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Plan logement : le gouvernement n’y parviendra pas sans faire sauter la loi SRU

Le plan logement présenté par les ministres Jacques Mézard et Julien Denormandie a suscité de nombreuses réactions parmi les acteurs du logement. Guidé par une volonté de faire baisser les loyers et les APL qui sont liées (principale dépense de la politique du logement), le gouvernement remet à plat les règles qui s’appliquent au monde HLM. Mais malgré des mesures audacieuses - recentrage des aides fiscales dans les zones tendues, réexamen du droit au maintien dans les lieux dans le secteur HLM, pauses dans les normes techniques... - le gouvernement ne parviendra pas à créer un choc d’offre sans remettre en cause la loi SRU et ses 25% de logements sociaux, règle à laquelle le président de la République reste attaché.

Les ministres Jacques Mézard et Julien Denormandie ont présenté hier les principales mesures du plan logement[1]. C’est peu dire que l’exécutif est soumis à une pluie de critiques. Après la baisse de 5 euros par mois des APL décidée en juillet, le gouvernement s’est justifié en ciblant l’inefficacité de la politique du logement. Et pour cause, avec près de 2% du PIB, la politique du logement représente en volume (40 Mds) plus que les politiques de lutte contre la pauvreté et pour l’insertion (20 Mds), et autant que les politiques de l’emploi[2]

L’objectif est donc de faire des économies tout en proposant une remise à plat avec trois objectifs détaillés par les co-ministres en conférence de presse :

  • Construire plus, mieux et moins cher ;
  • Répondre aux besoins de chacun partout sur le territoire ;
  • Améliorer le cadre de vie.

Les principales mesures sont les suivantes :

  • Libérer du foncier public et inciter fiscalement les propriétaires de terrains à vendre leurs biens :

En zone tendue, toute personne propriétaire d’un terrain à bâtir ou bâti qu’elle cédera avant le 31 décembre 2020 bénéficiera d’un abattement fiscal sur les plus-values, de 100% si le terrain est destiné à recevoir du logement social, de 85% en cas de logement intermédiaire, et de 70% pour le logement libre.[3]

  • Simplifier les réglementations en ne créant aucune nouvelle norme technique :

Proposition de revenir sur les contraintes techniques en ne donnant plus d’obligations de moyens mais de résultats, par ailleurs, sur les normes accessibilité, seuls des 10% des logements neufs devront être intégralement accessibles, les autres devront être évolutifs, c’est-à-dire être susceptibles d’être adaptés aux normes handicap[4]

  • Permettre l’insertion des personnes en situation d’hébergement d’urgence dans le parc social en fluidifiant la mobilité dans le parc social :

Le gouvernement souhaite que les bailleurs sociaux réexaminent tous les 6 ans le droit au maintien dans les lieux pour vérifier si la situation du locataire n’a pas évolué (revenus, composition familiale)[5].

  • Favoriser le logement pour les jeunes 

60.000 logements étudiants, extension de la caution Visale, bail mobilité…

  • Favoriser l’accès à la propriété avec un recentrage des dispositifs Pinel et PTZ 

Très critiqués ces deux dispositifs sont accusés d’être inflationnistes et d’avoir contribué à accroître l’offre dans des zones déjà peu tendues

  • Favoriser le renouvellement des centres-bourgs

Même si un récent rapport sénatorial montre que cette problématique dépasse largement les compétences du ministère du Logement… [6]

  • Doubler les capacités financières de l’ANRU dans le cadre de la politique de soutien aux quartiers

Pour l’instant on ignore qui de l’Etat ou d’Action Logement financera cette hausse 

  • Favoriser les travaux de rénovations énergétiques

Cette mesure qui s’inscrit dans le cadre du plan climat devrait apaiser les revendications des associations environnementales face à la pause prévue dans les réglementations techniques, elle devrait aussi rassurer les acteurs du bâtiment situés en zones non tendues qui ne bénéficieront plus du « coup de fouet » des aides à la construction.

