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Grande-Bretagne : coup de rabot sur les dépenses

La rigueur britannique fait rêver…

Pendant que la France se pose des questions sur comment renouer avec un semblant d'équilibre budgétaire et que la plupart des propositions vont dans le sens d'augmenter purement et simplement les impôts et tentent de faire oublier qu'il faudrait avant tout couper dans les dépenses publiques, de l'autre coté de la Manche, le jeune gouvernement britannique fait le pari fou de couper très fort dans les dépenses publiques pour relancer la croissance et l'emploi.

490.000 postes de fonctionnaires supprimés, 15 milliards de dépenses sociales coupées et un plafond de 26.000 livres maximum d'aides sociales par foyer fiscal. Les objectifs sont très ambitieux mais ne font pas peur aux Britanniques. Lors du discours prononcé par George Osborne, le Chancelier de l'Echiquier anglais à la Chambre des Communes le 20 octobre dernier, s'est même offert le luxe de réduire quelque peu le montant des coupes budgétaires par rapport aux annonces faites lors de la présentation du Budget 2011-2012 : 19% en moyenne sur les quatre ans à venir au lieu des 25% annoncés, pour un volume d'économies de 81 milliards de £ sur 5 ans. Les impôts supplémentaires sont évalués à hauteur de 29 milliards (ils peuvent se le permettre car ils sont à 38% de taux de prélèvements obligatoires quand nous sommes à 43%).

L'effort britannique porte donc volontairement sur la dépense plutôt que sur le volet fiscal.

Où le gouvernement britannique coupe-t-il ?

- Education (57,3 milliards de £) avec des économies de 10,88% sur les crédits [1],
- Collectivités locales (26,1 milliards) avec une contraction de 36% [2]
- Transports (12 milliards) avec une baisse de 14,98%
- Ministères de l'Environnement (qui comprend le ministère de l'agriculture) et de l'Ecologie avec des efforts respectifs de 29,96% et de 18,04%. Les « ministères régaliens » stricto sensu ne sont pas en reste et participent également à l'effort sur la dépense :
- La Défense voit ses crédits se contracter de 7,5%,
- La Justice (-24,67%),
- Les Finances (Trésor -33%, Impôts et Douanes -16,3%)
- La Police avec -24% [3]
- Les Affaires Etrangères (-27,82%) [4].

Le plan britannique dégagé par la Révision des dépenses (Spending Review), repose sur trois éléments déterminants :

Contraction des dépenses de personnel : 490.000 emplois publics répartis dans tous les ministères supprimés d'après les dernières annonces gouvernementales [5]. Les premières coupes concerneraient le ministère de la Défense (-17.000 militaires et -25.000 emplois civils), Police (-18.000 agents, principalement dans l'administration), service pénitentiaire [6] (-10.000), et les effectifs diplomatiques. Rappelons que, pour l'année en cours, l'effort théorique demandé est de -60.000 postes, mais devrait monter en puissance d'année en année jusqu'à 190.000 pour la quatrième année. Gain budgétaire estimé de la réduction des dépenses de personnel : environ 18 milliards £ [7].

Coupes dans les budgets de fonctionnement des ministères et sur les investissements publics : Les dépenses courantes [8] des ministères centraux s'élevaient à quelque 15,765 milliards £ en 2010, elles seront ramenées à 11,41 milliards £ à compter de 2014, soit une contraction de 4,3 milliards de £ (-27%) [9]. Même contraction des dépenses de train de vie concernant les entités autonomes (Parlement Britannique, Archives nationales, INSEE britannique etc…) qui doivent réaliser des économies de 20%, soit près de 364 millions £.

Les investissements sont eux aussi très contractés : -22% en livre courante, soit une économie de 14,9 milliards. Parmi les ministères qui vont effectuer des coupes sombres dans leurs investissements, on trouve l'Education (-60%), le ministère des collectivités locales (-74%), le ministère de la recherche (-52%) et la Justice (-50%).

Enfin, même dans les budgets conservés en hausse, on relève de très importants efforts de productivité et des réallocations de dépenses : ainsi, dans le secteur de la Santé (114,4 milliards de £) les dépenses courantes sont programmées à la hausse (+1,3%) mais les dépenses d'investissement vont se voir contractées de 17% et un plan d'optimisation des dépenses de santé de 20 milliards de £ [10] est prévu. Notamment, des hôpitaux devront disparaître ou fusionner, tandis que nombre d'opérateurs (quangos), sous l'égide du ministère, seront réduits de 18 à 10 avant 2014.

