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Réseau pour l’emploi : le cas australien

Depuis la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC en 2008, Pôle emploi est seul gestionnaire de l’emploi en France. Malgré les chiffres prometteurs du mois de septembre (-1,7% d’inscrits en catégorie A, et -1% toutes catégories confondues), les difficultés de l’établissement à retrouver un emploi aux chômeurs qui y sont inscrits, couplées au poids administratif et financier de l’établissement, pressent de réfléchir à de nouvelles modalités de prise en charge des demandeurs d’emploi. Aussi, puisque l'on augmente depuis quelques années les recours à des partenariats publics-privés dans la gestion de l’emploi, pourquoi ne pas suivre le chemin de l’Australie qui a entrepris dès la fin des années 1990 la privatisation totale des services de l’emploi ?

L'organisation du Réseau pour l'emploi australien

Il n’y a pas en Australie de service public de l’emploi : le Commonwealth Employment Service (CES) a été supprimé en 1998. Pour le remplacer a été créé un Réseau pour l’emploi : Job Services Australia (plus connu sous le nom de Job Network), qui a été remplacé en janvier 2015 par Jobactive.                

Au total, 3 acteurs interviennent sur le marché de l’emploi :

  • Le ministère chargé de l’emploi, pour la politique de l’emploi ;
  • L’agence publique, Centrelink qui assure la gestion et le paiement des allocations (service d’indemnisation donc) ainsi que le contrôle de l’éligibilité aux allocations et de la recherche d’emplois. Tout en mettant à disposition des demandeurs d’emploi divers outils de recherche d’emploi, elle assure également la gestion d’une base de données nationale sur les offres d’emploi à laquelle ont libre accès les entreprises, les demandeurs d’emplois et les prestataires de services, ainsi que le diagnostic sur les besoins des chômeurs et conséquemment leur orientation vers le service le plus approprié. Dès lors, elle met en relation le demandeur d’emploi et les prestataires privés de sa région. Il y a ainsi 320 centres pour l’emploi sur l’ensemble du pays ;
  • Les opérateurs privés, à but lucratif ou non, les Job Network Members, qui mettent en œuvre la totalité des services aux demandeurs d’emploi. Ils sont 141 opérateurs, et gèrent environ 1.700 sites (2012), dont seulement 21% sont à but lucratif. Les demandeurs d’emploi peuvent dans la mesure du possible choisir le prestataire susceptible de les aider à trouver du travail, et sont dirigés sur choix de Centrelink s’ils ne le font pas.

Le Réseau pour l’emploi (Jobactive) assure trois services principaux : le soutien à la recherche d’emploi (pour aider les chômeurs à trouver un emploi, et les employeurs à recruter le bon personnel), l’aide intensive par la formation à la recherche d’emploi (qui consiste en un stage de 15 jours destiné à former aux techniques de recherche d’emploi pour les chômeurs de plus de trois mois, il est immédiatement obligatoire pour les moins de 24 ans et les plus de 50 ans), et l’aide intensive personnalisée (qui s’adresse aux 20% des chômeurs les plus défavorisés, et qui augmente de près de 20% les chances de trouver un emploi relativement aux chômeurs défavorisés situés en dehors de ce programme, d’après une évaluation du ministère de l’Emploi).

Le CES disposait de plus de 300 antennes locales avant sa suppression, dont l’objectif était de recourir au marché pour une meilleure gestion des actifs. Une agence publique continue d’organiser le tout, Centrelink, et employait 36.594 personnes au 31/06/2016, soit 30.776 équivalents temps plein (ETP), répartis en 334 agences. Avec 711.500 demandeurs d’emploi recensés en septembre 2017 (5,5% de taux de chômage, d’après le Department of Employment – Australian government), cela donne 23,1 demandeurs d’emploi par ETP (avec 54.000 ETP et 6,636 millions de chômeurs inscrits à Pôle emploi, le ratio est en France de 123 demandeurs d’emploi par ETP, pour un coût de gestion courante total de près de 4,5 milliards d’euros).  Centrelink impose un code de conduite aux services de l’emploi afin de garantir la qualité du service à la fois pour les demandeurs d’emploi et les employeurs, code qui fait partie de l’accord entre le gouvernement fédéral et les prestataires.

Les opérateurs privés, sélectionnés initialement par un large appel d’offres lancé par le ministère de l’Emploi (créé lors de la transition avec Centrelink), sont évalués tous les trois mois en fonction de leurs performances dans le retour à l’emploi des chômeurs dont ils ont la charge et peuvent voir leur position évoluer à la hausse ou à la baisse en fonction de leurs résultats. Leurs notes sont rendues publiques, et correspondent à une échelle de 1 à 5 étoiles (star ratings), ce qui les oblige à parfaire leurs méthodes et à chercher le maximum d’efficacité. Il apparait d’ailleurs que les plus efficaces partagent pour caractéristiques de fortes compétences de gestion (aptitude à élaborer des modèles de financement) et de mettre l’accent sur le contact avec le client (en moyenne, ils disposent dans un bureau local de 20 salariés, dont 17 conseillers et 3 spécialistes pour les activités de soutien et de gestion).

