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Plan Bayrou : 30 milliards d'économies mais 14 milliards de hausses d'impôts

Le Premier ministre François Bayrou a présenté le 15 juillet le diptyque de son « Moment de vérité » face à la dégradation des comptes publics. Celui-ci se divisait en deux plans : « stop à la dette » de 43,8 Md€ et « En avant la production », sensé constituer la contrepartie de relance de l’activité afin de neutraliser les effets récessifs du premier chargé de maîtriser le niveau de l’endettement public. Des éléments complémentaires ont par ailleurs été fournis dans le cadre du rapport présenté au parlement en appui du DOFiP (débat d’orientation des finances publiques) 2026. Mais s’il s’agit de « stabiliser » au plus vite l’endettement de notre pays, le programme du Premier ministre ne vise pas encore à stabiliser l’ensemble de la dépense publique en valeur… tout au plus de la faire progresser de 29 milliards d’euros. Par ailleurs l’ensemble de l’ajustement ne s’effectuera pas en économies dans la dépense publique (43,8 Md€), mais aux 2/3 (30 Md€), 1/3 s’appuyant sur des hausses de prélèvements obligatoires (13,8 Md€). 

Des économies de 30 milliards d’euros avec un tendanciel des dépenses à 59 Md€ :

Le Gouvernement a décidé de réaliser 30 milliards d’économies pour endiguer la hausse tendancielle des dépenses « à politique inchangée de 2025 » estimée par le Gouvernement à 59 Md€ pour l’ensemble des administrations publiques. La répartition serait la suivante :

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP, juillet 2025.

Avec cette présentation par niveaux d’administration, on constate le très fort dynamisme résiduel des dépenses des APUC poste ajustement attendu en 2026 (+22 Md€ par rapport à 2025), tandis que les dépenses des administrations locales baisseraient de 2 milliards en niveau et que le dynamisme des dépenses des administrations de Sécurité sociale seraient plus que divisées par 2 pour atteindre +9 Md€ contre +20 Md€ en tendanciel. 

Ajoutons que les baisses envisagées seraient majoritairement portées par les APUC (État + ODAC (~Opérateurs -13 Md€), tandis qu’une réduction inédite des dépenses de sécurité sociale serait mise en place (-10,9 Md€) et que les collectivités territoriales afficheraient des économies de 6,1 Md€. 

Les économies sur les dépenses publiques représenteraient 68,5% de l’ajustement total envisagé, tandis que les recettes en représenteraient 31,5% dudit ajustement. 

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP, juillet 2025.

L’évolution des dépenses résiduelles 29 Md€ si les économies identifiées étaient correctivement dégagées, seraient on l’a dit plus haut principalement portées par le niveau des APUC – État + ODAC (22 Md€ - soit 76%). 

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP, juillet 2025.

Cette difficulté de résorption pour l’année prochaine s’appuie sur des dépenses contraintes sur lesquelles le Gouvernement n’a pas la main. Il s’agit de l’augmentation de la charge de la dette (+8 Md€) attendue sur le seul segment des APUC, mais aussi l’évolution de la dépense militaire dans le cadre de sa loi de programmation (+3,2 Md€) à laquelle s’ajoute l’accélération de la trajectoire annoncée par le Président de la République (+3,5 Md€) pour 2026 (soit +6,7 Md€ au total). Par ailleurs le PSRUE (prélèvement sur recettes de l’Union européenne) aurait dû augmenter de 7,3 Md€, mais une réduction a été obtenue par la France de -1,6 Md€[1], permettant de limiter son augmentation à 5,7 Md€[2]. Enfin les ODAC (~opérateurs/agences) auraient des dépenses à évolution incompressible de l’ordre de 1,6 Md€. 

… portées majoritairement par l’État (46%) et par la Sécurité sociale (36%) :

Si maintenant on passe du tendanciel à politique inchangée à l’évolution prévisionnelle des dépenses, les décompositions sont encore différentes avec lorsque c’est possible les évolutions en niveau :

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP, juillet 2025.