Créer très vite un choc d’offre

Même si la construction se porte bien selon les chiffres du ministère du logement qui indique qu’en un an (d'août 2016 à juillet 2017), 482.800 logements ont été autorisés à la construction et 402.500 logements ont été mis en chantier, soit une augmentation respective de 13,3% et 14,5% par rapport au cumul des douze mois précédents[7], le dynamisme du secteur est insuffisant à relâcher la pression sur les prix. Et la mise en application de ces différentes mesures qui ne sont pas encore votées nécessitera forcément du temps.

En attendant le gouvernement veut des résultats immédiats et est décidé à faire baisser les loyers, et vite, et accessoirement le coût des politiques publiques. Il a donc ciblé le secteur social en mettant en œuvre une baisse des APL pour les locataires des HLM qui en bénéficient, ce qui exigera des bailleurs  sociaux de baisser leurs loyers.  « Aujourd’hui le problème c’est le montant de loyers : si on les fait diminuer, on fait diminuer le montant des APL. Cela ne se fera pas du jour au lendemain pour le secteur privé, puisque c’est lié aux mesures visant à provoquer un choc de l’offre. Par contre dans le logement social on peut agir tout de suite », a justifié Julien Denormandie. « Nous proposons aux bailleurs sociaux d’améliorer leurs conditions de financement, et de répercuter le gain que cela va leur apporter – évalué à 1,4 milliard – sur les locataires »[8]. 

Ajouté à cela, le gouvernement compte sur les mesures de réexamen du droit au maintien dans les lieux et du renforcement des surloyers pour accroître fortement la mobilité et libérer des logements sociaux.

Une réaction très négative du monde HLM

Les différents représentants du monde HLM ont fait savoir leur colère et leur stupéfaction. L’USH, union sociale de l’habitat, représentant les acteurs du logement social, par l’intermédiaire de son président, Jean-Louis Dumont a déclaré : « une baisse globale des loyers des locataires Hlm pour compenser la baisse éventuelle des APL serait économiquement insoutenable pour les organismes Hlm, confrontés à la paupérisation croissante de leurs occupants. Le modèle économique des organismes Hlm est fondé sur un endettement de très long terme de 140 milliards d’euros, garanti par les collectivités locales, et remboursé par les loyers des occupants du parc social. Cette baisse éventuelle ferait courir un risque systémique majeur à un secteur qui loge 11 millions de personnes et qui génère plus de 300.000 emplois directs et indirects. »[9]

Même réaction du côté de la Fédération des offices publics de l’habitat : en conférence de presse, le président, Alain Cacheux, a déclaré « Il [le plan] réduit de 70% notre capacité d’investissement pour mener des réhabilitations ou construire, et fragilise 98 offices sur 255. Les compensations que propose le ministère sont, en outre, dérisoires et mensongères. »[10] Il fait référence ici à la proposition du gouvernement de geler à 0,75% pendant deux ans le taux du livret A et d’allonger les prêts consentis aux bailleurs sociaux par la Caisse des dépôts. Or selon les acteurs du monde HLM ces mesures ne rapporteront que quelques milliers d’euros.

Pourtant, à l’appui de la stratégie proposée par le gouvernement, la Cour des comptes dans un référé publié cette semaine avec un certain sens du timing est venue rappeler quelques chiffres à l’endroit de la situation financière des bailleurs sociaux. Dans ce référé la Cour s’interroge sur le bilan des exonérations fiscales dont bénéficient le secteur HLM : « Cette interrogation s’impose d’autant plus (…) que le niveau actuel de leurs résultats et de leurs réserves leur permettrait désormais d’intégrer une diminution d’1 Md€ de leurs avantages fiscaux. Le rapport d’évaluation du logement social publié par la Cour en février 2017 a en effet relevé, sur la base des données de l’agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS), que le secteur HLM (offices publics de l’habitat et entreprises sociales de l’habitat) a globalement dégagé en 2014 un résultat net comptable de 3,3 milliards d'€ et une capacité d’autofinancement de 9,7 milliards d'€. A la même date, les fonds propres, d’un montant de 161 milliards d'€, dépassaient de plus de 30 milliards d'€ l’encours des emprunts de ces organismes. » [11] D'ailleurs à l'issue de ce référé, la Cour recommande de supprimer l'éxonération d'IS dont bénéficient les bailleurs sociaux, mesure proposée par la Fondation iFRAP.