La souplesse de gestion permise par la réforme est d’autant plus importante pour les gestionnaires publics que la politique de l’emploi est par nature contracyclique, la délégation de service public offre plus de flexibilité en faisant appel au privé. En France, nous recourons déjà pour cela dans une certaine mesure aux opérateurs externes par le moyen des partenariats public-privé (la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 a mis fin au monopole de l’activité de placement confiée jusque là à l’ANPE), mais nous laissons encore peu d’autonomie à ces opérateurs privés, et concentrons le plus gros de l’offre d’emploi dans Pôle emploi, dont les insuffisances de gestion et d’efficacité dans le retour à l’emploi poussent à réfléchir à une réforme du système. L’Australie montre que le savoir-faire en matière de reclassement des individus les moins qualifiés peut être acquis dans un laps de temps assez court par ces opérateurs. Il faut bien sûr les sélectionner et ce, sur d’autres critères que le prix afin d’éviter un phénomène de sélection adverse, et mettre en place un engagement contractuel propre à réduire l’aléa moral, ce qui passe par un mécanisme d’incitations, via des primes. Et pour cause, d’après Oliver Hart (1997 - prix Nobel d’économie 2016), les services publics peuvent être fournis par des opérateurs privés seulement si les obligations contractuelles sont définies de manière suffisamment précise et si leur réalisation peut faire l’objet de vérifications.

Le rapprochement des services pour l’emploi a des effets positifs sur la gestion interne des organismes publics. En effet, au fur et à mesure que les attributions des organisations évoluent, les agents doivent exercer de nouvelles fonctions qui requièrent de nouvelles compétences. Ce fut le cas en Australie, car les pouvoirs publics sont passés de prestataire de service au sein du CES, à acheteur de main d’œuvre auprès des opérateurs privés. Le personnel du ministère de l’emploi a alors dû acquérir de nouvelles compétences. De plus, les agents de l’ancien CES sont dans un premier temps devenus des agents d’Employment National (un prestataire public des services pour l’emploi, qui dépendait du Job Network jusqu’en 2003 avant d’être dissout lui aussi), perdant alors leur statut de fonctionnaire. Il ne faut donc pas craindre d’une telle réforme qu’elle mette au chômage les 54.000 agents de Pôle emploi, les évolutions de statut et de compétences étant possibles.

Le fonctionnement de Jobactive

Centrelink a développé un outil de profilage des demandeurs d’emploi, afin de les orienter vers les services les plus appropriés à leur profil, qui se juge en fonction de leur éloignement du marché du travail, le Job Seeker Classification Instrument (JSCI), le but étant notamment d’identifier rapidement ceux qui risquent de connaître un chômage de longue durée. Le JSCI sert également le ministère de l’Emploi australien à rémunérer ses prestataires par demandeur d’emploi pris en charge, puisque cela se fait en fonction du courant « stream » dans lequel il est classé (selon sa distance avec le marché du travail, sur une échelle de 1 à 4). La rémunération se fait en trois parties. Le forfait de service est un paiement trimestriel pour chaque demandeur d’emploi, qui couvre les coûts de service de base. L’Employment Pathway Fund (EPF) credit est une somme disponible sur le fonds éponyme pour le prestataire, afin qu’il fournisse au demandeur d’emploi des services supplémentaires (de formations, de conseils).

Le forfait de placement est payé en fonction du résultat, c’est-à-dire lorsque le demandeur accomplit un certain nombre d’heures spécifié dans un poste obtenu grâce au service du prestataire. Le résultat est jugé positif s’il y a réduction de 100% des allocations chômage (ce qui implique une durée d’emploi minimum de 18h par semaine compte tenu des règles d’indemnisation en vigueur). Une première somme est versée si le demandeur d’emploi accomplit 13 semaines (pathway outcome) et une seconde après 26 semaines (full outcome) dans son nouveau poste – soit autant de semaines lors desquelles la réduction des allocations est toujours effective -, des durées indicatives de la stabilité du travail. Les résultats de placement s’évaluent à échéance trimestrielle, selon que les demandeurs d’emploi sont à nouveau employés « employment outcomes », en formation ou en stage « education outcomes ». Comme évoqué, les sommes croissent avec la durée du chômage subie : ainsi, les sommes perçues après 13 semaines pour le reclassement de chômeurs de plus de 36 mois sont 8 fois plus élevées que celles perçues par les individus au chômage depuis moins d’un an. Ce modèle a l’avantage de ne pas rémunérer les prestataires en fonction du nombre de demandeurs d’emploi par agent, mais de les rémunérer au résultat, par le retour à l’emploi, et donc de créer des incitations. Il permet ainsi d’évaluer l’efficacité des programmes d’actifs à l’aune de la durée de l’emploi (qui est susceptible de diminuer la récurrence du chômage) plutôt qu’à celle de la durée du chômage.

