Suède : une réforme inspirante des aides sociales

La Suède prépare une réforme d’ampleur de son système social. L’objectif affiché par le gouvernement est double : réduire la dépendance aux prestations et limiter l’attractivité du pays pour l’immigration. Le projet prévoit de conditionner à une durée minimale de résidence en Suède de cinq ans l’accès à plusieurs aides sociales, de plafonner certaines prestations pour familles nombreuses, et de modifier le mode de calcul des allocations. Des mesures déjà proposées en France par la Fondation IFRAP, notamment dans sa revue Société civile n°268 intitulée “Exiger plus pour l'accès aux prestations sociales”.
Une famille de cinq enfants sans revenus peut actuellement cumuler jusqu’à 46 500 SEK par mois soit environ 4 220 €. Selon les premières estimations, elle pourrait perdre 8 200 SEK par mois, soit approximativement 745 €. Toutefois, il convient d’être prudent. Le processus législatif n’est pas terminé. Le gouvernement doit encore déposer son projet de loi au Riksdag (Parlement). Le vote devrait intervenir courant 2026, pour une entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2027.
Depuis 2022, la Suède est dirigée par une coalition formée par les Modérés (conservateurs), les Chrétiens-démocrates et les Libéraux. Cette coalition ne dispose pas de majorité absolue et gouverne. Pour parvenir à gouverner malgré tout, elle dispose du soutien externe du parti des Démocrates de Suède, formation nationaliste populiste.
L’accord de gouvernement, appelé “Tidöavtalet”, publié le 14 octobre 2022, prévoyait dès le départ un durcissement des politiques migratoires et sociales. La réforme des aides sociales figure parmi les engagements prioritaires exigés par les Démocrates de Suède.
Le Premier ministre Ulf Kristersson a repris ce thème dans plusieurs discours, déclarant vouloir rompre la dépendance aux allocations et rendre le travail plus attractif que l’assistanat. Le ministre des Affaires sociales, Jakob Forssmed, a de son côté insisté sur l’idée que les prestations ne doivent plus être un droit automatique mais une contrepartie à l’intégration et à l’effort.
Un contexte social marqué par le débat migratoire
La Suède connaît une immigration importante depuis les années 1990, avec une forte vague liée aux conflits au Moyen-Orient. Une partie de ces populations se concentre dans des quartiers périphériques des grandes villes, où le chômage et la pauvreté sont élevés. Les statistiques nationales montrent qu’une proportion significative des bénéficiaires de certaines prestations sociales telles que les aides au logement, allocations pour enfants et prestations de soutien aux familles nombreuses, sont des personnes nées à l’étranger. Cette situation nourrit le discours politique selon lequel le système social attire ou entretient une immigration dépendante. C’est le fameux “aspirateur à immigration”.
L’opinion publique suédoise, longtemps attachée à l’État-providence universel, est désormais plus divisée. Les Suédois se montrent de plus en plus critiques vis-à-vis des coûts engendrés par l’immigration et la dépense sociale qui en découle.
Le projet de réforme a donc une double justification. La première, politique, répond à la demande de durcissement migratoire. La seconde est budgétaire. Le but recherché est une diminution des dépenses sociales.
Contenu des mesures prévues
La réforme repose sur l’idée d’intégration. Pour bénéficier des prestations sociales, il faudra démontrer un ancrage suffisant en Suède.
Deux critères principaux sont proposés :
Résidence légale de cinq ans en Suède sur les 15 dernières années
Une période de travail suffisante (nombre de mois encore à définir)
Ces conditions visent prioritairement les immigrés extra-communautaires nouvellement arrivés. Il faudra qu’ils remplissent au moins l’une des deux conditions.
Dans sa revue Société civile n°268 intitulée “Exiger plus pour l'accès aux prestations sociales” [1], la Fondation IFRAP s’était penchée sur les conditions d’obtention des différentes aides sociales non contributives en France. La conclusion était que l’on pouvait augmenter la condition de résidence légale à 5 ans pour tous : Français, étrangers communautaires et étrangers extra-communautaires.
Les aides concernées
D’après le rapport de la commission Lundahl [2] et les annonces gouvernementales, les aides suivantes pourraient être concernées :
Allocations familiales / prestations pour enfants (barnbidrag). Aujourd’hui universelles et versées dès la naissance pour tout enfant résidant en Suède.
Allocations parentales (föräldrapenning). Prestations liées au congé parental.
Aides au logement (bostadsbidrag). Destinées aux familles et aux personnes à faibles revenus.
Aides pour personnes âgées à faibles ressources.
Aides économiques de base (ekonomiskt bistånd). Anciennement appelé “socialbidrag”, prestation d’assistance de dernier recours.