Le budget du ministère du travail et des pensions [11] est lui aussi réorienté à la hausse : il croît (+2,08%), mais se réforme cependant en profondeur : l'âge de la retraite à 65 devient programmé pour 2018, avec 6 ans d'avance sur le calendrier initial et devrait atteindre 66 ans en 2020, ce qui devrait permettre de dégager des économies de 5 milliards/an. S'y ajoutent des mesures correctrices : renforcement des cotisations retraites des salariés (1,8 milliards £), suppression des crédits d'impôts familiaux pour les contribuables les plus fortunés (2,5 milliards £), 18 milliards d'économies sur les dépenses sociales, réduction des crédits d'impôts aides au retour à l'emploi (200.000 bénéficiaires concernés), réduction de 10% des crédits d'impôts sociaux sur les taxes locales (council tax benefit) et plafonnement des allocations par contribuable à 500 £/semaine (soit 26.000£/an).

Le ministère de l'Energie et de l'Ecologie voit son budget croître également de 18,04%. Mais dans le détail, on assiste à une croissance des investissements vers des programmes de grands travaux (+41%) mais une contraction des dépenses de fonctionnement de 18%. D'ailleurs, suivant un principe de vases communicants, le ministère de l'environnement quant à lui (qui comprend également le ministère de l'agriculture) voit ses crédits réduits de 30%.

En clair, le gouvernement de David Cameron prévoit en quelques semaines un plan plus important que tous les rapports RGPP mis bout à bout. Et l'on se prend à rêver que le gouvernement français s'inspire de nos amis britanniques pour redonner du souffle à notre croissance atone et faire baisser notre taux de chômage. Mais cela supposerait de revenir sur un dogme bien établi dans la conscience française : celui de l'Etat providence et de la théorie selon laquelle la dépense publique peut relancer la croissance. Outre-manche ce dogme s'appelle « Big Government », en opposition avec la « Big Society » [12].

Programmation pluriannuelle des économies des ministères britanniques 2011-2014 [13]

Le projet de « Big Society »

Dès mars 2010, le Parti conservateur publie un premier document posant les bases du projet de « Big Society [14] » axé sur un programme de réforme en trois temps : effectuer la réforme du secteur public afin de consolider les comptes publics, accroître la décentralisation administrative de façon à conférer aux organismes locaux plus de pouvoirs et d'initiatives, et enfin libérer les énergies de la société civile au travers d'un encouragement du bénévolat, des initiatives de quartier et développer le tiers secteur (au travers des fondations et du tissu associatif, à l'instar du National Trust). Le projet de « Big Society » est définitivement arrêté à partir de mai 2010 [15]. Celui-ci s'organise en 5 piliers :
- Conférer plus de pouvoirs aux collectivités locales et aux organismes locaux (rural community council, conseils de paroisse, comités municipaux etc…)
- Encourager les citoyens à prendre une part active dans leurs communautés locales
- Transférer des compétences centralisées aux autorités locales
- Soutenir les coopératives, les associations mutualistes, les fondations et les organismes sociaux
- Encourager la publication des données détenues par les administrations publiques (Open Public Data).

Le projet s'articule en réalité autour d'une politique de décentralisation plus poussée, complétée par un mouvement de re-concentration des services gouvernementaux, ainsi qu'un renforcement important de la démocratie directe locale et la prise en charge par la Société civile de fonctions aujourd'hui dévolues aux organismes gouvernementaux en matière d'aménagement du territoire, de définition locale de la politique pénale, d'éducation et de santé. Ce mouvement se concrétise par la recherche, chaque fois que c'est possible, d'une prise en charge directe des services concernés par les solidarités privées locales et le tiers secteur, notamment en matière de réinsertion des détenus, d'éducation, de logements sociaux et de Culture. Il faut dire que dans le même temps les budgets afférents seront sévèrement réduits : -36% pour les crédits du Ministère des collectivités locales [16], -12% en moyenne des crédits en direction de l'Ecosse, du Pays de Galles et de l'Irlande du Nord, -11% en ce qui concerne les budgets de l'Education et -24,74% en direction du ministère de la Culture.

A cette fin, des avancées importantes sont annoncées : suppression des préfectures de région [17], élection au suffrage universel direct des maires des 12 plus grandes villes du Royaume-Uni, accroissement de la transparence dans l'allocation des ressources (taxes locales) aux dépenses locales, coupes budgétaires dans les services d'inspection des collectivités locales [18], contrôle accru des communautés locales sur les dépenses des services de santé (avec élection par les administrés des commissions locales de santé), élection des commissaires locaux afin de territorialiser la sécurité publique, délégation aux associations locales et au secteur privé de la gestion des prisons et de la réinsertion des détenus, offre aux agents du secteur public du droit de créer des coopératives administratives privées qui prennent le relais des anciens services publics locaux. La montée en puissance du tiers secteur sera soutenue par la création d'une Big Society Bank, financée par le transfert des actifs « en déserrance » issues des banques du secteur privé, à hauteur de 60 à 100 millions (sur un total de 400 millions).

