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100 milliards d'euros pour France Relance : un chiffrage gonflé

100 milliards d'euros. La valse des milliards continue. Le plan de relance est programmé sur deux ans. La bonne nouvelle ?  Enfin arrive la baisse des taxes sur la production qui plombent nos entreprises ! La mauvaise ? Ce ne sera pas 20 milliards d'euros de baisse de ces taxes mais seulement 10 (mais comme on les compense aux collectivités locles pendant deux ans... ça ferait vingt!). Dommage car si le gouvernement veut la création d'emplois pérennes (il en escompte 160 000 créés en 2021 grâce au plan), il faudrait tabler sur 20 puis 30 milliards d’euros de baisse des taxes sur la production. C’est le levier le plus efficace pour créer des emplois dans les entreprises. Selon nos estimations une baisse de 27 milliards permet de créer plus de 420 000 emplois dont 100 000 dans l’industrie. Dans un pays où les entreprises assument en moyenne 100 milliards de plus d’impôts par an par rapport à leur homologues de la zone euro, et près de 77 milliards d'impôts de production en 2018, il y a urgence. Le risque ? Tomber dans le saupoudrage. 

Attention à la reproduction des errements des précédents plan de relance

Lors de la conférence à Matignon du 3 septembre 2020 le Premier ministre Jean Castex a détaillé les mesures du Plan de relance, France Relance, qui devait être originellement présenté le 24 août. Avec 100 milliards celui-ci peut apparaître massif. Il cherche en tout cas à éviter au moins ostensiblement les insuffisances des plans de relance précédents à commencer par celui de 2008 (24 milliards à l’époque). Ce plan devrait prendre le relai du Plan d’urgence de près 460 milliards dont 136 milliards d’euros de plan de soutien (et 58,5 milliards impactant directement le solde public) déclenché au printemps 2020.

Le plan de 100 milliards est un pari pour relancer l’économie française. Un pari audacieux puisqu’il sera presque exclusivement focalisé sur l’offre (et non sur la demande). L’offre qui doit permettre de développer la croissance potentielle de l’économie française avec pour objectif +1 point à horizon 2030. Un pari sur la dette, puisque le gouvernement ne veut être jugé que par sa capacité à effacer une partie de la crise en retrouvant les fondamentaux de l’économie française de 2019 en 2022 et en effaçant la dette Covid à compter de 2025. Disons-le tout de suite c’est très ambitieux. D’autant plus ambitieux que ce beau programme de relance pourrait être effacé par la politique monétaire de la BCE si l’euro se renforce trop face au dollar au risque de détruire la compétitivité que l’on espère retrouver. C’est pourquoi la Fondation iFRAP estime qu’au-delà des mesures sectorielles retenues qui parfois font la part belle à l’investissement public plutôt que privé et aux subventions, ce sont les taxes sur la production qui devraient être massivement activées. Certes, le gouvernement table sur 20 milliards d’euros de baisse d’impôt sur la production. Mais c’est 20 milliards représentent plutôt 10 milliards de baisse la première année suivie d’une « non-hausse » la deuxième, et encore brut de tout retour d’IS (impôt sur les sociétés) de l’ordre 3 à 4 milliards. Les montants des taxes sur la production nous semblent quelque peu survendues. Tandis qu’aucune trajectoire complémentaire en matière de baisse des impôts de production n’est proposée à ce stade.

I. Transition écologique (axes de verdissement)

30

Transport

11

dont SNCF

4,7

dont soutien à l'achat de véhicules propres

1,9

dont transports en commun et vélo

1,2

Bâtiment

7

dont bâtiments publics

4

dont rénovation énergétique des logements

2

dont rénovation lourde du parc HLM

0,5

Autres

0,5

Energie et technologies vertes

9

dont marchés clés dans les technologies vertes

3,4

dont aéronautique et automobile

2,6

dont hydrogène

2

dont nucléaire

0,4

Transition agroécologique

1,2

Autres (Economie circulaire)

1,8

dont décarbonation de l'industrie

1,2

Economie circulaire (recyclage et déchets)

0,5

Milieu marin

0,25

II. Compétitivité et innovation

34

Baisse des impôts de production

20

Renforcement des fonds propres des entreprises (relai des PGE)

3

relocalisation des la production industrielle (subventions directes appel à projet)

