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Sécurité sociale : 1 milliard d'économies possibles sur les coûts de gestion

L'exemple avec la restructuration du réseau

Alors que les comptes de la Sécurité sociale vont connaître un déficit record cette année, en raison d'une augmentation des prestations sociales et d'une baisse des ressources, la Cour des comptes met les pieds dans le plat en rappelant qu'un plan d'économies sera nécessaire dans les dépenses de Sécurité sociale. Une piste prometteuse concerne la restructuration du réseau des caisses sociales marqué par un morcellement qui nuit à son efficacité. Dans une étude à paraître sur la fraude sociale, la Fondation iFRAP pointe l'enchevêtrement de structures qui contribue à la complexité et aux indus en matière de prestations sociales et qui freine la lutte contre la fraude.

S'attaquer aux coûts de gestion de notre système social est une priorité d'une part parce que les coûts de gestion représentent encore plus de 40 milliards d'euros : en 2017, nous avions chiffré à 42 milliards d'euros (chiffres 2015). Les derniers chiffres de la Drees donnent 46 milliards (chiffres 2018) du fait d'une augmentation des transferts et subventions. C'est un chiffre colossal quand on y pense, supérieur par exemple au budget des Armées. D'autre part, des économies en matière de coûts de gestion sont un préalable indispensable à l'acceptation de réformes plus profondes en matière de prestations : pauvreté, chômage, retraite ou santé.

D'ici 2022, il nous paraît qu'1 milliard d'euros d'économies soit possible sur les coûts de gestion du régime général. Ces économies proviendraient de la fusion à un niveau interdépartemental des caisses de sécurité sociale, d'une diminution des effectifs et d'une gestion mutualisée des systèmes informatiques. Cette restructuration serait le préalable à une transformation plus profonde du pilotage de la Sécurité sociale avec à la clé des économies supplémentaires en coûts de gestion. Cette restructuration induirait par ailleurs une plus grande efficacité en matière de lutte contre la fraude.

Les caisses de sécurité sociale : 118 000 agents pour 8 milliards d'euros de coûts de gestion

Dans son rapport qui vient de paraître sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale 2020, la Cour des comptes revient vers sur l'organisation territoriales des caisses de sécurité sociale du régime général en rappelant en préambule que les branches (maladie, famille vieillesse, AT MP[1]) comptent 223 caisses locales employant 118 000 agents pour des dépenses de gestion de 8 milliards d'euros.

L'organisation territorialisée : une origine historique

Le système bâti en 1945 suit une conception définie par le Conseil national de la Résistance au nom de la justice sociale pour « apporter la garantie à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes » a été mis en place sur les bases de différents systèmes d’assurances et de prévoyance, selon des filières professionnelles ou géographiques. Ce système qui devait être unique va, dès son origine, conserver des régimes à part, des régimes spéciaux, certaines professions ayant refusé d’intégrer le régime général, leur régime étant plus généreux. Autre caractéristique du système, la création des caisses locales en 1945 a précédé celle des caisses nationales en 1967 par les ordonnances Jeanneney, et l’articulation entre niveau national et niveau local est loin encore d’être efficace même si un pilotage national se met en place, notamment sous la pression de l’État grâce aux conventions d'objectifs et de gestion (COG).

L'évolution du réseau reste lente : ainsi comme le rappelle la Cour, entre 2009 et 2011, les Caf et la plupart des CPAM qui avaient un ressort infra-départemental ont été fusionnées en des caisses départementales, ce qui en a réduit le nombre d’un cinquième. C'est ce qu'on a appelé la départementalisation. Mais des exceptions demeurent : ainsi dix CPAM ont conservé un ressort infra-départemental : quatre dans le département du Nord et deux dans le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques et la Seine-Maritime. Depuis 2015, une seule fusion de caisses est intervenue : les Caf du Pays basque et du Béarn et Soule ont fusionné.

