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Après le Brexit : le sujet, c’est la croissance et l’emploi

Sitôt le Brexit confirmé, les ministres des Affaires étrangères allemand et français, Frank-Walter Steinmeier et Jean-Marc Ayrault, publièrent une position commune A strong Europe in a world of uncertainties. Ce texte ne représente manifestement pas la position officielle de l’Allemagne dans sa partie, d’ailleurs minoritaire, relative à l’économie. Mais il trace cependant un certain nombre de perspectives :

  • Transferts sans cesse plus importants de compétences aux institutions européennes ;
  • Mécanismes de péréquation entre les Etats ;
  • Plans de relance sur fonds publics décidés au niveau européen
  • Risque de renoncement au respect des règles de gestion budgétaire ;
  • Croissance du budget européen et risque de création d’un impôt européen et d’une dette au niveau de l’Union

Bref, une Europe qui ressemble de loin et en plus grand au modèle français qui ne fonctionne pas.

Pour la Fondation iFRAP, la priorité doit être au contraire donnée à la croissance, à la création d’emplois marchands, à la discipline budgétaire et au renforcement de la concurrence dans le cadre du marché commun. Les partenaires européens doivent se doter d’objectifs à attendre en termes de taux de prélèvements obligatoires maximum, de dépenses publiques maximum et de principe de bonne gestion dans les services publics avec des coût optimisés, spécifiquement dans le domaine de la protection sociale. C’est seulement dans ces conditions que nos pays pourront renouer avec une croissance durable.

L’Europe n’a pas prouvé que plus d’intégration = plus de croissance et plus d’emploi. Le taux de chômage est à 10,3% dans la zone euro et à 8,9% dans l'Union  à 28. Côté croissance, ce n’est pas plus probant puisque les prévisions zone euro sont de 1,7% cette année, contre 1,6% l’an dernier, avant d'atteindre 1,9% en 2017. Dans l'UE, elle devrait rester stable à 1,9% cette année et atteindre 2,0% l’an prochain.

Une des raisons explicatives du progressif désintérêt britannique pour l’Union conduisant in fine au Brexit, repose sur l’absence d’attrait du marché européen comme zone à fort potentiel de croissance, approche que l’on retrouvait par exemple dans la réception « de la stratégie Europe 2020 », lancée par la Commission en 2010.

La lettre commune de David Cameron avec les 8 autres Premiers ministres européens « dans » comme « hors » de l’eurozone (Hollande, Suède, Danemark, Finlande, Estonie, Pologne, Lituanie, Lettonie) du 18 mars 2011 était sur ce sujet particulièrement éclairante : « Nous avons reconnu dans la Stratégie ‘Europe 2020’, que les Etats membres avaient encore beaucoup à faire afin de stimuler la croissance de long terme ». Les mesures à prendre étaient décrites avec clarté : « nous devons couper dans les dépenses inutiles, dépenser plus intelligemment, et réduire nos dettes pendant que nous investissons dans la croissance ».

Cette approche résolument « pro-business » et anti-bureaucratie, Londres l’a déclinée ensuite de façon détaillée à deux occasions au moins :

  •  dans le cadre d’une nouvelle lettre commune (12 pays, dont l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, la Slovaquie et la République Tchèque) au Conseil européen et à la Commission, en date du 20 février 2012, « A plan for growth in Europe ».
  • Dans sa lettre du 10 novembre 2015 envoyée au président du Conseil européen Donald Tusk, David Cameron soulignait que le stock de législation européenne était encore trop élevé et qu’il escomptait la mise en place d’un objectif chiffré de baisse du poids des normes européennes pesant sur les entreprises. Il insistait également sur les efforts à mener en matière de fluidification de la circulation des capitaux, des biens et des services.

Aujourd’hui, les Français et les Allemands risquent de passer à côté du diagnostic de ce qui a éloigné les Britanniques de l’UE.

