Actualité

Retraites : salariés du privé et indépendants vont-ils être les seuls à trinquer ?

La « clause du grand-père », sans cesse évoquée depuis quelques jours au sujet de la réforme des retraites, serait une capitulation en rase campagne pour le gouvernement. La justification de la réforme tient en effet à l’iniquité de notre système de retraites liée aux régimes spéciaux publics avec leurs modes de calcul hyper favorables.

De quoi s’agit-il ? La « clause du grand-père », utilisée surtout en droit américain, permet, lors de l’adoption d’une nouvelle loi, que les conditions de l’ancienne loi puissent s’appliquer à ceux qui en bénéficiaient déjà, généralement pour une période limitée.

Les précédents gouvernements se sont déjà servis de cette clause, notamment pour les embauches chez Orange qui se font maintenant sous contrat alors que les agents de France Télécom étaient des fonctionnaires sous statut. Cette clause sera utilisée aussi à la SNCF puisque toutes les nouvelles embauches se feront sous contrat (et non plus sous statut de cheminot) à partir de 2020.

L’idée d’une « clause du grand-père » était présente en miniature dans le programme d’Emmanuel Macron puisqu’il s’était engagé à ce que les salariés qui étaient à cinq ans de la retraite ne soient pas touchés par la réforme. Celle-ci était donc censée commencer en 2025, et pour 90% des actifs « seulement ».

Puis, plus récemment, le gouvernement a envisagé de faire converger les régimes spéciaux publics en plus de temps (quinze ou vingt ans) que les actifs affiliés au régime général.

Et désormais, on comprend que pour les régimes spéciaux, la convergence ne s’appliquerait que pour les nouveaux entrants !

Rappelons l’ampleur des injustices actuelles : un retraité perçoit 2.636 euros de pension par mois en moyenne pour une carrière complète à la SNCF, 3.700 euros en moyenne pour une carrière complète à la RATP et… 1.900 euros par mois en moyenne pour une carrière complète dans le régime général.

Certes, un agent de la SNCF perdrait entre 19% et 36% du montant de sa pension si on calculait sa pension en appliquant les règles de calcul en vigueur dans le privé. Mais c’est précisément parce que les modes de calcul différents dans les 42 caisses sont inéquitables ! Et c’est pourquoi l’État verse chaque année plus de 7 milliards avec nos impôts pour financer les pensions de la SNCF, de la RATP, etc.

Les agents publics, quels que soient leur régime, seront perdants si une vraie réforme est menée à bien, car les Français soutiennent l’harmonisation des différents régimes au nom de l’égalité entre les cotisants.

Or le président de la République a déclaré : « Moi je comprends tout à fait quelqu’un qui est à EDF, à la RATP ou à la SNCF, qui a 48 ou 50 ans, et qui proteste. Et donc il faut qu’on trouve une solution intelligente. Il est rentré avec un pacte avec la nation, on lui a dit : “Vous allez travailler dans cette entreprise, voilà vos droits”. Sans doute il ne faut pas tout bousculer pour lui. »

Pour le président, il semble que seuls les agents du public aient un pacte avec la nation. Ceux qui travaillent dans le privé, eux, peuvent avoir des règles de calcul qui varient au cours du temps et un système d’âge pivot depuis 2019 sans que cela n’émeuve personne. Étrange.

Ce n’est pas la première fois qu’on nous inflige une inégalité de traitement entre salariés du public et du privé. Le rapport de la Cour des comptes sur les régimes spéciaux de juillet dernier nous l’a rappelé : l’allongement de la durée de cotisation (réforme Fillon) est intervenu en 2004 pour la fonction publique, mais seulement en 2008 pour les régimes spéciaux ; le relèvement des bornes d’âge (réforme Woerth) a eu lieu en 2010 pour le privé mais seulement en 2017 pour les régimes spéciaux ; idem pour la réforme Touraine et l’allongement de la durée de cotisation : il faudra 172 trimestres pour les assurés du privé nés en 1973 mais ce même nombre de trimestres ne sera exigible des agents de la SNCF que pour ceux nés en 1978 (voire en 1981 pour les agents de conduite).

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, jeudi 31 octobre.