[1] En livres sterling constantes (base de référence le budget 2010-2011).

[2] A laquelle il faut ajouter une baisse très importante des subventions en direction des pays et territoires d'Ecosse (-10,54%), du Pays de Galles (-11,29%) et d'Irlande du Nord (-10,23%), soit des économies de 7,2 milliards £.

[3] A noter d'ailleurs que le Ministère de l'Intérieur voit quant à lui ses crédits se réduire de 25,29% et même le Renseignement Intérieur dont les revenus se contractent de 6,68%.

[4] Mais aussi la Liste Civile de la Reine, qui sera gelée pendant un an avant de décroître en 2012 de 14% puis réformée en 2013 pour se transformer d'une base triennale en un revenu annuel (subvention) prélevé sur le Domaine de la Couronne (Crown Estate).

[5] Voir Office of Budget Responsability, OBR Forecast : Employment, 30 juin 2010. A cet égard, les 610.000 emplois supprimés en 5 ans jusqu'en 2015-2016 sont envisagés initialement au sein du document, avec 490.000 jusqu'en 2014-2015 plus 120.000 pour 2015-2016.

[6] Dans le cadre d'une prise en charge par des structures associatives basées sur le volontariat et compagnies privées, de la réhabilitation des détenus, le National Offender Mangement Service, dépendant du ministère de la Justice, sera complètement réformé.

[7] Voir Efficiency Review, de Sir William Green, p.6

[8] Il existe cependant une certaine différence entre les coûts de fonctionnement (à la française) et les administrative costs britanniques. Voir pour une définition plus complète : Spending Review Report, octobre 2010, p.86 et 87 avec le tableau A 11. En réalité il ne s'agit que des coûts de fonctionnement des administrations centrales. Il faudrait y rajouter (ce qui sera le cas à partir d'avril 2011 dans le cadre de la future Spending Review) les budgets des Organismes public non ministériels (Non Departmental Public Bodies, NDPBs) et les entités plus autonomes les ALBs (Arm's Length Bodies).

[9] -27,62% en livres courantes, mais 33% d'économies cumulées sur la période en livres constantes !

[10] Ce qui devrait se traduire par des réorganisations qui pourraient coûter entre 2 et 3 milliards £. Il est à noter que depuis 10 ans, le nombre des « managers » hospitaliers a crû de 84% tandis que le nombre des infirmières croissait de 24%.

[11] Représentant pour le ministère lui-même un budget total de 9 milliards de £, dont 7,2 milliards de dépenses de fonctionnement, mais administrant le budget de la sécurité sociale et des retraites s'élevant à 192 milliards de £.

[12] la montée en puissance de la Société civile dans le champ politique et de la gestion publique

[13] Il s'agit des budgets exprimés en DEL (Department Expenditure Limits) qui sont sous enveloppe triennale depuis la réforme de 1997. Il existe également des budgets supplémentaires annuels les AME (Annually Managed Expenditure). Ces dépenses sont discrétionnaires et représentent très majoritairement le vote des crédits de Sécurité social et de Santé, ainsi que les dépenses fiscales. L'ensemble forme les TME (Total Managed Expenditure). Le budget des ministères repose cependant essentiellement sur les DEL en fonctionnement et personnels (rémunérations) ou en investissement.

[14] Big Society, Not Big Government : Building a Big Society, Pari conservateur, mars 2010.

[15] Building the Big Society, Cabinet Office, Mai 2010.

[16] Les subventions envers les collectivités locales qui transitent par l'intermédiaire du ministère des collectivités locales seront réduites progressivement jusqu'à atteindre -36% en 4 ans. Il faut s'imaginer par exemple que les dépenses courantes en direction des collectivités locales seront réduites de 27%, mais de 100% s'agissant des investissements, tandis que s'agissant des « communautés » (organismes locaux correspondant un peu à nos syndicats intercommunaux), les crédits seront réduits respectivement de 51% pour les dépenses courantes et de 74% pour les investissements. Les budgets des conseils locaux devront baisser de 7,1%/an et les allocations de subventions gouvernementales vont se tarir, et ces derniers pourront emprunter en garantissant leurs prêts sur leurs actifs publics. Les fonds en direction du logement social devraient baisser de 60% et les nouveaux locataires verront leurs loyers augmenter, libérant des ressources gouvernementales pour envisager un programme de construction immobilière de 150.000 logements sociaux en 4 ans.

[17] Nous précisons qu'il existe au Royaume-Uni, 8 Regional Government Offices plus celui de Londres. En tout 1.700 emplois publics seront supprimés.

[18] Cessation des activités du comité de liaison et réforme en profondeur des services d'inspection locaux (Audit Commission (finances publiques locales), Care Quality Commission (affaires sociales), HMIC (Police),Prison & Probation (inspection pénitentiaire et réinsertion), Ofsted (Eduction).