppressions proposées, notamment s’agissant de l’ANRU, de l’ADEME (qui serait toutefois préservée pour des missions résiduelles), de l’ANCT, du CELRL, du Marais poitevin et des ARS. Par ailleurs l’OFB acquerrait un rôle central en regroupant les compétences du CELRL, mais aussi des parcs nationaux et peut-être de l’Établissement du Marais poitevin. On s’interrogera sur le traitement social réservé à l’AFPA regroupé avec les GRETA plutôt que supprimées et la convergence à terme de l’ensemble avec le réseau du CNAM… on peut y voir la volonté de limiter la casse sociale tout en diluant les déficits.
On ne comprend pas nécessairement pourquoi Business France et Atout-France ne se rapprocheraient pas l’un de l’autre voir qui fusionnerait…
Conclusion :
Le travail de la commission d’enquête sénatoriale est à la fois exploratoire et proportionnel. Malheureusement il est encore trop faiblement chiffré. Il mériterait d’être prolongé par une mission d’inspection cherchant à reconstituer les éléments manquants : coûts de tutelle, consolidation des budgets des agences, gestion précise des effectifs, niveaux des plus hautes rémunérations, « évaporation des talents » une fois passés par les opérateurs vers le privé, etc. Par ailleurs la clause de revoyure tous les 5 ans pour justifier de la validité des agences en place est intéressante, mais nous pensons qu’un rapport d’enquête du Parlement chaque année serait bien plus enclin à assurer un suivi serré des agences. Le rapport laisse par ailleurs peu de place à une réflexion sur l’évolution du jaune budgétaire afin de le rendre plus opérationnel. Il laisse également à l’écart le traitement comptable de ces agences par l’INSEE, alors que seul le budget des ODAC fait foi au niveau central dans le cadre de la comptabilité Maastrichienne… Les conclusions sont donc engageantes, mais mériteraient d’être rapidement étoffées par d’autres, plus précises, encore afin de renforcer le contrôle du Parlement sur ces entités.
[1] L’outil de suivi des COP n’est d’ailleurs pas exhaustif puisqu’il ne couvre que 374 opérateurs sur les 434 listés dans le jaune opérateur annexé au PLF 2025.