1

dont territoires d'industrie

0,4

dont projets de relocalisation

0,6

Soutiens aux métiers porteurs (informatique quantique, hydro, numérique (PIA 4)

11

III. Cohésion sociale et territoriale

36

Emploi et formation

15,3

Plan jeune (présenté durant l'été): Aides à l'embauche, service civique etc

6,7

Bouclier antichômage: Activité partielle de longue durée et formations

7,6

Formation des actifs  vers des métiers porteurs

1

Investissement dans le secteur sanitaire et médicosocial (Ségur Santé)

6

Collectivités locales

5,2

Soutien à l'investissement des collectivités

4,2

rénovation des commerces de centre-ville

0,15

développement du numérique sur tout le territoire

0,5

Autres

0,35

Recherche (enseignement supérieur, ANR)

3

Aides sociales

0,8

Autres

5,7

dont culture

2,8

dont autres

2,9

Sources, annonces du gouvernement[1] (septembre 2020)

Par ailleurs avec une surface de 100 milliards d’euros, un risque majeur reste le saupoudrage des crédits en voulant impliquer l’ensemble des grands ministères et des acteurs économiques et institutionnels. Le Plan présenté ne semble pas éviter véritablement cet écueil :

  • La Culture particulièrement sinistrée par la crise aura son plan de reconstruction. On nous annonce 2 milliards mais aussi 432 millions pour le spectacle vivant et 483 millions d’aides à la Presse.
  • La recherche et l’enseignement supérieur reçoivent 3 milliards d’euros, sans doute pour améliorer le classement de la recherche et des universités française dans les classements internationaux ;
  • Tandis que des plans de modernisation du réseau ferroviaire reçoit 4,7 milliards et les transports en commun et le plan vélo 1,2 milliard. A la veille de l’ouverture à la concurrence du rail.

Il existe par ailleurs un tropisme public-public encore assez fort. Si le Plan veut relancer l’économie par le soutien aux entreprises, cela passe massivement par de la commande publique : la modernisation des bâtiments publics reçoit près de 4 milliards, celle du parc HLM 500 millions d’euros, mais aussi une part non négligeable des PIA4 (4ème plan d’investissement d’avenir, définissant des industries de rupture (informatique quantique, numérique etc.), ainsi comme on l’a dit plus haut l’Université et la Recherche publique pour 3 milliards, mais aussi le soutien à l’investissement des collectivités (4,2 milliards).

Des garde-fous inédits, mais limités

Le Premier ministre l’a affirmé : si les crédits sont importants c’est l’exécution de leur dépense qui est essentielle. Il propose donc une méthode de budgétisation inédite en réservant l’ensemble du Plan de relance à une mission particulière du budget 2021 afin de conserver une certaine fongibilité des crédits. De la sorte si les ministères ne produisent pas suffisamment de résultats, ces crédits pourront être réaffectés à d’autres ministères. Les ministres seraient donc « responsabilisés ». Pour cela le Premier ministre présidera un Conseil de la relance qui communiquera sur l’avancement et les résultats de la consommation des crédits, sur base mensuelle, tandis que chaque semaine un comité de pilotage présidé par le ministre de l’Economie devrait piloter le déploiement du plan avec les ministères dépensiers et les acteurs des secteurs cibles.

Les 100 milliards représentent-ils un plan « massif » ?

Si l’on cherche maintenant à proposer un calendrier de déploiement des crédits du plan de 100 milliards, l’addition pour les finances publiques semble à première vue plus faible qu’escomptée. En effet, certaines dépenses sont déjà budgétés (dans le cadre du PLFR 3 par exemple) ou existent en trésorerie (le PIA (programme d’investissement d’avenir) 4 pourrait être un recyclage de sommes non consommées des PIA précédents). Par ailleurs la France devrait pouvoir compter sur un droit de tirage en subvention sur le plan de relance européen d’un montant de 40 milliards d’euros. Au final, l’addition serait peut-être beaucoup plus faible qu’affichée :

1er séquençage des décaissements (hypothétique)

 

 

 

 

 En Milliards d’euros

Montants

2020

2021

2022

Fonds déjà en place

11

 

 

 

PIA

11

 

 

 

Crédits budgétaires:

