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Quelles dépenses publiques pour quel modèle social ?

En France, 57% des dépenses publiques sont des dépenses sociales. Ce poste représente plus de 624 milliards face aux 370 milliards de budget annuel de l'État et aux 220 milliards des dépenses locales. Notre modèle social pèse aujourd'hui sur la compétitivité de la France, il faut le réformer. Le sujet n'est pas la réduction homothétique des dépenses mais la transformation du modèle : quels services publics délivre-t-on et pour quel coût ? Quel est le périmètre de l'action publique et quelles sont les missions dont il faut envisager l'abandon ?

[(Quelle définition pour le modèle social français ?

Le modèle social français est un ensemble de politiques sociales et s'articule autour de 3 piliers principaux :
- Le droit à une retraite pour tous,
- La gratuité des soins,
- L'assurance chômage.

À ces piliers s'ajoutent d'autres avancées sociales, telles que :
- la reconnaissance des syndicats (1884 - Pierre Waldeck-Rousseau)
- le statut de la fonction publique
- la politique d'assistance aux handicapés (notamment autour de deux lois d'orientation en 1975 et 2005, initiées par Jacques Chirac).
- l'instauration d'un salaire minimum (SMIG en 1950 par Paul Bacon (MRP) puis le SMIC en 1970 par Jacques Chaban-Delmas)
- l'instauration d'un revenu minimum d'insertion (RMI Michel Rocard en 1988, puis RSA en 2009 par Nicolas Sarkozy)

Le modèle social se caractérise aussi par l'éducation à la française, l'exception culturelle, un État providence qui intervient dans tous les domaines, son imbrication avec la sécurité sociale, ou encore des collectivités locales aux missions très larges car couvertes par la clause générale de compétences.)]

Nous avons l'impression en France d'avoir un modèle social exceptionnel, hors normes. Une chose est certaine : il est hors normes car il coûte cher. Nous dépensons chaque année plus de 56% de notre PIB en dépenses publiques. Beaucoup plus que les Allemands par exemple qui y consacrent seulement 46% de leur PIB.

Par rapport à l'Allemagne, quels services publics avons-nous en plus ? Si on regarde la dépense par tête, on peut être surpris, car en réalité, sur les dépenses par tête pour la famille et la maladie, l'Allemagne dépense plus que la France, environ 3.700 euros pour la maladie quand la France est à 3.300. Pour la famille, même constat : l'Allemagne dépense près de 1.000 euros par tête, contre 800 euros pour la France. Pour le reste, les dépenses sont assez comparables, à l'exception notable des « dépenses de vieillesse et survie » qui sont à 4.300 euros par tête en France contre 3.600 en Allemagne.

En ce qui concerne l'éducation, la dépense par élève est de plus de 7.000 euros en France et de 5.900 euros en Allemagne (24% du PIB par habitant en France, 16,9% en Allemagne), pourtant l'Allemagne se classe devant la France au classement PISA. C'est avant tout un problème d'organisation et de doublons. Les prestations ne sont pas forcément plus importantes, la qualité des services publics pas meilleure et pour autant, cela coûte plus cher à la collectivité.

[(Éducation France-Allemagne : les chiffres-clés

La France compte 55.000 écoles, collèges et lycées publics contre 28.000 en Allemagne, alors que nos voisins ont 1,2 million d'élèves de plus. Rien que pour le primaire, la France compte plus de deux fois plus d'écoles que l'Allemagne dont 5.000 écoles à classe unique qui n'offrent aucun service aux familles. La France compte beaucoup moins d'élèves en moyenne par établissement : 205 contre 417 en Allemagne ; et 250 collèges (public et privé) accueillent moins de 100 élèves. Pour chaque établissement, cela induit des coûts d'entretien, de maintenance des bâtiments, des coûts de structures, de personnel, de gardiennage...

Voir aussi : "L'école en Allemagne".)]

Sans parler du mille-feuilles du financement éducatif : l'État finance les traitements des professeurs, les communes financent les écoles primaires, les départements les collèges, les régions les lycées ; s'y ajoutent des personnels qui au niveau des rectorats et des académies surveillent ce que font les collectivités locales.

La plupart des pays ont fait de l'éducation une politique publique gérée au niveau local y compris pour le recrutement des professeurs. Une gestion locale permettrait d'éviter le nombre de détachements que l'on compte au ministère de l'Éducation (9% des effectifs gérés par le ministère, soit plus de 98.000 agents, dont 30.000 sans explication très claire sur leur localisation actuelle).