Les caisses ne sont pas le seul élément constitutif du réseau : il y a également les sites d'accueil et de production de service des caisses sociales. Le rapport de la Cour indique que le nombre de sites de l'assurance maladie a diminué entre 2014 et 2018 pour passer de 1 404 à 1 086 (-23 %), celui des Caf (hors sites purement administratifs) de 340 à 297 (-13 %), et que le nombre d’agences retraite a baissé de 285 à 227 (-20 %). Dans les réseaux de CPAM et de Caf, cette évolution traduit avant tout la réduction du nombre des lieux d’accueil du public : développement des services en ligne, développement de l’accueil sur rendez-vous, et une mutualisation des sites d'accueil avec d'autres administrations. En 2019, la Cour constatait un recul des visites aux accueils physiques entre 2014 et 2018 de 65 % en CPAM, 44 % en Caf et 60 % dans la branche vieillesse, et une diminution du nombre de lieux d’accueil sur la même période de 33 % en CPAM, 12 % en Caf.

Si en apparence les sites ont donc diminué, il reste que le maillage a peu évolué notamment en ce qui concerne les sites de production (traitement des prestations). Une des raisons tient aux conventions collectives signées avec le personnel et qui limite les possibilités de mobilité. Ainsi comme l'explique la Cour : les principales implantations existant avant les départementalisations n’ont pas été remises en cause, en raison des engagements pris de maintenir l’affectation géographique des agents. En 2018, seuls 0,4 % des salariés du régime général ont changé d’organisme.

Pour équilibrer la répartition territoriale, les marges de manœuvre reposent sur les départs définitifs à la retraite, ce qui constitue un maigre levier d'adaptation. Conséquence de cette répartition inégale des sites de production, de grosses différences de performance entre caisses. Un grand nombre de sites de petite taille perdurent et deviennent surdimensionnés du fait de la baisse des effectifs. La Cour cite le cas de la Cnav qui a pour objectif que chaque agence, au moins une par département, soit dotée de 9 à 15 conseillers-retraite. Toutefois beaucoup sont plus petites, dans des départements urbains comme ruraux.

Autre problème soulevé par la Cour, la gouvernance : les directeurs des CPAM sont responsables de plein droit de la gestion de leur caisse. Les conseils d’administration des Caf, des Carsat et des CGSS ont conservé en droit une compétence générale pour régler les affaires de ces organismes. La Cour recommande que leurs attributions fassent l'objet d'une liste limitative et que le contrôle de la Caisse nationale soit plus étendu. Par ailleurs, la Cour recommande de limiter le nombre de membres des conseils d'administration des caisses qui est parfois excessif, de contrôler les administrateurs qui cumulent des mandats et d’encadrer la création de commissions par les conseils d'administration. Autant de points que nous avions déjà soulevés dans notre étude.

Pour tenter de corriger les écarts d'activité entre caisses, les différents réseaux ont mis en place sous la pression de l'État qui leur demandait des efforts de gestion, des mutualisations d'activités (par exemple la Cpam de Nanterre gère la couverture maladie du régime des électriciens et gaziers. Ces mutualisations concernent un nombre croissant d'agents. C’est dans le réseau de l’assurance maladie que les mutualisations entre caisses sont les plus développées. Et dans le réseau famille, chaque Caf est en charge d’au moins une activité pour le compte d’une ou de plusieurs autres caisses ou d’une mission nationale. Mais malgré cela l'organisation laisse perdurer des écarts de coûts et de qualité de gestion :

Ainsi la baisse des effectifs n’est pas proportionnelle à la taille des caisses : le quart des CPAM aux effectifs les moins nombreux a réduit ses effectifs de quatre points de moins que le quart des plus grandes caisses. Dans la branche famille, le quart des caisses les plus petites a bénéficié d’une hausse d’effectifs de 2,6 % en moyenne quand les effectifs des quarts suivants ont diminué.

Des gisements de productivité importants

Si des différences d'implantation peuvent correspondre à des difficultés d'accès de la population ou bien encore des caractéristiques particulières : fort taux de pauvreté, de personnes âgées, la Cour dit bien que des unités de petite taille emporte des coûts supplémentaires : pas de spécialisation des collaborateurs, problème d'absentéisme. Il existe donc des gisements de productivité à rechercher en atteignant une taille optimale pour chaque caisse : ainsi, si toutes les CPAM portaient leur productivité à un niveau au moins égal à celui de la 20ème la plus productive (sur 101), les effectifs de l’assurance maladie pourraient être réduits de près de 2 900 ETP (soit 5,8 % des ETP globaux des branches maladie et AT-MP en 2018). Les plus grandes caisses peuvent être aussi l'objet de surcoûts (poids de l'encadrement, dilution des process) : la Cour recommande un optimum entre 700 et 900 ETP pour les CPAM. Pour rappel, la Cpam de la Creuse compte 99 agents, la Caf des Hautes Alpes compte 67 agents. Dans le même temps, un quart de l’activité se concentre dans quelques très grandes caisses (neuf CPAM, huit Caf).

