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Une priorité du prochain président, un budget de la sécurité à la hauteur des périls

L’Assemblée examine actuellement le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure. C’est le treizième texte du quinquennat relatif à la sécurité. Et malgré cela, nous manquons toujours d’une vision globale sur le sujet pour relier les questions de forces de sécurité, de justice, d’administration pénitentiaire, de renseignement, d’asile et d’immigration. La recherche et la défense bénéficient de lois de programmation qui permettent des stratégies de long terme, mais pas la sécurité intérieure. Ce vide interroge. D’autant que les chiffres ne sont pas bons.

Cette tribune a été publiée dans le Figaro, le vendredi 24 septembre 2021. A voir, en cliquant ici.

En matière de délinquance, la comparaison des données de la France et de ses voisins est généralement en notre défaveur. Selon Eurostat, le taux d’homicides intentionnels est de 1,28 pour 100.000 habitants en France contre 0,75 en Allemagne, 0,71 en Espagne et 0,52 en Italie. Un écart considérable et même en augmentation de 0,05 point en France alors qu’il baisse ailleurs.

Si on considère les viols, la France, là encore, est au plus haut, passant de 15,6 à 35,23 pour 100.000 habitants entre 2010 et 2019 soit un quasi-doublement, alors que l’Allemagne et l’Espagne restent loin derrière (11,7 et 3,59 respectivement). S’agissant des vols, la France est à 1307,6 pour 100.000 en 2019 soit la deuxième place des grands pays européens derrière l’Italie (1515,5) mais devant l’Allemagne (1235) et plus encore l’Espagne (374,6).

Que faire? Le futur gouvernement devra élaborer une loi de programmation globale qui aurait le mérite d’associer sécurité intérieure et justice pénale pour une vision complète. Ces deux politiques sont intimement liées. Les dysfonctionnements que nous connaissons viennent en grande partie de ceci: les deux sujets sont trop souvent traités séparément et nos prisons, saturées, incitent les décideurs à faire incarcérer le moins possible. Une loi de programmation doit donner les moyens budgétaires afin de faire appliquer nos lois sur l’ensemble de la chaîne pénale: traitement de la délinquance, justice plus rapide, application effective des peines.

Sur le plan budgétaire, l’État régalien ne doit plus être sacrifié. La dépense de sécurité intérieure est passée de 0,91 à 0,96 % du PIB entre 2018 et 2021 quand la dépense sociale explosait, elle, de 24,8 à près de 28 % de PIB sur la même période. Des chiffres éloquents.

L’enjeu est de flécher 20 milliards d’euros de plus d’ici à 2027, affectés à la police et à la gendarmerie, aux juridictions judiciaires et à l’administration pénitentiaire. Mais préalablement à l’affectation de ces ressources supplémentaires, il faudra s’attaquer à la question du temps de travail des policiers et l’aligner sur celui des gendarmes, ce qui permettrait une remontée des heures travaillées qui équivaudrait à près de 12.000 agents en équivalents temps plein travaillé (ETPT). Les moyens affectés aux préfectures et au ministère de l’Intérieur s’agissant de la cybersécurité et du déploiement de l’intelligence artificielle doivent également être mis à niveau (2,2 milliards supplémentaires seront nécessaires).

En remplacement des écoles de police existantes, il conviendrait de créer une académie de police chargée de la formation conjointe des policiers nationaux et municipaux. L’objectif est de doter progressivement les policiers municipaux des mêmes compétences que la police nationale afin de permettre leur travail en commun. Cette approche doit permettre de renforcer les synergies territoriales en matière de sécurité du quotidien, mais aussi judiciaire et d’ordre public. Il est également indispensable que l’aggravation des sanctions encourues en cas d’atteintes aux forces de sécurité intérieures (en cours de discussion au Parlement) soit étendue aux forces de Sécurité civile (pompiers, etc.) afin de soutenir l’intervention des pouvoirs publics dans les quartiers dits sensibles.

Enfin, la redéfinition des circonscriptions de police et de gendarmerie est nécessaire afin de laisser une compétence de gendarmerie exclusive dans les agglomérations de moins de 20.000 habitants, et de mettre en œuvre des zones 100 % gendarmes ou 100 % police pour plus de clarté dans la chaîne répressive. Il faudra également réformer le budget spécial de la préfecture de police de Paris, afin de donner une voix délibérative aux communes de la petite couronne.

Un placement systématique sous bracelet électronique

Sur le volet judiciaire, il s’agit d’augmenter le nombre de postes de magistrats et greffiers (de 1625 ETPT) afin de réduire les délais des décisions de justice et le stock des affaires existant. Pour accélérer les procédures, en aval, le taux d’exécution des décisions de justice doit être amélioré par l’augmentation des capacités de l’administration pénitentiaire (20.000 places de prison opérationnelles supplémentaires sont nécessaires d’ici à 2030). Il faut en particulier prévoir la mise en place de structures isolées et consacrées aux personnes radicalisées ou condamnées pour faits de terrorisme. Le suivi à vie de ces dernières suppose un placement systématique sous bracelet électronique et le développement des moyens de renseignement territorial.

Reste la question de la politique d’immigration et d’asile. Il est urgent de décider d’un doublement des places en centres de rétention administrative et, sur le modèle danois, de travailler sur l’implication des pays de transit pour les demandes d’asile. Il faut également viser le triplement du taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français, soit un objectif de 60.000/an. À cette fin, les effectifs de la police de l’air et des frontières devront augmenter de 21 % (soit 3238 agents ETPT) et en priorité dans les DOM (Guyane et Mayotte). D’autres mesures comme la mise en place d’une interconnexion des fichiers polices et gendarmerie (empreintes et images) et du ministère de la Justice ou la mise en place de tests osseux pour déterminer l’âge des personnes qui disent être des mineurs non accompagnés sont aussi nécessaires.

Certes, l’exécutif actuel n’est pas resté inactif. Des rapports ont invité à une loi de programmation à horizon 2030. Tout récemment, le «Beauvau» de la sécurité et les états généraux de la Justice ont déjà mis sur la table, respectivement, 1,5 milliard et 700 millions pour 2022. Mais l’approche est encore trop modeste, trop ponctuelle alors que les questions de sécurité sont un chantier colossal auquel le prochain gouvernement devra s’atteler rapidement.