Agences de l’État : on attend toujours la transparence

Les agences de l’État manquent de transparence, et c’est peu de le dire… comme si l’on voulait éviter que les parlementaires français ne puissent véritablement contrôler leurs comptes. Pourtant les budgets alloués sont importants, près de 5,3% du PIB en dépenses, 5,2% du PIB en recettes (soit respectivement 160 Md€ et 153,5 Md€). Et rien n’est fait pour que l’on puisse en contrôler la gestion. Les comptes de ces entités sont très inégalement publiés, tout comme leur rapport social unique, par ailleurs leur périmètre n’est pas complètement couvert dans la mesure où les agences de l’État recouvrent 4 groupes différents : les opérateurs de l’État (434 en 2024) qui possèdent une annexe budgétaire spécifique publiée avec le PLF, mais aucun document symétrique en exécution. Il n’est ainsi pas possible de savoir si le plafond d’emploi a été correctement respecté opérateur par opérateur. S’agissant maintenant des ODAC (organismes dives d’administration centrale) dont la liste est publiée avec 2 ans de retard par l’INSEE, on ne dispose pas de document budgétaire associé ni de détail de leurs comptes hors exécution, alors même que ce sont eux seuls qui font foi du point de vue européen. Il n’y a pas de suivi des emplois publics qui leur sont associés. Enfin on trouve encore deux ensembles : les entités dotées d’un comptable public (EDCP) comme l’a mis en évidence l’inspection des finances en 2012 – catégorie qui ne tient pas compte de l’existence d’une personne morale distincte de l’État – leur liste n’est pas tenue à jour pour les Parlementaires. Enfin les autorités administratives indépendantes (AAI) au nombre de 16 qui n’appartiennent pas aux ODAC (contrairement aux 8 autorités publiques indépendantes) et qui sont considérées en comptabilité nationale comme appartenant à l’État. Nous ne traiterons dans les développements qui suivent que des deux premières catégories et de la quatrième.
Les agences de l’État : un ensemble composite de 792 entités en 2024 :
Les agences de l’État que nous parvenons à identifier sont composées de 792 entités qui se recouvrent en partie.

Ainsi, les opérateurs (434 entités) représentent 54,8% de l’ensemble des agences de l’État, mais ces derniers sont très largement repris dans la catégorie des ODAC puisque 82,7% des opérateurs sont des ODAC. Les opérateurs hors du périmètre ODAC sont seulement au nombre de 75 entités (soit 17,3% des opérateurs). Elles sont cependant importantes : on trouve ainsi France Travail (ex-Pôle Emploi) qui est classée en comptabilité nationale dans les ODASS (organismes divers de sécurité sociale) ou la Société des Grands Projets (ex Grand Paris) classée quant à elle en comptabilité nationale dans les ODAL (organismes divers d’administration locale).

En revanche les ODAC sont des opérateurs à seulement 51,2%, près de 342 n’en sont pas soit près de 48,8%. On y trouve en particulier les 8 autorités publiques indépendantes par exemple. En revanche, on doit ajouter à ce total les 16 AAI (autorités administratives indépendantes) qui représentent 2% de l’ensemble des agences.
Des dépenses de personnel en augmentation de près de 15,5% en 4 ans :
Ce périmètre, les dépenses de personnel représentent près de 35 Milliards d’euros en 2023, portés principalement par la catégorie budgétaire des « opérateurs de l’État ».

On relèvera que les opérateurs non ODAC possèdent une masse salariale importante de l’ordre de 17% de l’ensemble, tandis que les ODAC non-opérateurs présentent au contraire une masse salariale très faible (1,3 Md€) et les AAI une masse encore plus petite de 0,2 Md€. Pour 2024 nous anticipons des dépenses totales de l’ordre de 37,1 Md€ (en attendant que les comptes des ODAC 2024 soient connus en mai 2025).

Relevons que la masse salariée des « agences » est très dynamique puisqu’entre 2021 et 2024, celle-ci a augmenté de près de 15,5%. Ce dynamisme est en partie causé par les mesures de revalorisation salariales intervenues entre 2022 et 2023, mais aussi par la dynamique des effectifs.
Des effectifs très dynamiques quel que soit le point de référence :
Les effectifs des « agences » sont difficiles à suivre. On dispose essentiellement de 2 références : les plafonds d’emploi des opérateurs publiés en loi de finances (mais dont on ne connait l’exécution que 3 ans plus tard), ainsi que ceux des agences administratives de l’État dans l’annexe dédiée (seuls les plafonds des API sont édictés en lois de finances). Enfin les effectifs des établissements publics de l’État publiés par l’INSEE à l’occasion de sa décomposition des effectifs des agents publics. Les deux premiers sont exprimés en ETPT (équivalents temps pleins travaillés), les seconds le sont en effectifs physiques. Les établissements publics sont une catégorie statistique qui ne semble pas parfaitement recouper celle des ODAC pour lesquels on ne dispose pas de plafonds spécifiques.
Entre 2016 et 2025, les plafonds d’emplois des opérateurs ont augmenté de 5,9%, soit +26.664 ETPT. En 2025 le plafond des opérateurs est de 479.539 ETPT. Parallèlement les effectifs des AAI/API s’établissent à hauteur de 5.315 ETPT, soit une augmentation de 71,7%.
Si l’on veut maintenant rabattre ces effectifs sur ceux des établissements publics connus jusqu’en 2022, la décomposition serait la suivante :

