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Bilan 2015 des mesures en faveur de l’emploi

Nous venons de dépasser la mi-mandat sous la présidence d’un chef de l’État qui a toujours affirmé comme priorité l’emploi et la lutte contre le chômage. La panoplie des mesures développées par le gouvernement dans ce but n’est pas si creuse, bien que truffée de contradictions, et il est intéressant d’en faire un tour d’horizon pour mesurer leur efficacité. D’autant plus que certaines déclarations très récentes paraissent révélatrices d’une volte-face doctrinale assez stupéfiante. Et si, débarrassée de ses scories, la politique gouvernementale était  enfin prête à considérer que l’essentiel était bien de mettre les entreprises en position d’embaucher en réformant le marché du travail ? Passage en revue des mesures.

Pacte de responsabilité et de solidarité.

Mesures applicables en 2015

CICE

Sur une prévision de créance 2013 de 13 milliards et de consommation de 9,9 milliards au titre de 2013, le comité de suivi constate à fin septembre 2014, une créance de 8,7 milliards dont 5,2 milliards consommés et 3,5 reportés. Donc des chiffres substantiellement inférieurs aux prévisions initiales.

Pour les créances au titre de 2014, le comité de suivi table sur 16,6 milliards de créances déclarées en 2015.

« Zéro charges »

Applicable au 1er janvier 2015, cette mesure ne mérite pas à la vérité d’être appelée « zéro charges », car elle revient en fait seulement à élargir légèrement la réduction Fillon sur les bas salaires (inférieurs à 1,6 smic). Désormais cette réduction pourra s'imputer sur presque toutes les charges patronales dues à l'URSSAF, y compris, depuis le 1er janvier 2015, sur le FNAL, la cotisation accident du travail (avec des réserves) et la contribution de solidarité. Les cotisations d'assurance chômage et l'AGS restent exclues du dispositif. La réduction Fillon aboutissait à une baisse au niveau du smic de 410 euros par mois pour les entreprises de moins de 20 salariés (379 euros au-dessus). La nouvelle réglementation donne des résultats variables suivant les cas, mais son effet paraît ne pas pouvoir dépasser 40 euros par mois, soit seulement 10% des allégements Fillon. La baisse des cotisations familiales (voir ci-après) contribue au moindre intérêt du zéro charges.

Cotisations familiales

Les cotisations baissent de 1,8% (de 5,25% à 3,45%) pour les seuls bas salaires (moins de 1,6 smic), sauf pour les cotisations des indépendants dont la réduction n’est pas limitée.

C3S

La suppression de la C3S est programmée, mais pour 2015, elle ne fait l’objet que d’une réduction partielle concernant sa première tranche.

Mesures à horizon postérieur.

  • En 2016 la mesure d’allègement concernant les cotisations d’allocations familiales sera étendue à l’ensemble des salaires jusqu’à 3,5 smic ;
  • La C3S devrait être totalement supprimée ;
  • Ultérieurement le taux de l’impôt sur les sociétés devrait être abaissé, de 33% à 28% à horizon 2020.

Coût du pacte en 2015… et ultérieurement

Pour les finances publiques, le coût des mesures détaillées ci-dessus devraient être de 16,6 milliards pour le CICE, 1,4 milliard pour le zéro charges au smic, 4 milliards pour les cotisations familiales à 1,6 smic, 1 milliard pour les mêmes cotisations des indépendants et 1 milliard pour la C3S. Soit au total 24 milliards.

Ultérieurement, avec la baisse des cotisations familiales jusqu’à 3,5 smic, un coût du CICE de 20 milliards, et une suppression totale de la C3S, les prévisions gouvernementales chiffrent le coût total de ces mesures à 34,5 milliards (sans compter une éventuelle baisse à terme de l’IS, apparemment très limitée puisque la députée Valérie Rabault l’a estimée à 2,5 milliards en 2017).

Simplification

Le Conseil de la simplification pour les entreprises, créé en janvier 2014, a pour mission de sécuriser les entreprises, simplifier leur vie et faciliter l’embauche, avec une insistance particulière sur le secteur de la construction. Il a déjà publié deux séries de 50 mesures de simplification (voir le site simplifier-entreprise.fr). La tâche est énorme (voir par exemple la simplification des formalités d’embauche, notamment pour les apprentis), mais on peut considérer qu’il s’agit d’une des initiatives les plus utiles du présent gouvernement. On peut y ajouter le développement tout aussi utile des évaluations de politiques publiques (EPP), créées fin 2012 dans le cadre de la modernisation de l’action publique (MAP). Fin 2015 l’évaluation des projets de loi entrera en vigueur, ce qui rapprochera la France des meilleures pratiques des autres pays, et notamment le Royaume-Uni.

