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Indemnité de représentation et de frais de mandats (IRFM) et amendement Courson

Justifier des dépenses professionnelles et rendre imposable le reliquat

A l'occasion de l'examen par la commission des finances de l'Assemblée nationale, du second projet de loi de finances rectificative pour 2012 (collectif budgétaire n°2), le député Charles de Courson a déposé un amendement (CF 244) [1] visant à rendre imposable la « part de cette indemnité de frais de mandat non utilisée à des fins professionnelles », en considérant que du point de vue fiscal, il s'agissait alors d'un revenu imposable et en conséquence rentrant dans l'assiette de l'impôt sur le revenu. Pour rappel, l'IRFM s'élève à 6412 euros par mois et a pour vocation de permettre aux députés « de faire face aux diverses dépenses liées à l'exercice de leur mandat qui ne sont pas directement prises en charge ou remboursées par l'Assemblée ». Elle est distincte de l'indemnité parlementaire (7100,15 euros brut par mois) et de l'enveloppe dédiée à la rémunération des collaborateurs (9138 euros par mois). Cette proposition a pour le moment été repoussée en commission et en séance.

Quoiqu'il en soit, ce qui doit retenir l'attention, c'est l'attitude du rapporteur général de la commission des finances lors de la séance du 11 juillet 2012 : « Avis défavorable. Cet amendement est un amendement de principe, peu opérant et qui ne concerne au demeurant qu'une fraction réduite de l'indemnité perçue par les parlementaires. » En est-on si sûr ? Nous avons montré dans notre récente étude sur l'assemblée nationale, que l'IRFM représentait tout de même environ 76.944 euros par an et par député, soit 44,39 millions d'euros par an rien que pour l'Assemblée nationale. Un dispositif identique existe en Allemagne, mais passe pour son traitement par le truchement de l'administration du Bundestag qui vérifie les factures avancées, pour un montant de 47.628 euros par an et par député. En outre, c'est également suite au scandale des notes de frais des membres du Parlement britannique (MP's), que l'IPSA (Independent Parliamentary Standard Authority) décida d'assurer le suivi des différentes sources de revenus attribuées par le Parlement à ses membres.

La question des frais de mandats n'est donc pas simple. Elle comporte par ailleurs une curiosité supplémentaire dans la mesure où il est possible de rendre « fongible » une partie (50%) des indemnités collaborateurs pour les reverser sur le compte séparé des IRFM. Les députés peuvent donc bénéficier d'IRFM « gonflées », sans justification à donner aux services fiscaux. Ces cas sont rares, mais permettraient ainsi de rendre non déclarable un montant de 54.828 euros par an additionnel. Soit une IRFM « boostée » théorique de 131.772 euros par an et par député.

Pour bien comprendre le mécanisme actuellement en vigueur, il faut se reporter à l'article 81 1° al.2 du CGI selon lequel : « Toutefois, lorsque leur montant est fixé par voie législative, ces allocations sont toujours réputées utilisées conformément à leur objet et ne peuvent donner lieu à aucune vérification de la part de l'administration. » Cette présomption irréfragable de conformité par détermination de la loi, fait donc sortir ces indemnités du régime classique de la déclaration des frais professionnels, tout comme celles, spéciales pour lesquelles il n'existe qu'une présomption simple et dont seul le montant de déductibilité est fixé par voie réglementaire ; par ailleurs sont clairement énumérés les professions (al.1 du 1° de l'article 81),suivantes dont le montant de déductibilité des allocations pour frais de fonction et d'emplois est fixé par voie législative « les rémunérations des journalistes, des rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux (...) à concurrence de 7.650 euros [2]. »

En réalité le début des développement inhérents aux présomptions de l'article 81-1 se nouent en 1998. En effet, c'est par l'article 23 de la loi de finances rectificative n°98-1267 du 30 décembre 1998, que ce dispositif est entré en vigueur à l'initiative du sénateur Michel Charasse (amendement 29), lors de la séance du 14 décembre 1998. Plus de 72 professions bénéficiaient « pour des raisons historiques, de déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels qui ont été supprimées par la loi de finances pour 1997. » Après des négociations avec chaque profession concernée, le seul blocage rencontré concernait les journalistes. Ceux-ci mettant en avant la rémunération éventuelle de leurs sources, protégées par ailleurs par le secret professionnel (article 109 du Code de procédure pénale), ce qui les empêchait de révéler les bénéficiaires éventuels au fisc.

Le sénateur Michel Charasse a alors soutenu qu'il fallait défendre également les maires de France dont les indemnités pour frais d'emplois de l'époque représentaient 45.876 francs/an et qu'ils devaient justifier au fisc, alors que les journalistes bénéficiaient de 50.000 francs/an sans justification. Après avoir proposé l'abrogation totale de l'ensemble des abattements non déclaratifs pour frais inhérents à la fonction et à l'emploi, Michel Charasse a alors déposé avec succès un amendement exactement inverse, étendant à l'ensemble des professions [3] dont le montant des indemnités pour frais sont fixés par la loi ou le règlement le bénéfice de la présomption de conformité dont bénéficient les frais des journalistes [4]. La partie réglementaire sera retoquée en définitive par l'Assemblée nationale, tandis que désormais seule la partie législative de l'exonération subsiste (contribuant ainsi à restreindre l'application du bénéfice de l'article 81 aux seules professions mentionnées).