D'ailleurs, le nombre de logements HLM construits ces cinq dernières années a été multiplié par 2 alors que les aides à la pierre de l'Etat ont été divisées par 2 et les prélèvements de l'Etat sur les organismes (CGLLS et SLS) ont été multipliés par 4. Les organismes HLM peuvent donc maintenir un rythme de construction élevé malgré la baisse des contributions publiques. S'ils veulent maintenir ce rythme, il faudra améliorer la gestion de nombreux OPHLM ou les contraindre à fusionner avec des organismes plus performants.

Les bailleurs sociaux disposent donc des capacités financières pour supporter la nouvelle orientation de la politique du logement. Le gouvernement prévoit d’ailleurs un plan pour accélérer la vente de logements sociaux en bloc ou à leurs occupants avec pour objectif 40.000 ventes annuelles pour 3 milliards d’euros potentiellement de recettes ce qui devraient leur donner de nouvelles capacités d’investissement[12].

Les mesures annoncées marquent donc une vraie rupture avec le précédent quinquennat de câlinothérapie du monde HLM.

Les limites au volontarisme gouvernemental

Si ce plan logement est marqué par une certaine audace vis-à-vis du monde HLM, plusieurs annonces ne font que reprendre des mesures déjà annoncées de nombreuses fois par les gouvernements précédents sans résultats probants : focalisation du PTZ et du Pinel, vente de terrains publics, simplifications règlementaires, vente de 40.000 HLM, construction de 60.000 logements étudiants. Il est surtout nécessaire de rappeler au gouvernement qu’il existe un certain nombre de freins aux mesures qu’il propose.

Sur le foncier, les nombreuses limites à la constructibilité sont directement issues du foisonnement législatif : plans de prévention des risques naturels, préservation des terres agricoles, protection d’espaces naturels, etc. Les subventions de l’Etat au secteur HLM pour surcharge foncière contribuent également à l'inflation du prix des terrains.

Pour le droit au maintien dans les lieux, rappelons qu’il ne peut être remis en cause si les locataires sont en situation de handicap et surtout s’ils ont plus de 65 ans[13].

S’agissant des surloyers, il faut tenir compte de la volonté des mairies : le quotidien Le Parisien explique ainsi que les mairies de Paris ou de Puteaux ont refusé l’application des surloyers.  A Puteaux, la maire a demandé au préfet d’exonérer 80% de son parc social des surloyers[14]. A Paris, au nom de la mixité, le conseil a voté une modification de son PLH pour ne pas avoir à appliquer une majoration du surloyer à près de 4.000 familles.

Pour la vente de logements, il faut aussi rappeler que le maire ou le préfet peuvent s’opposer à la vente. Cette opposition est d’autant plus forte que la commune est située en zone tendue et qu’il faut atteindre 25% de logements sociaux ! Même si la loi permet de conserver pendant 5 ans dans le quota SRU les logements vendus à leurs occupants, les maires, particulièrement dans les offices (contrairement aux SA HLM) sont peu enclins à se séparer d’une partie du patrimoine communal qui leur permet d’exercer une prérogative particulièrement visible auprès de leurs administrés.

Même chose pour les préfets qui, en zones tendues, doivent jongler avec les demandes DALO : si la vente de logements doit porter sur le contingent préfectoral, le risque est grand qu’ils s’y opposent.

Enfin, sans rééquilibrage des relations locataire-propriétaire, il ne sera pas possible de remobiliser les investisseurs pour le locatif privé, sauf à le subventionner par des exemptions fiscales coûteuses.

Il n’y aura pas de choc d’offre sans remise en cause de la loi SRU

Le gouvernement n’entend pas revenir sur le principe de la loi SRU, ni sur les 25%, ni sur les délais. Pourtant, il faut revoirsur cette loi emblématique : il n’est pas possible d’encourager l’extension du parc social et le développement d’un secteur libre sans engendrer une concurrence entre les deux secteurs dans les zones où le foncier est limité, contribuant à faire grimper les prix.

