Tour d'Europe des sanctions pour refus d'offre raisonnable d’emploi

En France, refuser une offre d’emploi ne vaut pas toujours sanction. Une indulgence rare en Europe, où l’inaction peut coûter cher dès le premier faux pas. Dans le cadre de la lutte contre le chômage et pour renforcer l’efficacité de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, le dispositif de l’offre raisonnable d’emploi (ORE) constitue un levier essentiel. Il repose sur un équilibre entre les droits des demandeurs et leurs obligations vis-à-vis de France Travail. Un décret publié le 20 mars 2025 vient clarifier et renforcer les critères d’évaluation des ORE, recentrant leur application sur le territoire national et sur des critères salariaux plus strictement définis.
La France et les Pays-Bas sont les deux seuls pays de notre panel à ne pas sanctionner un chômeur dès le premier refus d’emploi. Par exemple, au Danemark, l’absence de réponse sous 24 heures à une offre d'emploi entraîne la suppression des allocations. En Italie, celles-ci sont également supprimées, et une nouvelle demande ne peut être formulée qu’après un délai de six mois. Au Portugal, les allocations chômage sont supprimées et le demandeur est radié des listes, une mesure également appliquée en Norvège. D’autres pays adoptent des approches moins sévères, comme la Suisse, qui impose une suspension de 60 jours dès le premier refus, ou l’Allemagne, qui applique une réduction de 30 % des allocations.
Qu'est-ce qu'une offre raisonnable d'emploi ?
En France, toute personne inscrite à France Travail co-construit, avec son conseiller, un Projet Personnalisé d’Accès à l’Emploi (PPAE). Ce document fixe les objectifs et critères de la recherche d’emploi : type de poste recherché, secteur d’activité, zone géographique, rythme de travail (temps plein ou partiel) et rémunération attendue. Le PPAE constitue un outil évolutif, actualisé régulièrement pour s’adapter à la situation du demandeur et aux dynamiques du marché du travail. Depuis janvier 2025, les bénéficiaires du RSA sont également soumis à cette démarche à travers la signature d’un contrat d’engagement, adossé au PPAE.
Dans ce cadre, l’offre raisonnable d’emploi (ORE) désigne toute offre d’emploi cohérente avec les compétences professionnelles et la situation personnelle du demandeur. Elle est déterminée à partir de plusieurs critères : formation, qualifications, expérience, contraintes familiales, caractéristiques du poste (type de contrat, durée du travail), rémunération proposée et localisation géographique. L’ORE vise un double objectif : proposer des offres adaptées au profil du demandeur, tout en structurant son obligation de recherche active.
Le demandeur d’emploi a l’obligation d’accepter toute ORE qui lui est proposée. En cas de deux refus non légitimes, il s’expose à une radiation de la liste des demandeurs d’emploi ainsi qu’à une suspension de ses droits à indemnisation, le cas échéant.
Cependant, certaines exceptions permettent de refuser une offre sans sanction. Un refus est considéré comme légitime si :
- La rémunération proposée est inférieure au salaire habituellement pratiqué dans la région et pour la profession concernée (aucune offre ne peut être en dessous du SMIC ou des minima conventionnels) ;
- L’emploi est à temps partiel, alors que le PPAE prévoit une recherche à temps plein ;
- L’emploi est manifestement incompatible avec les compétences ou qualifications du demandeur.
Ces garde-fous visent à garantir que les offres proposées soient réalistes, équitables et conformes au parcours professionnel du demandeur, tout en renforçant l’exigence de mobilisation dans la recherche d’emploi.
L’obligation de recherche d’emploi et le contrôle des demandeurs : vers une responsabilisation accrueL’obligation de recherche d’emploi s’applique à toute personne inscrite à France Travail immédiatement disponible pour occuper un emploi. Sont notamment concernés les demandeurs d’emploi sans activité ou formation, ceux exerçant une activité réduite inférieure à 78 heures par mois, les personnes en formation de courte durée ou compatible avec un emploi, ainsi que les individus temporairement empêchés (maladie, incarcération, congé ou absence inférieure à 15 jours, dans la limite de 35 jours par an). Cette obligation implique également une actualisation mensuelle de la situation et une réponse aux convocations de France Travail. À compter du 1er juin 2025, un dispositif de contrôle renforcé et individualisé sera mis en œuvre, en parallèle des mesures relatives à l’offre raisonnable d’emploi (ORE). L’approche se veut plus nuancée : l’absence à un rendez-vous ne sera plus automatiquement sanctionnée, mais fera l’objet d’une évaluation individualisée, fondée sur l’engagement réel du demandeur dans sa recherche d’emploi. Les contrôles de l’activité de recherche seront systématisés, effectués sans entretien préalable, et pourront aboutir, en cas d’effort jugé insuffisant, à une sanction progressive dite de redynamisation-remobilisation : réduction temporaire de l’allocation couplée à un accompagnement renforcé. Ce dispositif vise à responsabiliser les demandeurs d’emploi sans recourir systématiquement à la sanction, en distinguant les profils actifs en difficulté, ceux momentanément désengagés, et les cas d’abandon manifeste. France Travail prévoit de réaliser 1,5 million de contrôles par an d’ici 2027, dans un contexte où le taux de chômage reste structurellement supérieur à 7 %, malgré les tensions persistantes sur le marché du travail. |
Le décret du 20 mars 2025 : recentrage national et clarification salariale
Le décret du 20 mars 2025 introduit des modifications substantielles dans la définition de l’offre raisonnable d’emploi (ORE), en cohérence avec les recommandations des partenaires sociaux exprimées dans l’accord du 14 novembre 2024. Désormais, seules les offres d’emploi localisées sur le territoire français peuvent être considérées comme raisonnables dans le cadre de l’obligation de recherche d’emploi. Les offres transfrontalières (par exemple en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg ou en Suisse), bien que parfois situées à quelques kilomètres, sont exclues du périmètre de l’ORE, sauf si elles sont explicitement recherchées par le demandeur.