Cette remarque ne peut que faire regretter, d’une part que le Conseil ne puisse agir qu’à législation constante, ce qui est peut-être inévitable mais limite beaucoup la portée de son action, et surtout que le message soit brouillé par autant de dispositions qui viennent contredire l’esprit de simplification. On songe évidemment au compte pénibilité, mais aussi par exemple aux formalités de transparence imposées aux entreprises de moins de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros (décret du 24 avril 2012). On songe aussi au Code du travail qui s’allonge inexorablement tous les trimestres de plusieurs dizaines de pages. Si la simplification est en chemin, elle n’est qu’administrative et il s’agit de tout sauf du « choc » promis par le chef de l’État.

Loi Macron

Sa valeur est surtout symbolique d’une politique qui se veut libératrice. Son intérêt du point de vue de l’emploi paraît avant tout sectoriel : travail le dimanche, autocars, professions réglementées, ce qui reste des mesures imaginées – et ce qui restera en deuxième lecture – tout cela demeure assez anecdotique.

Quant aux dispositions qui relèvent du droit du travail, on peut remarquer un article concernant la lutte contre la concurrence dite « déloyale » des transporteurs routiers étrangers, article bien vu, mais dont l’effet reste encore à connaître. En revanche, les articles concernant la limitation aux bassins d’emploi des effectifs à prendre en compte pour les critères à retenir dans les licenciements collectifs ou l’ordre de ces licenciements, n’ont pour but que de corriger certaines solutions absurdes apportées par les tribunaux et resteront elles aussi tout à fait anecdotiques. Un bon point toutefois pour les dispositions destinées à favoriser l’épargne salariale.

Dialogue social

On attend ici de connaître le projet gouvernemental appelé à pallier l’échec des négociations entre partenaires sociaux. Il semble être acquis que ce projet ne fera pas grand-chose d’autre que de faire passer de 200 à 300 salariés le plafond de compétence permissible de la DUP (délégation unique du personnel) en lui adjoignant formellement le CHSCT. Rien ne serait à attendre sur les seuils sociaux. Ce qui serait une franche déception pour les organisations patronales, surtout pour la CGPME.

Plan Rebsamen contre le chômage

Dans ce plan annoncé le 9 février pour présenter une réaction aux mauvais chiffres du chômage, on chercherait en vain des mesures susceptibles de créer de l’emploi. Il s’agit seulement de mieux préparer les chômeurs à retrouver la vie active, notamment par la formation.

On ne saurait toutefois annoncer un programme de lutte contre le chômage sans sacrifier à la coutume des contrats aidés. Cette année, ils s’appellent « contrat de nouvelle carrière » et « contrat de nouvelle chance ». Leur contour n’est pas précisé et leur coût n’est pas connu. Pas de surprise à attendre, il s’agit de la ènième version des contrats aidés dont l’appellation, mais pas le contenu sauf dans les détails, change tous les deux ans. En tout cas le projet sanctuarise à hauteur de 3,2 milliards pour 2015 le budget des contrats aidés. 

445.000 contrats aidés sont déjà budgétés cette année, et des consignes sont encore données pour accélérer le calendrier. Une rallonge budgétaire de 170 millions d’euros est prévue pour avancer le lancement de 30.000 contrats, et le gouvernement explique qu’il veut « accélérer le nombre de nouveaux contrats pour ne pas que le stock existant  (350.000 personnes en contrat aidé) se dégrade ». On parle même d’une nouvelle rallonge de 100.000 contrats plus tard cette année pour seulement stabiliser le nombre de contrats. Cette fuite en avant est très préoccupante, aboutissant à des dépenses publiques en accroissement obligatoire, pour seulement maintenir un stock d’emplois dont une partie de plus en plus importante est artificielle. L’État et les collectivités locales ont-ils pour vocation de servir de pépinière pour les jardiniers ?

Marché du travail

C’est de ce côté qu’on peut prêter l’oreille à quelque chose de nouveau, de très nouveau même, et significatif, s’il est permis d’en croire les diverses déclarations des politiques, à commencer par celle du chef de l’État.