Entre 2016 et 2022, les variations d’effectifs ne seraient que de +1,7%, mais de +9,2% entre 2018 et 2022. Ce périmètre bien qu’imparfait permet de neutraliser les effets d’entrée/sortie que l’on remarque dans les catégories opérateurs depuis quelques années, et significativement jusqu’en 2022 où leur nombre s’est stabilisé.

Le volume d’emploi total géré par les « agences » de l’État représente alors exprimé en EQTP et compte tenu des difficultés méthodologiques pour obtenir un résultat comparable et objectivable[2], représente pour les dernières données disponibles en EQTP environ 23,2% du total des emplois dans la FPE en raison notamment de la présence des universités en leur sein. Par rapport à l’emploi total, cette proportion est de 10,4%. On constatera en faisant abstraction de l’année 2020 couverte par la Pandémie de Covid, une augmentation significative par rapport à 2019 de +0,7 point par rapport à l’emploi total y compris les contrats aidés dans la FPE et de +0,3 point par rapport à l’emploi total.

Sources : INSEE, 2021[3] et 2024
Si l’on prend une focale beaucoup plus large, voir historique en ne considérant que le volet EPA (établissements publics) dans la fonction publique d’État par rapport à ceux existant dans la FPT, on comprend la montée en puissance très importante des effectifs des agents de l’État (effectifs physiques) travaillant dans les « agences ». On peut visualiser ainsi le processus d’agenciarisation dans la FPE entre 1996 et 2022 en suivant les effectifs des EPA (ce mécanisme n’est malheureusement que partiel, puisqu’il n’inclut pas certaines associations comptabilisées pourtant au sein de opérateurs) :
Entre 1996 et 2022, les effectifs dans les EPA de la FPE (centraux) sont passés de 160.000 agents à près de 570.000, soit une multiplication par 3,56. Dans le même temps au sein de la FPT, les effectifs employés dans les EPA locaux étaient multipliés par 2,6, passant de 213.300 à 562.100. Alors que les effectifs des EPA centraux représentaient 75% des effectifs des EPA locaux comparativement, en 2022, les EPA centraux disposent d’effectifs représentant 101% des EPA locaux.
Par rapport à l’emploi public total, les EPA centraux sont passés de 3,5% de l’emploi total à 10% de ce même emploi, les EPA locaux passant quant à eux de 4,6% à 9,9%.

Un budget des « agences » de l’ordre de 155,9 milliards d’euros en 2024 :
Si maintenant nous considérons le budget total des agences, celui-ci atteint près de 155,9 milliards d’euros en dépenses, pour 153,5 milliards d’euros en recettes, soit un déficit de -2,3 milliards d’euros.

Source : INSEE, et documents budgétaires, retraitement Fondation iFRAP avril 2025
Pour limiter les effets de retraitement comptable, nous avons pris pour référence les budgets primitifs des opérateurs en 2024 en comptabilité générale, puis neutralisé l’ensemble des écritures d’ordre. Nous obtenons donc des résultats en comptabilité d’engagement que nous pouvons plus facilement comparer aux budgets des ODAC en comptabilité nationale, que nous anticipons en exécution pour 2024. Il apparaît qu’avec cette méthode le déficit principal est constitué sur la catégorie des Opérateurs, hors ODAC ou avec ODAC et des ODAC hors opérateurs.

Convertis en points de PIB, les dépenses sont de 5,3% du PIB contre des recettes de seulement 5,2% du PIB avec une participation au déficit public de 0,1 point de PIB.

Le mirage de la suppression des « comités Théodule »
Les comités Théodule sont des organismes consultatifs placés auprès des ministères et disposent de leur propre annexe budgétaire. Leur nombre est élevé, mais a beaucoup baissé ces dernières années (313 en 2023[5], 317 en 2024). Leur coût bien qu’en augmentation significative depuis 2020 ne représentent actuellement que 30,88 M€. Il faudra attendre la publication de la loi relative à la simplification de la vie économique, actuellement en cours de discussion devant l’Assemblée nationale, pour savoir combien d’instances consultatives supprimées. ![]() |
L’endettement des agences de l’État, 104,3 Md€ en 2023 :
S’agissant de l’endettement total des agences de l’État, on peut s’appuyer sur la dette en format comptabilité nationale calculée par l’INSEE pour les ODAC et lui ajouter celle renseignée dans le jaune budgétaire pour les opérateurs hors champ ODAC. Les résultats sont assez variables notamment à raison des « reprises de dette » opérées sur le champ ODAC (par exemple s’agissant de la dette SNCF réseau en 2022) par l’État. Du côté des opérateurs hors ODAC, il s’agit de la dette recensée hors dette hors bilan. Sous ces réserves nous avons ainsi la dette suivante :