Qui était visé à l'époque ? Essentiellement les élus locaux qui bénéficiaient de montants d'indemnités forfaitaires attribuées par la loi (en vertu des dispositions de l'ancien article L123-3 du CGCT devenu article L2123-19 CGCT [5]). Les députés et sénateurs n'étaient alors pas concernés. C'est finalement par l'intermédiaire d'un amendement (n°28) des Questeurs du Sénat et déposé par Monsieur Jacques Oudin dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2002, que les IRFM ont été intégrées. En réalité, « l'intégration » a été un peu particulière : elle s'est faite au sein de la liste des indemnités incluses dans l'assiette de la CSG, (a) du 3° du II de l'article L136-2 du Code de la Sécurité sociale [6]) [7]. Devenues « déterminées par la loi », pour l'application de la CSG, alors qu'elles ne l'étaient que par le règlement pour leur exonération du champ de l'IR, les IRFM sont désormais incluses dans le champ d'application de l'article 81 1° al.2 du Code général des impôts. Incidemment, donc se sont trouvées sanctuarisées, les IRFM des députés et des sénateurs, dont le montant évolue « comme les rémunérations publiques », mais qui bénéficient contrairement à celles-ci, d'une présomption irréfragable de conformité qui empêche tout contrôle de leur emploi par l'administration fiscale.

La Fondation iFRAP s'est positionnée dans son étude "Assemblée nationale, la mandature de la transparence ?" pour que l'utilisation des indemnités de frais de mandat soient justifiées auprès des services fiscaux et que la part non utilisée pour frais professionnels soit fiscalisée. Charles de Courson a expliqué le sens de son amendement en Commission des Finances : "Je vous propose de revenir sur cet amendement afin de démontrer à nos concitoyens que l'exigence de transparence s'applique également aux parlementaires. (...) Est-il normal que tous les citoyens, lorsqu'ils perçoivent des indemnités devant couvrir des frais professionnels, doivent justifier l'existence de ces dépenses alors que les parlementaires sont exonérés de cette obligation ? En tant que républicain, cette rupture du principe d'égalité me choque." Dommage que seulement 3 députés aient voté pour en commission contre 20.

[1] Voir page 44 du tome 4 des amendements déposés sur le sujet.

[2] par une modification nécessité par le passage à l'euro (2001), le plafond antérieur étant fixé à 50 000 frs

[3] visées particulièrement les professions liées à la Presse, certains agents publics et les élus territoriaux et nationaux

[4] « Moi je persiste à penser qu'il faut que l'on précise dans la loi que l'allocation pour frais d'emploi, lorsqu'elle est fixée par la loi ou par voie réglementaire, ne peut pas donner lieu à justification à la demande de l'administration des impôts. »

[5] Se reporter aux questions des députés : M. Léonard Gérard (RPR), question n°33549 du 17/09/1990, p.4312, JOAN p.4312, Réponse ministérielle du 10/12/1990, p.5673, et Mme Marie-Jo Zimmermann (RPR), question n°29447 du 03/05/1999, JOAN p.2602, Réponse ministérielle du 05/07/1999 JOAN, p.4164, précisons que les conseils municipaux concernés "peuvent" voter sur les ressources ordinaires, des indemnités aux maires pour frais de représentation (c'est donc une faculté), qui sont strictement distincts des remboursements pour frais de déplacement dont les montants sont codifiés par voie réglementaire aux articles R.2123-22-1 et R.2123-22-2 qui eux réclament la production de justificatifs (Question n°22043 de M le sénateur Roland Povinelli (soc) du JO. Sénat du 26/01/2012 p.233, Réponse du ministre du Budget, JO. Sénat du 19/04/2012 p.969). Enfin pour être totalement complet jusqu'à l'amendement Charasse, la jurisprudence du Conseil d'Etat était la suivante (CE, 17 mars 1939, Association des contribuables de Dijon) "Elles peuvent, par ailleurs, prendre la forme d'une indemnité fixe et annuelle qui ne doit pas, cependant, excéder les frais auxquels elles correspondent sous peine de constituer un traitement déguisé. Ce qu'elle peut être désormais après la modification introduite en 1998 grâce à l'introduction de la présomption irréfragable légale

[6] A l'image d'autres indemnités de mandat, locaux, européens, CESE etc… mentionnés aux b, c, d, e, du même 3°) du II..

[7] Cette précision, a été faite spécifiquement en mentionnant l'ensemble des indemnités perçues par les parlementaires ainsi que leur mode de détermination qui deviennent ainsi « déterminées par la loi » pour l'assiette de la CSG. Et donc intégrées de facto dans le champ de l'article 81 1°) al.2 du CGI.