Allocations maladie et invalidité (sjukpenning, aktivitetsersättning).
Compléments pour familles nombreuses.
Toutes ces prestations pourraient être soumises aux critères de résidence ou d’activité.
Une modification du plafonnement pour familles nombreuses
Le gouvernement prévoit aussi de plafonner les prestations pour les familles de plus de 4 enfants.
Actuellement, chaque enfant supplémentaire ouvre droit à une allocation équivalente. La réforme limiterait le montant maximal, afin qu’une famille de cinq enfants ne puisse plus cumuler des sommes considérées comme excessives.
La réforme est prévue pour entrer en vigueur le 1er janvier 2027. Elle est déjà passée par différentes étapes. Le gouvernement a d'abord mandaté Göran Lundahl pour proposer un système de qualification aux aides sociales. Ce dernier a rendu le rapport au printemps 2025. Les acteurs institutionnels et associatifs ont ensuite été consultés. La période de consultation s’est achevée le 15 août 2025. Le 22 septembre 2025, le gouvernement a intégré la réforme dans la présentation du PLF pour 2026.
Les prochaines étapes
Sur la base du rapport et des retours de consultation, le gouvernement doit élaborer un projet de loi détaillé, puis le déposer au Riksdag. Ce dépôt devrait avoir lieu fin 2025 ou début 2026. Le texte sera par la suite renvoyé aux commissions compétentes (affaires sociales, finances, migration), puis voté en séance plénière, probablement au milieu ou à l’automne 2026, afin de respecter l’entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2027. Après son adoption, le texte sera intégré au Code des statuts suédois (SFS).
En l’état, il est hautement probable qu’une loi soit adoptée, même si certaines dispositions pourront être atténuées ou adaptées pour éviter une censure. La coalition gouvernementale dispose du soutien des Démocrates de Suède, qui sont les principaux promoteurs de la réforme. De plus, l’opposition (sociaux-démocrates, Verts, gauche) contestera probablement, mais ne dispose pas de majorité. Le risque principal d’obstacle réside dans le domaine juridique. Il faut que la loi soit en conformité avec le droit européen et les jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Qu’est-ce que cela donne en chiffres ?
Une famille de cinq enfants sans revenus peut actuellement cumuler jusqu’à 46 500 SEK par mois soit environ 4 220 € [3].
Les allocations familiales de base sont de 1 250 SEK (113 €) par mois et par enfant. Des compléments sont ajoutés pour familles nombreuses. Pour ce qui est des aides au logement, elles varient selon la taille du ménage et le revenu. Il est assez difficile de donner un montant, même indicatif, mais elles peuvent atteindre plusieurs milliers de couronnes par mois.
Selon les premières estimations, la même famille de cinq enfants pourrait perdre 8 200 SEK par mois, soit approximativement 745 €.
Le gouvernement n’a pas encore publié de chiffrage global officiel des économies attendues. Elles dépendront du nombre de ménages concernés et du rythme de mise en œuvre. Toutefois, malgré la mise en avant des économies par le gouvernement, l’objectif principal reste symbolique. Il vise à réduire l’attractivité sociale pour l’immigration et envoyer un signal fort à l’électorat.
Problèmes juridiques potentiels
La réforme envisagée par la Suède soulève des interrogations sur sa compatibilité avec le droit européen. Le règlement (CE) 883/2004 [4] garantit l’égalité de traitement entre ressortissants de l’Union, et la CJUE a jugé à plusieurs reprises que certaines prestations sociales, notamment familiales, relèvent de la sécurité sociale et doivent rester accessibles. Toutefois, la jurisprudence a admis que les Etats peuvent conditionner les aides à une durée de résidence effective (5 ans paraissent cohérents) ou à une activité, afin d’éviter un “tourisme social” non soutenable.
Le risque juridique ne se situe pas dans le principe de conditionnalité, qui est admis, mais dans son application trop rigide : exclure totalement des dispositifs sociaux des enfants résidant en Suède pourrait donner lieu à des recours devant les juridictions nationales et européennes, au nom de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le gouvernement devra donc calibrer sa réforme en prévoyant des exceptions ciblées, afin d’assurer sa robustesse juridique et d’éviter une remise en cause ultérieure qui minerait sa crédibilité.
[1] Exiger plus pour l'accès aux prestations sociales | Fondation IFRAP
[2] https://swedenherald.com/article/sweden-proposes-stricter-benefit-rules-for-immigrants?
[3] La Suède réduit ses aides sociales dans l’espoir de restreindre l’immigration
[4] Règlement - 883/2004 - EN - EUR-Lex