Les risques de mauvaises décisions sont les suivants :

  • Renoncement non véritablement avoué à la doctrine de rigueur budgétaire : « les pays en surplus (budgétaire) et en déficits, doivent aller de l’avant, considérant qu’un alignement unilatéral  est politiquement infaisable » ;
  • Demande de plus d’intégration avec le risque de créer à terme un impôt européen qui satisferait beaucoup les administrations de l’UE. “completing the EMU will involve the continuous intensification of political governance as well as fiscal burden sharing” ;
  • Cette intégration sans cesse plus poussée, va déboucher inévitablement sur des transferts budgétaires plus massifs, graduels. C’est d’ailleurs l’idée de créer un FME (fonds monétaire européen)  et donc une « Europe des transferts » de fait sinon de droit, et la création incidente d’une dette européenne ;
  • Un recyclage et développement du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) doté à l’heure actuelle de 106,8 milliards d’euros, sur les secteurs stratégiques déjà couverts par le fonds (énergie, numérique, recherche et innovation, formation professionnelle), soit l’équivalent des PIA (programmes d’investissement d’avenir) au niveau européen…
  • L’harmonisation de la législation et la supervision des dispositifs fiscaux concernant les entreprises qui n’est pas du tout à la hauteur du sujet. L’enjeu étant plutôt de s’assurer que les entreprises de la zone ne sont pas surtaxées afin qu’elles puissent se développer ;
  • Harmonisation fiscale et sociale (common taxation et common social minimum standards).

On l’aura compris, la position  de ce document franco-allemand propose d’utiliser toujours les mêmes leviers : affaiblissement de la contrainte budgétaire, relance de l’investissement (surtout public), stabilisation de la zone euro sur le plan budgétaire par un FME (sur le modèle d’un FMI à l’européenne, mais avec quelles contraintes ?) afin de réaliser une « union des transferts » de fait, sans pour autant agiter le chiffon rouge frontalement de la dette publique européenne. On est très loin d’un discours pro-business, renforçant le marché unique, développant la concurrence, luttant contre les rentes, proposant des mesures de dérégulation et de simplification au niveau européen s’agissant des entreprises. La croissance est donc vue d’abord sous l’angle d’une relance de l’investissement par la dépense et l’endettement, pas par une politique européenne de l’offre permettant de s’adresser au reste du monde.

Conclusion 

Après le Brexit, il importe pour la France et l’Europe de saisir l’opportunité historique afin de changer de logiciel et de faire en sorte que l’UE devienne avant tout source de croissance économique et de création d’emplois. Et ce, tout en prenant conscience que le Royaume-Uni n’est plus seulement un partenaire mais aussi un concurrent, que nous devons considérer loyalement et ne surtout pas sous-estimer :

  • Il est grand temps que l’Europe se dote, à côté des principes budgétaires des 3% et des 60%, de principes de maxima de dépenses publiques (à 50%) et des prélèvements obligatoires (à 42%). C’est le manque de vision sur comment en crée de la croissance et de l’emploi qui risque de tuer l’UE et la zone euro (surtout en jouant sur un pseudo-culturalisme en matière de politique économique mal à propos) ;
  • Elle doit se convaincre que la concurrence fiscale et budgétaire est préférable à court terme à un processus d’harmonisation qui ne pourra pas s’effectuer par le haut mais uniquement par le bas (puisque la France est au plus haut) ;
  • L’amélioration et l’approfondissement du marché européen doit être une priorité avec une ouverture résolue sur les autres zones économiques, et un développement spécifique et stratégique de la place financière européenne ;
  • L’Europe doit être plus transparente dans son fonctionnement (rémunérations, effectifs, rapports), plus lisible par les citoyens (simplification de son architecture institutionnelle), plus économe également (de ce point de vue la participation du Royaume-Uni nous manquera) ;
  • La recherche du développement de la croissance potentielle de l’UE doit être soutenue par une politique de simplification normative au niveau de la législation de l’UE, par une lutte déterminée contre les rentes et les professions réglementées ;
  • La France doit devenir attractive pour les acteurs économiques britanniques et participer à un « reverse red carpet day » : si l’on veut permettre aux entreprises, fintechs et institutions bancaires, de « sortir » en douceur du Royaume-Uni pour se relocaliser en France, celle-ci doit « toiletter sa fiscalité » sur le capital et les entreprises : elle doit baisser son IS, ses taxes sur la production et la fiscalité qui pèsent sur le capital (ISF inclus), prolonger et « doper » le dispositif « impatriés ». Elle doit accepter de revenir à une imposition duale, voire s’orienter vers un système fiscal dual intégral (pour les revenus du capital au sens large (y compris fonciers) par rapport aux revenus du travail) ;
  • Enfin, il faut permettre au Royaume-Uni de négocier correctement son partenariat avec l’UE - sans céder aux sirènes revanchardes - et sans doute son adhésion à l’espace économique européen. En effet, il constituera non seulement un concurrent exigeant, mais un partenaire indispensable. L’impact négatif  du Brexit doit être le plus faible possible pour l’Union et dans ce cadre il faut essayer d’en minimiser également l’impact pour nos voisins britanniques.