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Zéro charges : malgré tout le coût minimum du travail reste trop élevé

D'autres mesures sont nécessaires

C’est toujours insuffisant ! De quoi s’agit-il ? Le gouvernement a fait le choix politique de baisser les charges patronales au niveau du smic afin de rendre « employables » ceux qui le gagnent. Mais le « zéro charges » applicable depuis le début de cette année n’améliore que très peu la réduction Fillon existante. Cette constatation se vérifie par la comparaison internationale, et ce contrairement aux conclusions fausses que l’on croit devoir tirer du fait que le smic français ne serait que le sixième salaire minimum européen. La réalité est que le coût du travail reste bien trop élevé, et qu’il est nécessaire de trouver d’autres mesures en faveur de l’emploi que les exonérations de cotisations et de charges.

Le salaire minimum vu du salarié…

La presse s’est récemment fait l’écho de statistiques d’Eurostat dont il ressort que le smic français n’est que le sixième salaire minimum européen (voir le tableau ci-dessous, colonne 4). Du point de vue du salarié et de son salaire brut, à part le Luxembourg, on constate en effet un regroupement presque parfait des salaires minimums en France, Belgique, Irlande et aux Pays-Bas, auxquels il y a lieu d’ajouter maintenant l’Allemagne. Le pays qui suit ce groupe de tête est le Royaume-Uni, nettement en-dessous. Nous n’avons pas fait figurer les autres pays qui suivent très loin.

Mais ces chiffres ne font que traduire les salaires mensuels, et le fait que malgré une valeur horaire très haute du smic (la deuxième après le Luxembourg), la rémunération du salarié français n’est pas particulièrement élevée, comparée à celle des pays du nord de l’Europe. La raison en est que le salaire mensuel légal est en France calculé en multipliant le taux horaire par 35 heures/semaine, alors que dans la plupart des autres pays il est forfaitaire, pour une durée légale comprise entre 38 et 40 heures le plus souvent. En Allemagne le salaire minimum est horaire (8,50 euros), mais pour parvenir à un salaire mensuel de 1.473 euros, très légèrement supérieur au salaire français, il faut travailler 40 heures/semaine. Vu du salarié, le smic français n’est que médiocrement satisfaisant si la durée de son travail est de 35 heures.

…et vu de l’employeur.

Vu de l’employeur, les statistiques qui s’intéressent aux salaires mensuels  comparent des pommes et des oranges en raison de la forte différence de durée du travail.  Si l’on s’intéresse en effet au coût du travail, il faut rétablir l’égalité des heures travaillées par mois (congés non pris en compte ici), ce que nous avons réalisé dans les colonnes 5 et suivantes du tableau, après avoir ajouté les charges patronales[1]. Et là, on voit un paysage tout à fait différent, puisque l’avant dernière colonne montre qu’au niveau du smic, France et Belgique tiennent, après le Luxembourg, la tête des pays à coûts élevés d’assez loin.

On note de plus que, contrairement à la France, les Pays-Bas (avec des salaires jeunes), l’Allemagne (avec des exceptions suivant les secteurs) et dans une moindre mesure la Belgique connaissent des situations particulières dans lesquelles le salaire minimum n’est pas applicable ou est plus faible.

Pays

Salaire minimum horaire (euros)

Base mensuelle (heures/semaine)

Salaire minimum mensuel légal (euros)

Salaire minimum mensuel – base 40 heures (euros)

Charges patronales (%)

Coût du travail – base 40 H  au niveau du salaire minimum

Coût du travail –base 40 H au niveau du sal. min. x 1,3

Luxembourg

11,11

40

1.922

1.922

12,77

2.167

2.817

France

9,61

35

1.457

1.716

14 ou 31*

1.956

2.922

Belgique **

9,18

38

1.501

1.580

24,77

1.971

2.563

Pays-Bas***

8,67

40

1.501

1.501

11,80

1.678

2.181

Irlande

8,65

39

1.462

1.499

10,70

1.618

2.157

Allemagne****

8,50

40

1.473

1.473

19,50

1.760

2.288

Royaume-Uni

7,96

40

1.378

1.378

12,50

1.550

2.015

Notes :

* France : Les heures supplémentaires sont comptées avec un supplément de 25%. L’effet du zéro charges est variable suivant le nombre de salariés et la classification FNAL. Sur la base d’une cotisation de 42% et d’une réduction maximale de 27,95% pour 2015 (arrondi à 28%), il reste à payer 14% pour l’employeur au niveau du smic, et 31% au niveau de 1,3 smic. Le calcul est toutefois approximatif en raison de cette variabilité suivant les cas et dans le temps.

 ** Belgique : de 16 à 20 ans, le salaire minimum augmente linéairement de 5% par année d’âge en commençant par 75% du salaire adulte. Le salaire a été augmenté proportionnellement (sans supplément comme le permet la loi ) pour passer de 38 à 40 heures. Idem pour l’Irlande.