Une troisième composante est le compte des demandeurs d’emplois (Job Seeker Account), dont l’argent du compte est mis à disposition du Réseau pour l’emploi afin d’aider le demandeur d’emploi à trouver un emploi durable en l’aidant à acheter du matériel nécessaire à ses recherches (uniforme ou outils de travail par exemple).

Vers 2005, lorsque le système avait atteint son rythme de croisière, le coût de placement était de 3.500 dollars (2.330 euros). Mais il est important de comprendre que l’objectif de ce Réseau pour l’emploi est la mise en emploi rapide et vers des emplois stables, et qu’alors la réalisation d’économies de versement d’allocations chômage constitue une contrepartie au coût de ces accompagnements.

La gouvernance du réseau pour l’emploi se base donc sur les 3 piliers suivants : l’incitation pour aligner les intérêts de l’agent (le prestataire du Réseau pour l’emploi) et du principal (le gouvernement) ; l’information (pour réduire l’asymétrie d’information entre le prestataire et le gouvernement) ; et le contrôle (avec des principes de qualité et non des règles strictes).

Le Réseau s’appuie également sur un outil informatique performant, l’Integrated Employment System (IES : système intégré de l’emploi), qui partage les informations entre les membres du Réseau pour l’emploi, le ministère de l’Emploi et Centrelink pour les programmes et les services de l’emploi (ils ont connaissance en temps réel des informations sur les demandeurs d’emploi, les employeurs, les postes vacants et les membres du Réseau pour l’emploi ainsi que les échanges qui ont eu lieu). Grâce à ce service, les services du ministère peuvent contrôler le bon fonctionnement du Réseau. De plus, le service s’avère être un outil de communication performant, puisque Centrelink est informé instantanément par le service si un demandeur d’emploi n’effectue pas de recherche d’emploi, et peut alors appliquer une sanction si nécessaire.

Le Réseau pour l'emploi australien, un modèle dont il faut s'inspirer

En 2012, dans une étude Pôle emploi, l'urgence d'une rénovation, la Fondation iFRAP proposait déjà une délégation de service public à l’image du modèle australien. Les missions d’accueil et d’indemnisation seraient maintenues à la charge de Pôle emploi, quand les autres missions – et principalement l’accompagnement et le placement – pourraient être largement confiées au secteur privé, non lucratif notamment. Par la restriction du champ d’action de Pôle emploi, les effectifs seraient amenés à diminuer, et l’on peut aisément imaginer que les agents sortant de l’établissement pourraient créer ou rejoindre des organismes de placement en mettant à profit leur expertise.

Plusieurs aspects du modèle australien sont susceptibles de fonctionner. Le recours aux prestataires de services pour l’emploi a déjà fait ses  preuves en France. Par exemple, une expérimentation de l’Unedic en 2005 a donné lieu à la prise en charge de 3.900 demandeurs d’emploi par des opérateurs privés, pour un coût moyen de prise en charge de 2.300 euros par demandeur d’emploi, près de 55% des demandeurs d’emploi sont sortis du chômage au bout de 9 mois, avec une économie de 24 millions d’euros pour l’Unedic. Responsabiliser les opérateurs et les chômeurs externes via une rémunération sous logique de résultats pourrait rendre le système français plus performant. Enfin, le rassemblement et la transmission des compétences pourraient rendre les dispositifs français plus efficaces, les services  publics de l’emploi ayant déjà progressé vers un régime unique (avec la création de Pôle emploi). Mais il faut également s’appuyer sur les compétences des opérateurs externes en plus de celles des agents publics, puisque cela a fait ses preuves en Australie.


Sources :

  • Le Réseau pour l’emploi en Australie : un modèle pour la France ?, Mémoire présenté par Mlle Imogen Curtis, Promotion République de l’École nationale d’administration (ENA) ;
  • Améliorer le Service Public de l’Emploi : ce que disent les faits, Marc Ferracci ;
  • Évaluation d’impact de l’accompagnement des demandeurs d’emploi par les opérateurs privés de placement et le programme Cap vers l’entreprise, Luc Behaghel (École d’Économie de Paris, INRA), Bruno Crépon (Crest et J-PAL), Marc Gurgand (École d’Économie de Paris, CNRS) ;
  • Pôle emploi, l’urgence d’une rénovation, Société civile n°126, Fondation iFRAP