Sur le champ des APUC, le tendanciel des dépenses jugées « pilotables » serait de 13 Md€ en 2026 à politique inchangée au sein des ministères. Mais le tendanciel de cette catégorie de dépenses serait compensée par des économies de 13 milliards d’euros (43%), qui se répartiraient en 10 Md€ d’économies sur les crédits des ministères (4,8 Md€) et des opérateurs hors masse salariale (5,2 Md€), et 3 Md€ d’économies additionnelles portées par l’absence de mesures de revalorisation salariale (générales et catégorielles ~1,1 Md€), mais aussi par la baisse de 3000 agents publics dans la FPE (État + Opérateurs) ~200 M€ hors élèves enseignants). En revanche le GVT+ (progression de carrière) ne serait pas bloqué.  S’ajouteraient des effets de non-revalorisation de prestations sociales portées (ou compensées) (~0,5Md€) par l’État (dépenses de guichet) sur la lutte contre la fraude aux aides publiques (0,7 Md€), ainsi que le décalage des projets d’investissement dans le cadre de l’année blanche (~0,5 Md€). 

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP, juillet 2025.

S’agissant du bloc local, avec un tendanciel de 4,1 Md€, celui-ci serait maîtrisé et déboucherait même sur des économies en niveau sur le segment APUL qui baisseraient en valeur même de -2 Md€. Dont -5,3 Md€ sur les collectivités territoriales et -0,8 Md€ sur les ODAL (opérateurs locaux, dont Île-de-France Mobilités et la Société des Grands Projets) – soit 20% des économies. 

Pour les collectivités territoriales, il y aurait d’abord une régulation des recettes dont elles disposent sans contractualisation – puisque l’espace parlementaire pour cette voie n’est pas disponible. Cela aboutirait à une baisse des concours financiers de l’État de -1,1 Md€.

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP, juillet 2025.

S’y ajouterait une reconduction du dispositif DILICO (lissage des recettes[3]) soit 1 Md€ et de la poursuite du gel de la TVA affectée aux collectivités territoriales pour un montant total d’environ 1,2 Md€[4].

Ce freinage des ressources devrait permettre que les dépenses des collectivités ne progressent pas plus vite que les « ressources de la Nation ». S’y ajouterait également la baisse des dépenses d’investissement en lien avec le cycle électoral, ce qui permettrait de dégager 2,6 Md€ d’économies supplémentaires.  En sens inverse un fonds de soutien exceptionnel aux départements les plus en difficulté serait constitué pour un coût de +300 M€. 

Enfin, les économies sur les administrations de sécurité sociale représenteraient près de 10 milliards d’euros (36%). Face à un tendanciel à politique inchangée de +20 milliards d’euros/an dont 10 milliards d’euros sur l’ONDAM, et 10 milliards sur les autres composantes des dépenses sociales (Unedic, dépenses de retraites, famille, AT-MP (part hors ONDAM) et dépendances). 

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP juillet 2025.

Des économies en face s’élèveraient à 11 Md€, dont 5,5 Md€ recherchés sur les dépenses d’assurance-maladie… contenant la dérive de ces dépenses à seulement +4,5 Md€ en 2026 par rapport à 2025. Plusieurs mesures sont annoncées pour y parvenir : doublement du plafond des franchises de 50€ à 100€/an, développement de la prévention, tenue obligatoire du dossier médical partagé, réforme des affections de longue durée (sortir la consommation des médicaments sans lien avec les pathologies chroniques identifiées – réévaluation périodique du statut des bénéficiaires en ALD) ; réutilisation des dispositifs médicaux et médicalisés (approche « reUse »), lutte contre l’explosion des arrêts maladie.