*** Pays-bas : Entre 15 et 22 ans, le salaire minimum augmente graduellement en partant de 30% du salaire adulte pour atteindre 85% et 100% à compter de 23 ans.

**** Allemagne : Il existe de très importantes exceptions et retards d’application à la généralisation du salaire minimum. Il est aussi intéressant de noter que les employeurs commencent à pratiquer la diminution du temps de travail pour éviter de faire monter les salaires.

Les réductions des cotisations et charges patronales ne sont ni suffisantes ni efficaces pour « booster » l’emploi

Le gouvernement a choisi de continuer et intensifier la politique d’allègement des cotisations et charges sociales centrées sur les bas salaires (voir la note précédente). Cette politique, qui date de plus de vingt ans, s’est imposée encore plus avec les 35 heures qui ont mécaniquement augmenté de 11% le coût du travail, et a été stabilisée en 2005 sous le nom de « réduction Fillon ». Jusqu’en 2015, cette réduction aboutissait à réduire les cotisations de 26 points pour les entreprises de plus de 20 salariés, et de 28,1 points en-dessous. Son effet est maximum au niveau du smic et décroît linéairement jusqu’à s’éteindre au niveau de 1,6 smic.

 Pour 2015 et au-delà, le gouvernement a décidé d’accentuer ces allègements en créant le «zéro charges ». L’avant dernière colonne du tableau prend en compte cette mesure. Mais le terme de « zéro charges » est trompeur puisqu’il ne concerne que les cotisations versées à l’URSSAF et laisse en particulier à charge de l’employeur les cotisations d’assurance chômage et de retraite. Le résultat aboutit à réduire les cotisations, au niveau du smic, de 27,95% pour les entreprises de moins de 20 salariés et 28,35% pour les entreprises à partir de 20 salariés. On voit que l’amélioration, en termes de réduction et par rapport à 2014, est quasiment nulle pour les premières[2], et d’un peu plus de 2% pour les secondes.

L’effet des réductions s’éteint par ailleurs très vite.

C’est en quelque sorte un paradoxe : le smic a beau être élevé, généralement  peu de salariés restent à ce niveau de rémunération. Dans l’entreprise que nous avons décrite dans la dernière étude de la Fondation iFRAP, sur 300 salariés de l’établissement principal, moins d’une dizaine se trouvent rémunérés à un niveau permettant à l’employeur de profiter véritablement des réductions. Cela s’explique par le fait que ces réductions ne jouent à plein qu’au niveau du smic payé sur douze mois. Or les salaires sont payés, dans cette entreprise comme dans beaucoup, sur une base de 13 mois, ce qui signifie que dès la fin d’une année complète la rémunération est déjà égale à 1,0833 du smic annuel pris en compte pour la réduction. Au niveau d’un salaire de 1,2 smic, niveau de bas salaire extrêmement courant, on atteint la médiane de la réduction, soit 1,3 si le salaire est payé sur 13 mois (l’extinction totale se situe à 1,6 smic).

Comme le montre la dernière colonne de notre tableau où nous avons choisi de calculer le coût du travail sur la base d’un salaire à 1,3 smic, et toujours pour 40 heures, la réduction à ce niveau n’est plus que la moitié du maximum, et le reste à charge de l’employeur, sur un total supposé de 42% avant réduction, est de 31%[3] contre 14% au niveau du smic. Le résultat est éloquent : le coût du travail français est cette fois supérieur même à ce qu’il est au Luxembourg pour un salaire égal à 1,3 fois le salaire minimum de ce pays, et par exemple près de 28% supérieur à ce qu’il est en Allemagne dans les mêmes conditions !

On peut, il est vrai, réintégrer dans ces chiffres l’effet du CICE, encore qu’il s’agisse d’une diminution de l’impôt sur les sociétés. Ce sont alors 6% du salaire qu’il faut déduire, soit par mois 87 euros au niveau du smic 35 heures, ou 113 euros au niveau du smic x 1,3 pour 35 heures (134 euros pour 40 heures). Ce qui est encore très loin de rattraper la différence de 634 euros avec l’Allemagne pour un salaire de 1,3 smic sur 40 heures.

Au total, le coût du travail est encore trop élevé pour avoir l’effet souhaité sur l’emploi. Les économistes dont le travail, concluant en faveur d’une réduction des charges sur les seuls bas salaires, a servi de base à la réflexion du gouvernement, n’ont pas été complètement écoutés. Il faudrait probablement un véritable zéro charges, ne laissant donc aucun reste à charge pour l’entreprise et non pas les 14% du salaire que nous avons relevé au niveau du smic, pour avoir l’effet souhaité sur l’emploi. L’expérience tentée en 2011 par le gouvernement précédent tend à le prouver. Elle consistait à exonérer effectivement de toute charge les employeurs embauchant sous certaines conditions. Les études menées avaient conclu à l’efficacité de la mesure, qui a cependant été abandonnée en raison de son coût et des forts soupçons d’effet d’aubaine pour les employeurs.