Ce recentrage territorial s’accompagne d’une clarification sur le critère de rémunération : le salaire de référence utilisé pour évaluer une ORE est désormais celui habituellement pratiqué en France pour des postes similaires dans la zone géographique du demandeur. Il peut tenir compte de son niveau de qualification et d’expérience, mais les niveaux de salaire pratiqués à l’étranger, souvent supérieurs, ne sont plus pris en compte. Cette mesure vise à restaurer l’équité entre demandeurs d’emploi et à préserver l’équilibre financier de l’Assurance chômage, qui supportait un déficit annuel estimé à près de 800 millions d’euros lié à l’indemnisation des 77 000 demandeurs d’emploi transfrontaliers.
Le décret ne remet pas en cause la liberté de chercher un emploi à l’étranger, ni les droits à l’indemnisation des travailleurs frontaliers : conformément au règlement européen 883/2004, les chômeurs frontaliers sont indemnisés par leur pays de résidence, même s’ils ont travaillé et cotisé dans un autre pays. Le décret ne modifie donc ni le montant, ni la durée de leurs allocations, mais encadre plus strictement les critères permettant d’accepter ou de refuser une offre sans perdre ses droits.
Comparaison européenne : des niveaux de sanction très contrastés
En France, le premier refus à une ORE n'est pas sanctionné, cependant, dès le deuxième refus, les demandeurs d'emploi peuvent être radiés de la liste de France Travail, ce qui suspend automatiquement leurs droits à l’indemnisation. Cette suspension peut durer de 2 à 6 mois, en fonction de la gravité des manquements et de l’historique du demandeur. En cas de récidive ou de manquements répétés à leurs obligations, la suppression des allocations peut devenir définitive, ce qui souligne l’importance du respect du contrat d’engagement et du projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE).
Une analyse menée dans 12 pays européens montre que la France est l’un des rares à ne pas sanctionner dès le premier refus d’offre. À l’inverse, plusieurs pays de la zone euro, tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark, la Suisse, la Suède, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Norvège et la Belgique, appliquent des sanctions dès le premier refus, avec des réductions ou suppressions d’allocations.
Certains pays, comme la Suisse, le Royaume-Uni et le Danemark, se distinguent par des règles particulièrement strictes en matière de contrôle et de sanctions. En Suisse, les sanctions sont rapides et sévères : dès le premier refus, une suspension des allocations de 60 jours à 6 mois peut être décidée par les cantons. Au Royaume-Uni, un suivi renforcé avec des entretiens toutes les deux semaines est imposé, et une suspension de trois mois est appliquée dès le premier manquement. Le Danemark, de son côté, impose une disponibilité immédiate : les offres doivent être consultées chaque semaine et les réponses apportées sous 24 heures, sous peine de perte immédiate de l’allocation. Ces approches visent une responsabilisation accrue des bénéficiaires par le biais d’engagements clairs et de sanctions dissuasives.
L’Allemagne adopte également une politique rigoureuse, bien qu’un peu moins coercitive. Elle impose la signature d’un contrat d’insertion formalisant les engagements du demandeur. Un premier refus d’offre entraîne une réduction de 30 % de l’allocation pendant deux mois.
- France
Julie, 35 ans, demandeuse d’emploi à Lyon, refuse une offre d’assistante administrative estimant le poste sous son niveau.
➤ Premier refus : pas de sanction.
➤ Deuxième refus : suppression totale (100%) de l’allocation pendant 2 mois et radiation de la liste des demandeurs d’emploi pendant 2 mois
➤ Troisième refus : suppression totale (100%) de l’allocation pendant 4 mois et radiation de la liste des demandeurs d’emploi pendant 4 mois
- Pays-Bas
Sanne, 28 ans, refuse un poste à 30 km car elle n’a pas de voiture.
➤ Premier refus : pas de sanction.
➤ Deuxième refus : suspension de 2 mois
➤Troisième refus : suspension de 1 an
- Allemagne
Markus, 42 ans, à Berlin, refuse deux offres de technicien jugées incompatibles avec ses attentes.
➤ Premier refus : -30 % des allocations pendant 2 mois
➤ Deuxième refus : suspension totale des allocations pendant 2 mois
➤Troisième refus : suspension de 8 mois à 1 an des allocations
- Royaume-Uni
Liam, 50 ans à Manchester, rejette une offre de livreur.
