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Dissocier fraude fiscale et fraude sociale est une erreur

On attendait la présentation cette semaine d'un grand plan de lutte contre la fraude sociale. Qu'avons-nous eu à la place ? L'annonce d'un énième plan sur la fraude fiscale. Déjà, en 2020, le gouvernement annonçait un grand plan pour cibler la fraude fiscale par l'intelligence artificielle. Les logiciels de data mining allaient repérer plus rapidement les fraudeurs fiscaux sur les réseaux sociaux grâce aux données personnelles. Aujourd'hui, on nous dit que l'on va « capter les données » et faire du renseignement, bref à peu près la même musique.

Cette tribune a été publiée dans les pages des Echos, le vendredi 12 mai 2023.

La fraude fiscale serait l'apanage des ultra-riches. Sur quelles données repose cette assertion ? Sur le prétexte que 80 % des droits redressés sont le fait de 10 à 15 % des dossiers ? Mais on sait que la moitié (ou plus) de la fraude fiscale, soit 15 à 20 milliards d'euros par an, vient de la fraude à la TVA… Donc pas le fait de personnes physiques mais de personnes morales souvent créées ad hoc au grand dam des vrais professionnels.

Fraude sociale : au moins 20 milliards par an

Etrangement, on ne nous parle pas de la TVA alors que les montants notifiés sont en baisse de 9,5 % entre 2020 et 2021… Qui peut croire que l'on peut encore frauder sur les revenus alors que tout est majoritairement prélevé à la source, que ce soit sur les revenus de salaires par l'entreprise ou même du capital par l'établissement payeur ? Bercy connaît désormais même mieux que nous nos revenus avant que nous les ayons touchés ! A moins de s'attaquer à la grande fraude internationale, mais dans ce cas, les Français les plus riches ne sont pas concernés.

Pendant ce temps-là, il ne se passe quasiment rien sur le contrôle de la fraude sociale, qui représente pourtant au moins 20 milliards d'euros par an : 10 milliards sur les cotisations et 10 milliards sur les prestations. Or, la fraude sociale engendre souvent de la fraude fiscale. Car celui qui travaille de manière non déclarée, que ce soit à sa demande ou à la demande de l'employeur, ne paie pas de cotisations et touche des minima, ne paie pas, par définition, non plus d'impôts.

Pourquoi pas de service de renseignement sur la fraude sociale, d'aviseurs sociaux rémunérés ? Pourquoi pas de déchéance des droits civiques ou de titres de séjour pour les fraudeurs sociaux comme ce qui existe déjà pour les impôts à l'article 1741 du CGI ? Pourquoi quasiment pas d'amendes ou de pénalités ? Qu'attendons-nous pour faire contrôler les bénéficiaires de minima sociaux par des contrôleurs de Bercy ? En exigeant l'intégration dans la déclaration fiscale de l'ensemble des revenus d'où qu'ils proviennent (activité ou solidarité).

Y aurait-il en France une tolérance à la fraude sociale ? Actuellement, il est encore possible de toucher des minima français en résidant six mois à l'étranger (mais est-ce contrôlé ?), de falsifier des déclarations de revenu ou d'hébergement pour toucher le minimum vieillesse, ou de se déclarer faussement parent isolé pour toucher plus d'aides… Mais chut, c'est tabou et quand on recouvre 11 à 12 milliards par an sur la fraude fiscale, on arrive à peine à retrouver un petit milliard par an sur la fraude sociale.

Une urgence démocratique

Qu'attendons-nous pour ouvrir les yeux sur le sujet ? Il est beaucoup plus grave qu'il n'en a l'air car il pose la question à la fois du travail et de la solidarité. L'économie grise de la France représente 11 % de notre richesse nationale. Arrêtons avec ce cliché de la fraude des riches contre la fraude des pauvres.

Ne reculons pas sur la fraude sociale, c'est une urgence démocratique. De bonnes annonces avaient été esquissées : surveillance des vols, obligation de résider en France toute l'année pour toucher des aides, de présenter des papiers originaux et non des photocopies… ne les enterrons pas.