Alors, que faire ?

Pour commencer, une vérité de base pour éviter la paralysie de l’action : Il est indispensable de ne pas confondre coût du travail au niveau du salaire minimum avec revenu minimum. Ce n’est pas parce qu’un salaire est considéré comme insuffisant pour vivre décemment qu’il n’en est pas moins trop élevé pour permettre un emploi : ce sont deux questions différentes qu’il ne faut pas mélanger, et il est absurde de vouloir clouer les employeurs au pilori au titre de la première proposition parce qu’ils ne peuvent pas payer des salaires jugés suffisants.

Ensuite, trois lignes directrices :

Un centrage contesté de la  politique de l’emploi

Il y a quand même lieu de s’interroger sur l’opportunité de tout miser sur les réductions au niveau des bas salaires. C’est une question que nous avons plusieurs fois abordée dans ces colonnes pour alerter sur l’extrême disparité existant entre le coût du travail au niveau des bas salaires et celui des hauts salaires. On a en France reporté les prélèvements sur les hauts salaires, ce qui se vérifie aussi bien pour les cotisations patronales que pour l’impôt sur le revenu, politique très contestable qui éloigne les élites d’un travail en France.

L'économiste Pierre Cahuc vient de proposer de cibler même le CICE au niveau du voisinage du smic. On comprend cette position, qui vient d'ailleurs souligner l'insuffisance de la mesure zéro charges, dans une perspective uniquement tournée vers la lutte contre le chômage au niveau des bas salaires. Nous y sommes néanmoins fermement opposés, car cette lutte, qu'elle qu'en soit la nécessité, ne saurait justifier des mesures de court terme qui désorganisent les entreprises dans une perspective de plus long terme, et reviennent sur une mesure emblématique récente sur laquelle ces entreprises peuvent légitimement compter.

Ce que nous avons dit au sujet de l’extinction rapide des effets de la réduction Fillon devrait aussi être pris en compte. À trop centrer les allègements sur le smic et son voisinage vraiment immédiat, on en réduit l’effet, et les employeurs se trouvent placés devant le dilemme d’avoir, soit à bloquer les salaires, soit à ne plus bénéficier des mesures d’allègement. Comme le dit Philippe d’Ornano, dirigeant du groupe Sisley et président de l’Asmep-ETI dans une interview du 12 mars au journal L’Opinion, « mes salariés ne sont pas payés au smic ». Et il ajoute : « Ce sont des cadres à l’international ou des chercheurs qui développent l’entreprise ». Deux raisons pour critiquer la politique présente de l’emploi.

Flexibiliser le smic.

Une fois de plus, il faut insister sur la nécessité de sortir de ce tabou d’un smic universel, rigide et automatique. Les autres pays ont, comme on l’a vu, un smic plus bas – voire beaucoup plus bas, ou connaissant des exceptions. Aux Pays-Bas le smic jeunes existe jusqu’à 23 ans. La régionalisation serait aussi juste compte tenu des différences de coût de la vie.

Compléter les très bas salaires au titre de la solidarité nationale.

Le gouvernement multiplie les contrats aidés en accordant au secteur public des aides allant jusqu’à 85% du salaire minimum. Les aides au secteur privé sont limitées à 35% et assorties de conditions qui en limitent grandement l’utilisation. C’est l’inverse qu’il faut faire, et aider l’emploi marchand. La crainte de créer des effets d’aubaine n’a pas lieu d’être. Le gouvernement ne se pose d’ailleurs pas la question pour les aides au secteur public. Et quand l’État diminue les cotisations et charges sociales, ou encore crée le CICE, il ne se pose pas non plus la question de savoir s’il crée des aubaines, tout simplement parce que c’est bien le but !

Qu’il s’agisse des contrats aidés ou des exonérations, c’est en réalité la même chose. Il faut adapter les dépenses de protection sociale en fonction du possible, définir les limites des ressources publiques disponibles et diriger ces ressources vers le développement de l’emploi marchand, soit directement pour compléter les salaires, soit indirectement et à plus long terme au profit de l’investissement des entreprises.


[1]  Avec de possibles erreurs ou approximations.

[2] La légère diminution constatée n’en est pas une car il faut tenir compte de la baisse des cotisations familiales intervenue parallèlement pour ces entreprises, de 5,25% à 3,45%.

[3] Au niveau de 1,3 smic, la réduction est effectivement de moitié de ce qu’elle est pour 1 smic (2.440 euros en base annuelle au lieu de 4.886). Son effet sur le reste à charge est toutefois proportionnellement supérieur, car la réduction s’applique à un salaire supérieur.