Tribune

«Il faut à la fois supprimer, fusionner et privatiser»

Le Premier ministre veut économiser 40 milliards d’euros pour redresser les finances publiques. L’objectif est réaliste, pour Agnès Verdier-Molinié, si l’on s’attaque aux dépenses des collectivités territoriales, de l’État et de la Sécurité sociale.

Cet entretien a été publié dans le Journal du Dimanche le 14 mai 2025. Les propos ont été recueillis par Lara Tchekov

Le JDNews. Le Premier ministre François Bayrou cherche 40 milliards d’euros pour réduire le budget de l’État. Est-ce une ambition crédible selon vous ?

Agnès Verdier-Molinié. Oui, c’est tout à fait crédible. C’est un peu comme dire : « Je dépense 1 700 euros et je dois faire 40 euros d’économies. » Ce n’est pas insurmontable. Le vrai problème, c’est qu’en France, on n’a jamais vraiment appris à économiser. Même en 2025, on dit qu’on fait soi-disant des économies. En réalité, on dépense cette année 40 milliards d’euros de plus que l’année dernière. On a une drôle de manière de concevoir les économies. Pourtant, d’autres pays sont passés par là et ont réussi, comme la Suède, l’Allemagne ou le Portugal, à freiner, voire baisser en valeur, leurs dépenses. Trouver 40 milliards d’économies en 2026, c’est possible, c’est souhaitable. Parce que si on ne le fait pas, ce seront plus d’impôts pour les Français et les entreprises.

Une partie de ces économies pourrait venir des collectivités territoriales, qui représentent à elles seules 20 % des dépenses publiques. La Fondation IFRAP publie aujourd’hui une étude exclusive que vous nous dévoilez qui montre qu’il serait possible d’y économiser entre 7 et 8 milliards d’euros. Comment parvenir à ce chiffre ?

Il faut baisser les dépenses de fonctionnement. Ce qui ressort de notre étude à paraître, c’est qu’en regardant les régions, départements, intercommunalités et grandes communes, on constate une chose : si toutes ces collectivités s’alignaient simplement sur la moyenne des dépenses de fonctionnement par habitant, on économiserait entre 7 et 8 milliards d’euros. Et si on s’alignait sur les 10 % des collectivités les moins dépensières en fonctionnement, ce serait 30 milliards d’euros ! Cela montre que certaines collectivités sont très bien gérées, d’autres beaucoup moins. Il y a clairement des marges de manœuvre. Et il faut souligner ici que nos chiffrages d’économies possibles excluent les dépenses sociales et les dépenses d’investissement.

À la Fondation IFRAP, avez-vous aussi identifié des possibilités d’économies du côté de l’État et de la Sécurité sociale qui, avec les collectivités, forment les trois grands blocs de la dépense publique ?

L’État a déjà commencé à se serrer la ceinture entre 2023 et 2024. En revanche, ce sont les opérateurs de l’État qui continuent à augmenter leurs dépenses : s’ils avaient suivi la même trajectoire que l’État, on aurait pu économiser près de 800 millions d’euros supplémentaires en 2024. Ce n’est pas négligeable. Du côté de la Sécurité sociale et des collectivités locales, les dérapages sont encore plus nets. Dans une note récente sur les comptes de la comptabilité nationale 2024, nous avons montré que les administrations publiques locales ont augmenté leurs dépenses de 13,9 milliards sur un an. Les principales fuites viennent donc des administrations locales, des administrations sociales dont les dépenses augmentent de 40,3 milliards d’euros en 2024.

Le niveau de rémunération des fonctionnaires et l’augmentation de leurs effectifs expliquent-ils en partie la difficulté à contenir les dépenses des collectivités ?

Oui, bien sûr. Ce que montre notre étude, c’est qu’une bonne partie des économies réalisables provient d’un alignement sur les dépenses moyennes de personnel. Environ 3 milliards d’euros, en s’alignant sur la moyenne de chaque strate, et jusqu’à 13 milliards d’euros, en rejoignant les 10 % des collectivités les moins dépensières. Les Pays de la Loire, par exemple, sont la région la plus sobre en dépenses de personnel et de fonctionnement par habitant (hors cas particulier de l’Île-de-France). Si toutes les régions adoptaient le niveau de dépenses des Pays de la Loire, cela représenterait, en effet, une économie de 3 milliards d’euros par an rien que sur le fonctionnement. Il est donc évident que les efforts doivent porter sur la maîtrise des dépenses de fonctionnement et de la masse salariale.

Vous mentionnez également les opérateurs de l’État, au nombre de 434. Revoir leurs missions pourrait-il constituer une autre source d’économies ?

Il faut à la fois supprimer, fusionner et privatiser. Certaines agences interviennent sur des secteurs similaires et pourraient être regroupées. D’autres, trop petites, gagneraient à être fusionnées entre elles ou simplement supprimées. Il existe aussi des doublons évidents à éliminer, notamment dans les agences qui interviennent sur le champ de l’environnement. Par ailleurs, certaines entités pourraient être privatisées, d’autres rebudgétisées. Le vrai problème, par comparaison à d’autres pays, c’est la superposition : nos opérateurs doublonnent souvent l’action des ministères, voire celle des caisses sociales. Il faut donc évaluer chaque agence à l’échelle de l’ensemble des organismes publics intervenant sur le même champ.

Faudrait-il aussi réduire les subventions versées aux associations, que ce soit par l’État, les collectivités, la Sécurité sociale ou les opérateurs ?

Bien sûr, il ne s’agit pas uniquement de subventions : il y a aussi des commandes publiques. Certaines associations bénéficient d’une véritable délégation de service public – pour gérer des crèches, des Ehpad, etc. On parle de 23 milliards d’euros de subventions par an et de 30 milliards de prestations. Il est donc essentiel d’exiger une transparence totale sur les comptes. Or, de nombreuses associations subventionnées ne les publient pas. Et c’est pareil pour les opérateurs : sur 434, seuls 190 rendent, en effet, le détail de leurs comptes publics.

La réforme de l’assurance chômage doit-elle se poursuivre ? Faut-il envisager une nouvelle réforme des retraites ? Combien ces réformes pourraient-elles rapporter ?

Pour 2026, ce sont 40 milliards d’euros qu’il faut trouver, et 110 milliards d’euros pour 2029. À l’IFRAP, nous avons estimé qu’une réforme de l’assurance chômage permettrait 3 à 4 milliards d’euros d’économies. Pour les retraites, la réforme (report de l’âge à 66 ans en 2033 et désindexation partielle) permettrait d’économiser 20 milliards d’euros d’ici 2033, dont 5 milliards dès 2026. Sur le chômage, il est nécessaire d’instaurer une dégressivité des allocations. En France, cela pourrait passer par une baisse de 5 % de l’indemnisation à partir du neuvième mois, suivie d’une nouvelle réduction de 3 % les mois suivants.