➤ Premier refus : suspension des des allocations pendant 3 mois
➤ Deuxième refus : suspension des des allocations pendant 6 mois
➤ Troisième refus : suppression d’allocations et radiation
- Danemark
Freja, 40 ans, ignore plusieurs offres reçues en ligne.
➤ Premier refus : perte immédiate de l’allocation
➤ Deuxième refus : rappel formel
➤ Troisième refus : radiation, suppression des allocations et ne peut récupérer ses droits qu’après avoir travaillé 300 euros en 3 mois.
- Suisse
Yann, frontalier à Annecy, refuse un poste à Genève pour motif salarial.
➤ Selon le canton : suspension de 60 jours à 6 mois dès le 1er refus
➤ En cas de récidive : exclusion définitive des allocations
- Suède
Elin, 30 ans à Stockholm, refuse deux offres.
➤ Premier refus : suspension des allocations pendant 45 jours
➤ Deuxième refus : radiation, et suppression des allocations définitives
- Italie
Giulia, 33 ans à Milan, décline un emploi en centre d’appels.
➤ Premier refus : suppression immédiate des allocations pendant 6 mois
- Espagne
Carlos, 39 ans à Madrid, ne se présente pas à un rendez-vous obligatoire.
➤ Premier refus : suppression des allocations et radiation
- Portugal
Ana, 45 ans à Porto, refuse une formation imposée.
➤ Premier refus : suppression des allocations et radiation
- Norvège
Erik, 55 ans à Oslo, décline deux offres à 45 km.
➤ Premier refus : suppression des allocations et radiation
- Belgique
Claire, 29 ans à Bruxelles, refuse une offre de téléopératrice.
➤ Premier refus : avertissement écrit
➤ Deuxième refus : avertissement, ou suspension d’allocations pendant 4 semaines à 1 an.
➤ Troisième refus : Suppression d’allocations, radiation
Graphique récapitulatif des durées de sanctions :
Conséquences de refus des offres raisonnables d'emplois sur les allocations dans 12 pays européens
Clarification des notions de radiation et de suppression des allocations
Il est essentiel de distinguer la radiation de la liste des demandeurs d’emploi de la suppression des allocations chômage. La radiation correspond à un retrait temporaire de l’inscription à France Travail, empêchant toute nouvelle inscription pendant la durée fixée. Si la personne est indemnisée, les paiements sont suspendus durant cette période. Cela revient à une perte de jours d’indemnisation, soit de manière partielle (réduction du nombre de jours restant à percevoir), soit totale (perte définitive de l’ensemble des droits restants). Ces sanctions sont graduées, proportionnelles à la gravité des manquements, et encadrées par le Code du travail (articles L. 5412-1 et suivants).
Conclusion :
La France fait figure d’exception en Europe en n’appliquant aucune sanction dès le premier refus d’une offre raisonnable d’emploi. Pourtant, à l’heure où le marché du travail reste tendu et où le taux de chômage structurel peine à descendre, l’efficacité du système d’indemnisation ne peut reposer uniquement sur la logique de l’accompagnement.
Le décret du 20 mars 2025 introduit des clarifications bienvenues, notamment en recentrant l’ORE sur le territoire national et en précisant les seuils salariaux de référence. Ce recentrage vise à garantir l’équité entre demandeurs d’emploi tout en préservant les équilibres financiers de l’assurance chômage. Il constitue un pas important vers une contractualisation plus rigoureuse des droits et devoirs des allocataires.
Pour autant, face aux pratiques observées dans le reste de l’Europe – où une absence de coopération est fréquemment sanctionnée dès le premier manquement –, la France reste marquée par une certaine tolérance, qui affaiblit la portée incitative du dispositif. Or, dans un système où la solidarité repose sur la contribution des actifs, l’acceptation de l’offre raisonnable d’emploi ne saurait être une option.
Renforcer les sanctions dès le premier refus, tout en maintenant des garde-fous objectifs (salaire, distance, compatibilité des compétences), permettrait à la France de se rapprocher des standards européens en matière de responsabilisation des chômeurs. Il ne s’agit pas de stigmatiser, mais d’exiger un effort réel, proportionné et contrôlé. À défaut, le contrat de confiance qui fonde notre système d’assurance chômage risque de perdre en légitimité.
France Travail : https://statistiques.francetravail.org/stmt/defmpub/221451
https://www.francetravail.fr/candidat/pole-emploi-et-vous/vos-droits-et-vos-engagements.html
OCDE, Conditions d’éligibilité liées à l’activité pour percevoir les allocations de chômage : https://www.oecd.org/content/dam/oecd/en/about/programmes/dg-reform/using-ai-to-improve-job-matching-tools-for-minimum-income-scheme-beneficiaries/Activity-related%20eligibility%20conditions%202022.pdf?
Bureau international du Travail, Régimes d’assurance chômage dans le monde : preuves et options de politique :
Allemagne : https://www.sozialgesetzbuch-sgb.de/sgbiii/159.html?
Royaume-Uni : https://www.nidirect.gov.uk/articles/benefit-sanctions