Déjà cette « norme » est inutile en zones détendues, où la vacance est élevée, et où - comble ! -, les organismes HLM, faute de candidats, proposent leurs logements sur Leboncoin ou dans des agences immobilières, mais sont sanctionnés si elles ne continuent pas à augmenter leur parc[15].

Dans les zones tendues comme la région parisienne le contexte est différent mais la loi SRU tout aussi nuisible. A Paris, la mairie, soucieuse d’accroître son parc de logements sociaux, « conventionne » massivement le parc de logements « intermédiaires » qu’elle contrôle à travers ses SEM et Paris habitat. Conséquence, en 25 ans, le parc privé locatif a été divisé presque par deux et le parc locatif social multiplié par 1,8. Le parc privé permettait de loger des classes moyennes aujourd’hui parties en banlieue ou en province. Le même phénomène joue dans la construction neuve où la loi impose d’inclure 25% de logements sociaux, financés par l’inflation des logements libres.

En banlieue, dans de nombreuses communes, le logement social a été porté trop loin : une enquête montre que 90 communes franciliennes sur 1.300 concentrent 66% du parc social. Le pourcentage de logements SRU atteint 59% à Stains, 57% à Bobigny, 56% à Villetaneuse, 56% à Sarcelles, 54% à Villiers-le-Bel... La question se pose donc de limiter le stock de logements sociaux, plutôt que de l’accroître, alors que ce parc atteint déjà 27% de l’ensemble des logements de la région Ile-de-France (soit au-dessus du quota SRU) et qu’un logement construit sur deux l’année dernière en région francilienne est un logement social ! A minima, en zones tendues, on pourrait appliquer la loi SRU au niveau intercommunal puisque les PLU qui définissetn les sites réservés au logement social sont déjà une prérogative de l'intercommunalité !

On attend donc de voir si dans ce contexte le choc d’offre sera réellement suivi d’effets.


[1] Dossier de presse du plan logement disponible sur le site du ministère de la Cohésion des territoires 

[2] Chiffres issus des comptes de la protection sociale, voir documents de la DREES et les comptes du logement.

[3] Une stratégie logement éclipsée par la baisse des APL, la Gazette des communes, 20/09/2017. 

[4] Une stratégie logement éclipsée par la baisse des APL, la Gazette des communes, 20/09/2017. 

[5] Le secrétaire d'Etat Julien Denormandie : "Aucun allocataire des APL ne perdra un euro", le JDD, 16/09/2017.

[6] Revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs : rapport d'étape, rapport d'information de Rémy Pointereau et Martial Bourquin, Sénat, 20/07/2017et Martial BOURQUIN, fait au nom de la Délégation aux entreprises et de la délégation aux collectivités territoriales

[7] Construction de logements, résultats à fin juillet 2017 (France entière)

[8] Les APL ne baisseront pas en 2018, promet le gouvernement, Le Figaro, 21/09/2017

D’autre part, à partir de 2019, le calcul de l’aide personnelle au logement ne se fera plus sur les revenus d’il y a deux ans, mais sur les revenus actuels, ce qui entraînera une économie d’un milliard d’euros, calcule le ministère.

[9] APL, loyers : le Mouvement Hlm alerte sur le risque de mise en péril du logement social, USH, 06/09/2017

[10] Le plan du gouvernement fait porter l'effort financier sur le secteur social, Le Monde, 20/09/2017

[11] Les dépenses fiscales en faveur du logement social, référé de la Cour des comptes, 01/06/2017

[12] Voir l’interview de Jacques Mézard sur Europe 1 et notre note "Plan logement : une nouvelle réforme pour quoi faire ?"

[13] La perte du droit au maintien dans les lieux, ministère de la Cohésion des territoires

[14] Logement social à Paris : 80 % des classes moyennes échapperont à la hausse des surloyers, Le Parisien, 14/12/2016

[15] Voir le reportage de France 5 sur Vichy, Le Monde en Face, 13/09/2017