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Immigration : le travail doit être la règle

Dans l'attente de l'avis du Conseil Constitutionnel, qui doit être rendu le 25 janvier 2024, il convient de rappeler les enseignements de l'étude Immigration : le travail doit être la règle de la Fondation IFRAP et sur la base de l'analyse des dernières données disponibles et d'une comparaison des caractéristiques de notre population immigrante à celles de nos voisins européens.

Les deux enseignements de notre enquête :

  • La population étrangère présente sur le territoire français a augmenté de près de 1,1 million d’individus depuis 2015 et 36 % de ces arrivées concernent une présence illégale sur le territoire. Cette surreprésentation de l’immigration illégale est anormale dans un État de droit comme la France et empêche de mettre en place une politique d’immigration ambitieuse et… fondée sur le travail. 

Les statistiques sur le stock d’illégaux ne sont même pas tenues par le ministère de l’Intérieur (ou ne sont pas rendues publiques !) contrairement à ce qui se pratique au Royaume-Uni et en Allemagne.

En 2017, le ministère de l’Intérieur estimait le nombre de clandestins en France entre 300 000 à 400 000, 5 ans plus tard, entre 600 000 et 700 000 personnes. L’opposition de droite parle, elle, de 700 000 à 1 million de personnes. La Fondation IFRAP, en menant une analyse en "flux cinétiques" des ESI et des données de l'AME estime le stock d’immigration illégale en France, compris entre 780 000 et 900 000 personnes dont un accroissement net d’environ 400.000 sur la période 2015-2022, soit un quasi-doublement. Cet emballement est cohérent avec l’augmentation du nombre de demandes d’asiles depuis 10 ans (61 000 en 2012, 130 000 en 2022) cumulé au fait qu’une demande sur 3 seulement est validée en moyenne et à une sous-exécution chronique des sorties de territoires. 

En 2017, alors que la France faisait respecter 26 000 OQTF (obligation de quitter le territoire français), l’Allemagne en avait exécuté 300 000 en deux ans, soit une moyenne respective de 350 sorties du territoire par jour contre 71. Depuis plus de 10 ans, la Fondation IFRAP alerte sur le fait que les OQTF ne sont pas respectées. Sur les dix dernières années, leur taux d’exécution des OQTF a toujours été en dessous de 20 % (meilleure performance atteinte en 2012 avec 22,3 %), mais on observe une baisse constante de ce taux depuis 2013 et un véritablement effondrement depuis la crise du Covid en 2020, 6,8 % en 2022, 6,9 % au 3e trimestre 2023. 

Ainsi, en 2023, 67 000 personnes se sont maintenues sur le territoire national en dépit de la mesure d’éloignement prononcée à leur encontre, en 2022, 125 000, en 2021, 116 000, en 2020, 100 000 et en 2019, 108 000.

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  • La population immigrée en France, quand on la compare à celles installées ailleurs en Europe, est particulièrement éloignée de l’emploi, que cela soit par son taux de chômage, son âge et ses raisons d’arrivées. C’est le deuxième enseignement de notre enquête.

En 2021 en France, la population d’origine étrangère affichait un taux de chômage plus élevé que le reste de la population nationale : 12,3 % contre 7,9 %. Si cette différence existe dans presque tous les pays, la situation française se démarque par un delta de 5 points entre ces deux populations, bien au-dessus de la moyenne européenne (3,5 points) et de nos voisins les plus proches (1,1 point pour le Royaume-Uni notamment). Notons qu’au Royaume-Uni, un système à points a été mis en place à la suite du Brexit pour organiser l’immigration de ceux qui veulent venir travailler et vivre dans l’une des nations du Royaume. Ainsi plus une personne est qualifiée, plus ses chances d’obtenir le droit de résider au Royaume-Uni augmentent. Ramener le taux de chômage des non-natifs installés en France dans la moyenne européenne reviendrait à ce qu’environ 50 000 d’entre eux renouent avec l’emploi, 120 000 dans le cas d’un alignement sur le taux britannique.

Depuis 2015, 41 % des arrivées en France avaient un motif familial et seulement 10 % un motif de travail. En juin 2023, l’OCDE a présenté un rapport qui compare notamment les raisons d’entrée sur le territoire de la population ayant migré de 2005 à 2020. On constate ainsi qu’au Portugal, 30 % des migrations sur la période ont concerné un motif de travail, 22 % en Italie, 20 % en Espagne, 18 % au Royaume-Uni pour une moyenne européenne à 13,6 %. Ce motif n’a, pourtant, concerné que 10,5 % des arrivées en France. Dans ces statistiques, les migrations de citoyens européens sont catégorisées à part dans une section « libre circulation ». C’est sur les raisons liées à la « famille » (regroupement familial) que la France se place en 1re position : ce motif a justifié 41 % des entrées sur le territoire de 2005 à 2020, 13 points au-dessus de la moyenne européenne. 

