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Ena, changer de nom pour que rien ne change

La France est le seul pays développé à bénéficier des services d'une école de formation des hauts fonctionnaires avec entrée directe à vie dans les grands corps et les administrations centrales comme l'ENA. La France est aussi le seul pays à dépasser les 46 % d'impôts et taxes par rapport à sa richesse nationale.

Les deux sont intimement liés. Nos chers énarques pensent plus - quand ils sont en poste dans le secteur public - aux futurs dépenses et impôts qu'à rendre ses derniers supportables. L'ancienne directrice de l'école avait même déclaré à l'annonce de la suppression de l'ENA par le président de la République être « soulagée ».

Il faut dire que la liste est longue des griefs que l'on peut adresser à cette école : entre soi, conflits d'intérêts, profit d'un statut à vie permettant des allers-retours public-privé, manque de mixité des profils à la tête de l'Etat, tropisme hypertechnocratique, complexité dans l'appréhension de sujets avec tendance à la création d'usines à gaz…

Le rapport Thiriez, sobrement intitulé « Haute Fonction publique », qui reconnaît, dès la page 15, que l'existence de l'ENA « n'a rien d'évident », devait préparer un « big bang ». Ce ne sera pas le cas. La suppression de l'ENA est écartée au profit d'un ripolinage. L'ENA va devenir l'EAP (Ecole d'administration publique). Sur les 7 écoles supérieures existantes, en subsisteront 6. Six mois d'enseignement commun et le tour est joué, chacun retrouvera ses pénates habituels.

Cela dit, tout n'est pas à rejeter dans ce rapport. On ne sait pas encore si le fameux classement de sortie sera supprimé, mais il semblerait qu'on se dirige vers des entretiens d'embauche entre les jeunes diplômés et les administrations. Les grands corps ne seraient a priori accessibles qu'au bout de trois ans pour les jeunes « éapiens ».

Si le gouvernement tient à ces aspects-là, ce ne serait pas mal, mais quid du statut à vie ? Pour la haute fonction publique, la question se pose. Elle est même centrale (en dehors des magistrats). Pourquoi ne pas profiter de cette réforme pour faire des diplômés des écoles de management public des contractuels, et non plus des titulaires à vie ? Au même titre que leurs collègues d'HEC ou de l'Insead souhaitant travailler dans la haute administration ? Et pourquoi ne pas ouvrir une porte plus large sur l'université ?

Par ailleurs, si on suit le rapport Thiriez, la réforme pourrait favoriser le pantouflage en l'institutionnalisant, puisque seraient facilités pour ces managers titulaires les allers-retours avec le secteur privé avec une cellule d'outplacement.

La création d'un Institut des hautes études du service public (IHESP) assurant une formation en milieu de carrière pour les hauts potentiels, qu'ils soient fonctionnaires ou issus du privé, est une bonne piste. Mais pourquoi ne pas lui faire assumer une vraie formation continue comme l'Ecole de guerre, pour ne retenir qu'une formation à temps partiel ?

Autre piste très positive : la proposition de fusion des corps d'inspection IGA/IGAS/IGF sur le modèle japonais, qui a fait ses preuves et évite les connivences au sein des administrations entre contrôlant et contrôlé.

Mais dans le rapport, curieusement, jamais le volet des finances n'est abordé. Aucun chiffrage des différentes hypothèses. Combien coûterait l'IHESP ? Mystère. Quel serait le financement du tronc commun de 6 mois ? Quel sera le nouveau cadre financier de l'EAP ? On dirait bien que ce n'est pas le sujet qui préoccupe nos anciens de l'ENA. L'intendance suivra !