La dette en 2022 est plus faible du fait de la reprise de dette intervenue par l’État, par ailleurs à date la dette des opérateurs hors ODAC était résiduelle dans la mesure où la dette de la Société du Grand Paris (devenue société des grands projets) n’était pas encore affichée à sa pleine mesure. C’est chose faite en 2023, aboutissant à une augmentation de la dette des opérateurs hors ODAC de quasiment 28 Md€ à champ courant. La dette totale des « agences » passe ainsi de 75,1 Md€ à 104,3 Md€ alors même que l’on assiste à un mécanisme de « désendettement » sur le champ des ODAC (-4,5 Md€ en 3 ans).
En volume, la dette des agences passe entre 2022 et 2023 de 2,8% du PIB à 3,7%. Tirée par la dette des opérateurs hors ODAC et notamment par la dette portée par la SGP (Société des grands projets), dont l’imputation en comptabilité nationale est réalisée au sein du secteur local (c’est un ODAL).
Conclusion :
Fortes de 792 entités identifiables en 2024, les « agences de l’État » représentent un budget de près de 156 Md€ en 2024, soit 5,3% du PIB. Ils emploient des effectifs nombreux et en constante augmentation représentant 10,4% de l’emploi public total et près de 23,2% de l’emploi public central en 2022. Sur longue période l’agenciarisation de l’État est visible par le déploiement des effectifs de ses seuls EPA, en comptabilité nationale (INSEE/DGAFP). Entre 1996 et 2022, leurs effectifs ont été multipliés par 3,6.
Côté masse salariale, les agences pèsent en 2024 37,1 Md€ soit +15,5% depuis 2021 et représente en pourcentage du PIB près de 1,3% du PIB, une situation relativement stable depuis 3 ans. Précisons enfin que l’endettement de ces organismes n’est pas faible soit 3,7% du PIB en 2023, qu’il subit de fortes variations sur ses composantes ODAC comme Opérateurs hors ODAC, ce qui en fait un segment qu’il faut surveiller davantage.
En réalité, le très fort émiettement des structures conjugué à la faible publication de leurs comptes, explique que l’on puisse s’interroger sur les gisements d’économies qu’ils comportent notamment en matière de recouvrement de compétences, de coûts de coordination et de tutelle voir de trésorerie. Ce qui interroge le plus c’est que « les opérateurs » renseignés dans les documents budgétaires ne comportent pas de données détaillées d’exécution de leurs comptes des années antérieures, alors même que ce périmètre n’est d’aucun secours pour un pilotage pertinent des ODAC qui seuls font foi dans le référentiel Maastrichtien et qui ne sont pas détaillés opérateur par opérateur. Pour clarifier la question des agences, il faudrait a minima, définir :
Une présentation des « opérateurs » en comptabilité nationale en « format » État + ODAC
Une présentation détaillée des comptes des ODAC consolidés et éclatés entité par entité ;
Disposer d’un prévisionnel, d’un budget initial et d’une exécution pour chaque entité dans les 3 métriques disponibles : comptabilité générale, comptabilité nationale et lorsqu’elle existe comptabilité budgétaire – avec présentation du compte de résultat, du bilan et de la trésorerie disponible (report à nouveau, etc.) comme actuellement pour les AAI/API.
Mettre en place un tableau de bord de l’ensemble des entités supervisées avec publication des documents comptables lorsqu’ils sont disponibles. La fiabilisation de la discussion budgétaire devrait aboutir à une synchronisation de l’ensemble des exercices de ces entités avec des dates impératives de clôture et de publication des comptes selon un calendrier impératif à respecter.
Ajouter enfin un suivi spécifique des entités dotées d’un comptable public avec ou sans personnalité morale (EDCP) comme y incitait l’IGF dans son rapport de 2012… recensement et publication jamais réalisée depuis.
La mise en place de l’ensemble de ces dispositifs devrait permettre de limiter les entrées et sorties intempestives des périmètres sous supervision. Pour bien faire, il faudrait y ajouter toutefois un suivi macro-budgétaire des ODAL et des ODASS, actuellement non assuré au-delà des travaux de consolidation de l’INSEE. Seule une sortie du périmètre public comme par exemple pour l’ERAFP récemment pourrait fiabiliser le suivi budgétaire de ces entités. En comptabilité nationale, devrait également être précisé pour chaque entité le périmètre d’intégration dans les APU qui est parfois partiel (BPI, Caisse des dépôts, etc.).
[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2493501
[2] Voir INSEE, L’emploi dans la fonction publique en 2022, INSEE Première n°2003, juillet 2024.
[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6215551
[4] https://www.fonction-publique.gouv.fr/toutes-les-publications/levolution-des-effectifs-dans-la-fonction-publique-en-2022
[5]https://www.ifrap.org/fonction-publique-et-administration/la-suppression-de-36-comites-theodule-ne-suffira-pas-contre-la-gabegie