D’autres dispositifs complémentaires seraient mis en place pour un même montant d’économies sur d’autres champs (5,5 Md€). Cela se traduirait par les effets de l’année blanche sur les prestations sociales financées par les ASSO (2,5 Md€), une nouvelle réforme de l’Assurance-Chômage durcissant les conditions d’attributions et les montants d’indemnisation (1,8 Md€[5]) et il s’agirait de la seule mesure structurelle d’économie. D’autres mesures devraient représenter près de 1,2 Md€ d’économies supplémentaires. 

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP juillet 2025

Des mesures d’augmentation des prélèvements obligatoires de +13,8 Md€ - sans doute plus ! :

Pour atteindre les 43,8 Md€ d’ajustement, le Premier ministre envisage une augmentation des mesures discrétionnaires en prélèvements obligatoires de près de +13,8 Md€, indépendamment du rebond des prélèvements obligatoires à la croissance. Dans le détail, les mesures connues à ce jour seraient les suivantes :

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Source : Annonces du Premier ministre, DOFiP et calculs Fondation IFRAP, juillet 2025.

Les mesures d’équité fiscales se diviseraient entre un gel des barèmes de l’IR (+1Md€) et de la CSG (+2 Md€) au titre de l’année blanche (cette mesure n’est pas étendue aux bases cadastrales pour la fiscalité locale). Par ailleurs, la CDHR (contribution différentielle sur les hauts revenus) serait a minima conservée ou remplacée par une contribution sur les hauts revenus, assortie de mesures anti-optimisation pour les actionnaires réputés « passifs » des holdings. Le rendement de ces deux mesures serait de +1,2 Md€ par rapport à 2025, soit un doublement par rapport au produit connu de l’actuelle CDHR (1,2 Md€[6]).

Une rationalisation des niches fiscales et sociales dont les détails ne sont pas encore connus rajouterait par suppression ou recentrage des recettes fiscalo-sociales supplémentaires de 3,4 Md€. La lutte contre la fraude fiscale devrait représenter près de 0,9 Md€. L’introduction d’une taxe sur les petits colis pourrait représenter entre 1,1 Md€ et 1,6 Md€ (avec une estimation de 2€ l’unité sur 800 millions de petits colis[7]).

Enfin la suppression de deux jours non travaillés (lundi de Pâques et 8 mai proposés), se traduirait par une taxation des entreprises équivalent à 0,6 point de masse salariale, soit 4,2 Md€ nets, selon un dispositif analogue à celui mis en place par le Gouvernement Raffarin pour financer la journée de solidarité pour les personnes âgées (0,3 point de masse salariale). 

Reste que certaines mesures fiscales additionnelles manquent à l’appel : ainsi la transformation de l’abattement fiscal de 10% pour les retraités en forfait de 2000€/an (+2 Md€[8] ?), le relèvement éventuel de la TTF[9] (taxe sur les transactions financières, au-delà du taux actuel de 0,4%) etc. 

Et pourtant 13,8 Md€ d’économies supplémentaires sont possibles :

Pourquoi porter atteinte au principe jusqu’ici respecté de la stabilité fiscale ? Des économies additionnelles auraient été possibles et localisables :

  • Non-revalorisation des bases locatives cadastrales ~0,6 Md€[10] ;

  • Gel du GVT positif sur l’ensemble de la FPE ~1,7 Md€ ; si les trois fonctions publiques étaient concernées, cela porterait l’économie totale à ~3,6 Md€ ;

  • Non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite ; cette réforme est reportée à 2027, pourtant dès 2026 si elle était mise en place dans les 3 fonctions publiques (dont la territoriale qui voit sa transition démographique s’accélérer), il serait possible d’en tirer sans doute environ 2,1 Md€/an[11] ;

  • Rabais supplémentaire sur le futur budget européen et « lissage » de la contribution française (PSRUE), +1,4 Md€/an ;

  • Suspendre le tiers payant pour un an (AME, C2S et ALD), permettant de ralentir les dépenses de médecine de ville (~5 Md€) ;