Enfin, la France se caractérise par une population non native plus âgée, à la fois par rapport à la moyenne européenne en proportion, mais également par rapport à la population nationale. Ainsi en 2020, 25 % de la population née à l’étranger avaient plus de 65 ans, en France, contre une moyenne à 15 % en Europe. La tendance est la même pour la part de population non native de plus de 75 ans : 10,4 % en France contre une moyenne européenne à 6,3 %. Egalement, en 2020, 25 % de la population née à l’étranger avaient plus de 65 ans, en France, contre 19,4% pour la population nationale. En moyenne en Europe, cette proportion est inversée puisque si 15 % de la population non native à plus de 65 ans, ce taux monte à 21,1 % pour la population européenne. Seuls 8 pays affichent un ratio inversé : la Hongrie, la France, la Slovaquie, la Croatie, la Pologne, la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie. 

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S'inspirer des méthodes qui fonctionnent à l'étranger :

En réalité, la loi "immigration" qui vient d'être votée en fin d'année 2023 répond très peu à ces spécificités et ce, même après son passage en Commission paritaire mixte. Pour la Fondation IFRAP, l’urgence et ce qui doit devenir la colonne vertébrale de tout projet de loi relatif à ces sujets, c’est de renouer un lien entre immigration et travail. Pour y parvenir, on peut s'inspirer des principes qui fonctionnent à l'étranger.

  • Conditionner la délivrance d’un permis de séjour à la réalité d’un emploi stable et bien rémunéré. C'est une stratégie mise en place dans de nombreux pays (Danemark, Portugal, Canada, etc.). L’exemple canadien démontre aussi que cette "priorité aux travailleurs" permet d'améliorer les conditions de vie des immigrés : dans le pays, entre 2005 et 2020, 60 % des arrivées avaient un motif de travail et 26 % concernaient l’accompagnement d’un travailleur. En parallèle, l’écart de taux d’emplois entre les natifs et les non-natifs s’est réduit de 6 points entre 2010 et 2021 tandis que le revenu annuel de la première année d’immigration augmentait de 39 %. 

  • Restreindre l'accès au système de protection sociale. Dans une approche semblable, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, faire une demande d’aides sociales peut remettre en cause le permis de résidence ou son renouvellement, et ce, jusqu’à 5 ans après sa délivrance aux Pays-Bas.

Consultez, en cliquant ici, l'intégralité des propositions de la Fondation IFRAP pour donner la priorité à une immigration de travail.

Le cas canadien : Une immigration quasi exclusivement liée au travail

Entre 2012 et 2022, la population immigrée a doublé au Canada, passant de 259 000 à 473 000 et la tendance se poursuit puisque 900 000 visas temporaires sont actifs et le pays vise à accueillir près de 500 000 résidents permanents, par an, entre 2023 et 2025. L’objectif est de lutter contre le vieillissement de la population, de recruter des travailleurs et d’augmenter la population canadienne avec des profils qualifiés. Les critères de sélection et de validation des titres de séjour répondent donc à cette stratégie avec un système de points qui récompensent les compétences linguistiques (niveau avancé en anglais attendu), le niveau d’éducation et les qualifications professionnelles du demandeur. Le fait d’avoir déjà travaillé au Canada apporte un bonus, tout comme la maîtrise de la langue française, d’avoir fait ses études au Canada ou d’avoir obtenu un emploi « rare » sponsorisé par une province locale. L’âge est également un critère important : le maximum de point était réservé aux 20 à 29 ans, le nombre de points accordé diminuant ensuite jusqu’à zéro point à partir de 45 ans ou plus. 

Depuis 2015, la délivrance des permis de séjour a également été accélérée et entièrement numérisée (« Express entry ») pour les plus qualifiés répondants à des professions qui ont du mal à recruter au Canada (notamment le personnel de santé). 

Entre 2005 et 2020, 59 % des arrivées étaient liées à un motif de travail (26,5 %) ou en tant que membre accompagnant de la famille du travailleur (32,4 %). Ces deux groupes, constituant la catégorie « migrants économiques », comptaient 100 000 arrivées en 1990, environ 180 000 en 2010 et 250 000 en 2021. On notera que la France (comme la majorité des pays européens) ne suit pas les raisons du regroupement familial qui constitue une catégorie unique. L’exemple canadien montre qu’il est intéressant de distinguer le regroupement familial lié à l’immigrationd’un travailleur (32,4 %), du regroupement familial pour d’autres raisons (26,3 %), comme un lien familial avec un citoyen, national ou naturalisé. 

Cette politique migratoire a permis de réduire l’écart de taux d’emploi entre les natifs et les non-natifs de 6 points entre 2010 et 2021 tandis que le revenu annuel de la première année d’immigration a augmenté de 39 % entre les cohortes d’entrées de 2010 et de 2018.