89

10

39

40

dont programmes européens

40

0

20

20

dont crédits budgétaires et baisses d'impôt impactant le déficit budgétaire

49

10

19

20

Si net des baisses de taxes de production gagées Etat

29

10

9

10

Calculs Fondation iFRAP (septembre 2020)

Cette présentation permet de montrer que sur les 100 milliards, 89 pourraient s’apparenter à des crédits budgétaires ou assimilés et 11 à des fonds déjà en place via les résidus de PIA labellisés PIA4 (20 milliards annoncé mais 11 jusqu'en 2022 et 9 de plus jusqu'en 2025). Si cette solution était retenue elle n’aurait aucune incidence sur le solde public en cas de décaissement au moins sur le plan « budgétaire » (mais pas en comptabilité maastrichienne). Nous ne connaissons pas pour le moment le rythme de décaissement de ce nouveau PIA.

Par ailleurs les 89 milliards ne seraient en définitive que 49 milliards de dépenses budgétaires supplémentaires tandis que 40 milliards de subventions du Plan de relance européen ne devraient pas impacter significativement le solde budgétaire, ni le solde public maastrichien (qui serait retraité de ces dépenses par convention). On estime par ailleurs que 10 milliards de crédits budgétaires annoncés sont en réalité déjà partis en 2020 et repris par le plan. Une partie des 49 milliards de crédits supplémentaires (non européens) ont déjà pour partie été annoncés (Grenel de la Santé, mesures sectorielles (automobile, tourisme, aéronautique, pharmacie)). Enfin, le budget accordé aux relocalisation est assez faible même si l'environnement réglementaire devrait être pris en compte dans le cadre des facilités à la réimplantation. On parle de 1 milliard au mieux (même s'il faut intégrer également, l'effet des mesures sectorielles, de la baisse des impôts de production ainsi que la pérennisation et l'extension des mesures de simplifications exceptionnelles lancées par ordonnance durant la crise sanitaire, via le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique déposé au Parlement et d'autres mesures venant se greffer sur le projet de loi 3D qui seront discutés entre l'hivers 2020 et le printemps 2021).

Si les subventions européennes étaient consommées sur deux ans, l’impact budgétaire ne serait que de 19 milliards en 2021 et de 20 milliards en 2020 si les baisses des impôts de productions n’étaient pas gagés par des économies au niveau de l’Etat d’un même montant (ce qui est probable). Dans le cas contraire, on arriverait même au paradoxe de n’afficher une dépense supplémentaire en 2021 que de 9 milliards et de 10 milliards supplémentaires en 2022 (ce qui ménagerait particulièrement le déficit).

Bien entendu ces hypothèses sont encore à vérifier lorsque les perspectives de consommation des crédits seront connues avec plus de précision, mais il semble que l’effort demandé aux finances public puisse être sans doute beaucoup moins important qu’affiché.

Conclusion

Pour la Fondation iFRAP France Relance ne fait pas assez la part belle à une trajectoire ambitieuse de baisse des impôts de production. L’occasion est pourtant unique. Par ailleurs, la crise semble avoir détruit presque 800.000 emplois. Prévoir d’en créer +160.000 en 2021 et près de 250.000 en 2022 n’est sans doute pas assez ambitieux pour revenir aux fondamentaux de 2019. Enfin, le plan de relance montre qu’encore une fois la démarche française est très top down. Faute d’avoir les marges de manœuvre financières et réglementaires suffisantes pour échouer, les entreprises doivent attendre des impulsions gouvernementales pour soutenir des technologies et des filières de rupture. Néanmoins le gouvernement semble vouloir accompagner son plan de dispositifs anti-abus et de communiquer au fil de l’eau sur ses résultats. C’est une bonne nouvelle, mais le risque comme toujours est d’observer une instrumentalisation politique des résultats. Les collectivités n’ont pas attendu et ont exigé que leur enveloppe soit « garantie[2] ». Histoire de se soustraire à tout arbitrage budgétaire en leur défaveur au cas où leurs investissements ne donneraient pas les résultats escomptés…


[1] Voir les documents de synthèse disponibles : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/plan-de-relance/dossier-presse-plan-relance.pdf et https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/plan-de-relance/annexe-fiche-mesures.pdf

[2] Voir Maire Info, 3 septembre 2020, https://www.maire-info.com/budget/plan-relance-amf-demande-que-les-moyens-collectivites-soient-garantis--article-24455