  • Baisser la DGF (et la péréquation) pour limiter les situations de « DGF négative », pour 1 milliard d’euros ;

Conclusion : gagner du temps pour lancer les réformes structurelles :

Lancer une réforme profonde des opérateurs, anticiper les coûts de fusion ou de rationalisation, simplifier le millefeuille territorial, mettre en place une gestion automatique et paramétrée des retraites, lancer le débat sur l’introduction d’une dose de « capitalisation », mettre en place l’ASU[12] (allocation sociale unique, afin de limiter la fraude et le non-recours), cela ne peut pas se mettre en place en simplement 3 mois. Le pari de François Bayrou malgré le déséquilibre de son plan d’ajustement qui s’appuie trop sur l’alourdissement des prélèvements obligatoires au risque de juguler trop fortement son plan pour la production (allègement et simplification des procédures bureaucratiques, compétitivité et financement de l’économie), est de gagner du temps pour engager les réformes structurelles tout en jugulant la dérive des comptes publics. Évidemment on peut lui reprocher le manque de réformes structurelles hors chômage (1,8 Md€)… mais peut-il faire davantage sans démontrer déjà les premiers signes d’une amélioration de nos finances publiques ? Le recours à l’année blanche est donc une stratégie légitime, mais qui ne peut se prolonger dans la durée… les réformes structurelles lourdes devront suivre, et seront l’objet sans doute de la prochaine campagne présidentielle


[1] https://www.lopinion.fr/politique/amelie-de-montchalin-obtient-une-reduction-de-1-6-milliard-deuros-sur-la-hausse-prevue-de-la-contribution-francaise-a-lunion-europeenne

[2] Il s’agit de la conséquence de l’impossibilité de voter une recette autonome additionnelle au profit de l’UE pour amortir l’endettement souscrit par la commission dans le cadre de son plan anti-Covid (ReactUE). La France doit donc en prendre sa part.

[3] C. Néau, R. Gaspar, Y. Chérel Mariné, Le Gouvernement demande 5,3 milliards d’efforts aux collectivités, La Gazette des Communes15/07/2025.

[4] A. Wälti, Dilico, TVA, dotations… : un effort de 5,3 milliards d’euros réclamé aux collectivités en 2026, Maire Info, édition du 16 juillet 2025.

[5] Assurance chômage : vers un nouveau durcissement des règles ? La mesure fait débat, Le Dauphiné Libéré, 17/07/2025

[6] Un remplacement d’un dispositif par un autre, ne produit pas de variation du niveau des P.O. en valeur entre 2025 et 2026. 

[7] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/taxe-sur-les-petits-colis-l-inquietude-des-professionnels-de-la-logistique-1029762.html 

[8] En prenant pour hypothèse que le coût total de l’abattement actuel est de 4,5 Md€ et qu’il soit remplacé par un forfait de 2.000 euros. https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/finances-publiques/pour-les-retraites-ce-sera-une-deduction-fiscale-de-2-000-euros-au-lieu-de-l-abattement-de-10_AV-202507150547.html 

[9] https://gazette-du-midi.fr/au-sommaire/informations-juridiques/la-taxe-sur-les-transactions-financieres-dite-taxe-tobin-passe-a-0-4 

[10] Jean-René Cazeneuve, Situation financière des collectivités territoriales, bilan 2024, 26 mars 2025 et Rapport provisoire de l’Observatoire des finances publiques locales 2025 p.181 et suivantes. https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/DESL/2025/ofgl/2025/Pré-Rapport%20OFGL%202025%20v20250617a.pdf 

[11] Sur la base de 157.000 départs à la retraites recensés dans la fonction publique en 2023, voir L’État de la fonction publique édition 2024, p.77, DGAFP, décembre 2024. 

[12] https://www.20minutes.fr/economie/4163947-20250716-budget-2026-comment-pourrait-fonctionner-allocation-sociale-unique-evoquee-bayrou