   

Interview de François Hollande. Le Parisien du 4 mars 2015.

Question : Comment envisagez-vous d'assouplir les règles d'embauche et de li bérer l'emploi ?

Réponse de François Hollande : « La réticence de beaucoup d'entrepreneurs à embaucher un salarié est liée à l'incompréhension de ne pas pouvoir s'en séparer en cas de difficulté économique. Ce qui explique que plus de 75% des embauches se font en contrat à durée déterminée ou par intérim. Mais comment un salarié en CDD peut-il organiser sa vie, louer un logement ou faire un emprunt bancaire ? C'est pourquoi le gouvernement introduit dans la loi Macron une règle pour simplifier la procédure devant les prud'hommes pour qu'aussi bien pour les salariés que pour les employeurs, les délais soient plus courts et les démarches plus simples ».

Question : Et le contrat unique ?

Réponse de François Hollande : « Ce que nous voulons à travers la réforme du dialogue social, c'est faciliter les embauches et le maintien dans l'emploi. Le contrat unique pourrait être une formule. Mais de quoi s'agirait-il ? Un contrat à durée déterminée reconductible avec le risque de précarité ? Ou un contrat à durée indéterminée pour tous, mais alors, avec quelles conditions de rupture ? Il n'y a pas de solution magique. J'ai demandé au gouvernement d'ouvrir un chantier pour encourager les embauches dans les petites entreprises afin de leur donner plus de facilité et plus de souplesse car c'est là que se fait l'essentiel des créations d'emploi ».

La première phrase de la réponse du Président n’eût-elle pas été il y a quelque temps considérée comme le comble du politiquement incorrect[1] ? Dans un bulletin d’information émanant d’Europe 1, un ministre a donné la clé de ces petites phrases du président, en révélant que le gouvernement réfléchit à des mesures spécifiques pour les PME sur le thème de l’assouplissement du « carcan du contrat de travail », avec la formule « il faut faciliter l’embauche et le licenciement ». En attendant de relancer l’idée du contrat unique, le gouvernement serait prêt à faciliter le CDI intérimaire. Une nouvelle piste pour tourner autour du sempiternel problème de la rupture du contrat, que pas un gouvernement n’a jamais osé aborder de front. Mais n’est-ce pas le même boulet que celui traîné par Dominique de Villepin en 2006 avec le contrat nouvelle embauche ? La nouveauté est ici d’entendre un gouvernement de gauche tenir le discours.

Si l’on ajoute le fait que Emmanuel Macron ne paraît pas avoir renoncé à élargir la flexibilité du contrat de travail telle qu’elle est prévue de façon infiniment trop restrictive dans la loi sur la sécurisation de 2013, les deux plaies essentielles qui concernent le marché du travail en France seraient traitées.

Conclusion

Prétendre que le gouvernement serait resté depuis 2012 immobile devant l’accroissement du chômage serait inexact. Pendant une première période, son action est demeurée illisible en raison de discours et de mesures contradictoires qui ont exaspéré les uns et les autres. On ne peut d’ailleurs pas dire que ces dernières aient cessé, ni que l’état d’esprit ait évolué franchement en faveur des entreprises, à entendre par exemple, dans la même interview du chef de l’État de ce mercredi, ce dernier confondre la territorialité des activités de Total avec une optimisation fiscale coupable à ses yeux. Pas étonnant que les Français aient les idées complètement embrouillées.

En fin de compte, l’État a bien fait un effort qui se chiffre pour 2015 à 23 milliards d’euros – même s’il s’agit d’un simple redressement de prélèvements antérieurs. Pour le reste, on peut saluer la pertinence du chantier de simplification, mais aussi regretter son insuffisance, mais ne pas trouver que les autres mesures méritent grâce du point de vue de l’emploi.

L’essentiel reste toujours le marché du travail. Le gouvernement grignote le territoire, et donne l’impression de vouloir accélérer sa progression. À voir les sondages sur les programmes politiques (retraites, rôle de l’État dépenses publiques…), des réponses positives sont apportées sur des questions qu'on n'aurait même pas osé poser il y a quelque temps. Le territoire pourrait-il donc basculer et les réformes structurelles du travail être acceptées ? Avec l’aide de Bruxelles, et énormément de pédagogie en tout cas.


[1] Mais que vient donc faire le Conseil de prud’hommes dans cette galère ?