Pour la Cour, la stabilité de leur organisation actuelle en un grand nombre de caisses et de sites n’en assure pas l’emploi le plus efficace. Les marges de manœuvre se situent dans l’affectation géographique des futurs recrutés, dans la redistribution des activités entre caisses, dans le regroupement de ces dernières et dans le développement des coopérations entre branches. Il ne s'agit pas de mutualisations telles qu'elles ont été menées jusqu'à présent, qui couvrent des parties plutôt que des processus de gestion entiers, ce qui favorise la fragmentation des activités.

Pour les Cpam, par exemple, toutes restent compétentes sur un large champ d'activités : gérer les droits des assurés résidant sur leur territoire, la prise en charge de leurs frais de santé, les indemnités journalières qui leur sont versées au titre des trois risques maladie, maternité et AT-MP. Chaque Caf reste compétente pour les allocataires de son ressort géographique pour traiter les déclarations et justificatifs Idem pour les Carsat en matière d'assurance vieillesse : calcul, liquidation des droits propres, de la réversion, des majorations, des allocations type minimum vieillesse. La Cour propose une redéfinition du périmètre minimal d'autant que certaines activités ne sont qu’exceptionnellement traitées en face à face avec les assurés et pourraient l’être dans un autre ressort que le département : calcul des indemnités journalières, régularisation de carrières dans la branche vieillesse ; traitement des déclarations de ressources et des justificatifs des allocataires des Caf.

Accélérer sur la mutualisation des fichiers de données

Bien sûr la Cour recommande de poursuivre la mutualisation des fichiers d'acquisition des données qui permettent le contrôle des ressources : la mise en place du dispositif de ressources mutualisées, dans le cadre de la réforme des aides au logement (attribution en fonction des ressources du dernier trimestre et non plus des revenus fiscaux de l’année n-2) permettre à la branche famille, mais aussi à l’assurance maladie, de fiabiliser à la source les données prises en compte pour attribuer et calculer un grand nombre de droits et de prestations et de limiter les demandes de déclarations et de pièces justificatives aux assurés et aux allocataires. L’identification de ces derniers par France Connect a le même objectif. Ces évolutions doivent aussi améliorer le paiement à bon droit des prestations, en permettant l’automatisation des actes de liquidation à partir d’informations normalisées et fiabilisées et engendrer des gains substantiels de productivité pour les caisses, en réduisant la charge d’activité liée à des activités manuelles de collecte, de traitement et de contrôle des données recueillies.

Pour aller plus loin, dans la rationalisation du réseau, deux voies sont possibles. Celle qui a été empruntée en Lozère en 2009 avec la création de la caisse commune de sécurité sociale (CCSS), multi branches. Des expériences similaires sont en cours dans les Hautes Alpes ou dans le Cantal. Mais la Cour souligne à juste titre que ces sites doivent gérer des contraintes supplémentaires avec des systèmes informatiques cloisonnées, des programmes d'action différenciées selon les branches ce qui peut au final être compliqué à mettre en œuvre. La Cour plaide plutôt pour un regroupement interdépartemental qui permettrait d'atteindre une masse critique. Ces caisses devraient cependant maintenir des sites dans les différents départements pour l'accueil pour que cette réforme soit bien acceptée particulièrement dans les zones rurales. Mais il faut en revanche accélérer sur la régionalisation des activités support ce qui implique de revoir les règles concernant la mobilité du personnel, de mettre en commun les sites immobiliers. Mais surtout d'accélérer sur la numérisation des données, et la mutualisation des fichiers.

Ces évolutions sont indispensables pour améliorer la lutte contre la fraude aux prestations sociales et baisser les coûts de gestion. C'est ce que la Fondation iFRAP demande depuis plusieurs années. C'est aussi une nécessité dans un contexte de finances sociales dégradées pour que l'État reprenne la main sur le pilotage des dépenses sociales qui représentent plus de 33% du PIB.

 


[1] Accidents du travail et maladies professionnelles