Quelques chiffres comparés des effectifs au niveau central :

Effectifs des agents publics au niveau central
FranceAllemagneRoyaume-Uni
Intérieur et police 288 941 1 500 26 180
Affaires étrangères 14 849 6 750 5 910
Défense 302 347 277 228 233 300
Éducation nationale, Enseignement supérieur et Recherche 1 059 408 900 2 780
Santé 13 163 700 3 220
Justice 65 668 672 71 200
Économie et Finances 167 627 1 500 93 500
Source : Rapport sur l'état de la fonction publique, annexe au PLF 2013 (chiffres 2010) Sources : ministères, wikipedia Source : ONS (1er trimestre 2012)

En France, nous avons un problème de fond de gouvernance des missions publiques. Le travail sérieux de mise à plat des missions par échelon n'a jamais été fait, ni par les audits de modernisation de l'État, ni par la RGPP. Résultat : les surcoûts de production sont le problème majeur de la France . C'est toute la gouvernance des missions publiques qui est à revoir.

Quand notre pays dépense 27,7% de sa richesse nationale à produire ses services publics, les pays de l'Union européenne dépensent 24,9%, sans différence notable en termes de qualité du service public et de niveau des prestations. Un écart de 3 points de PIB, rien que sur les surcoûts de production.

La Fondation iFRAP a identifié deux grandes réformes à mener :

[*1. la réforme de la gouvernance publique*] dans laquelle la France s'astreindrait à dédoublonner, redonner sens à chaque échelon public en leur conférant un niveau d'intervention spécifique et un niveau de ressource dédié, politique publique par politique publique (quel est le bon niveau d'intervention publique et quel est le bon prix et la meilleure qualité de services publics ?). Nous proposons de fixer un maximum de dépenses à respecter la plus vite possible : 350 milliards de dépenses au niveau de l'État, 208 au niveau des collectivités, 595 au niveau des dépenses sociales.

Cela supposera de s'attaquer au sujet le plus épineux de la réforme de l'action publique en France : la baisse des effectifs publics. Si l'on prend les chiffres de la Commission européenne, la moyenne UE est de 92 emplois publics pris au sens large pour 1.000 habitants ; la France emploie 103 agents publics pour 1.000 habitants.

Rejoindre la moyenne de l'UE nécessite de baisser de 700.000 le nombre de nos emplois publics et parapublics pour atteindre 6 millions au total (actuellement 6,7 millions d'agents publics). Cela demanderait de nos plus remplacer les départs à la retraite dans les trois fonctions publiques d'ici 2017, d'organiser la mobilité, de retrouver les personnels qui sont en détachement et en disponibilité [1], de réorganiser les temps de travail des agents [2]. C'est un vrai big bang de l'organisation de l'action publique qu'il nous faut et qui est devant nous, mais qui nécessitera aussi l'ouverture des données publiques. Sans transparence, pas de réforme possible. Le travail des TT est de pousser à l'open data.

[*2. la réforme des retraites*] qui est LA réforme des prestations s'il fallait n'en évoquer qu'une, qui devra être abordée en 2013. Le point sur la réforme systémique est prévu. Il est essentiel. Comment la France et ses entreprises pourraient-elles rester compétitives quand seulement 17% des plus de 60 ans travaillent en France alors qu'en Allemagne ce chiffre est de 41% ? Les Allemands ont su mettre un maximum de cotisations retraites et ont repoussé l'âge légal de départ à 67 ans en 2029.

Là encore le surcoût de nos retraites vient aussi des régimes spéciaux de retraites qui ne sont pas homogènes avec les retraites privées. Il nous faut un système de retraites universel, le même pour tous. Sans ces réformes, ce sont nos entreprises qui vont encaisser année après année le défaut de compétitivité de la sphère publique avec une surtaxation que nous avons déjà mise à jour dans notre étude : « compétitivité des entreprises : et si on commençait par la fiscalité ? ». Or une grande partie des économies est possible sur le coût de production de nos services publics. Par ailleurs, il est clair que nous ne ferons pas l'économie, comme tous les pays à population vieillissante en Europe, de réfléchir à ne pas consacrer une trop grande partie de nos finances aux retraites publiques et à la dépendance.

Évolution de l'emploi public
FPEFPTFPHTotalPopulation
1980 2 173 169 1 021 000 670 791 3 864 960 53 731 000
1986 2 287 458 1 121 383 756 201 4 165 042 55 411 000
1990 2 307 816 1 166 364 783 473 4 257 653 56 577 000
1996 2 401 791 1 262 361 825 710 4 489 862 57 936 000
2000 2 472 102 1 371 928 855 660 4 699 690 60 508 000
2006 2 546 091 1 662 360 1 018 351 5 226 801 63 186 000
2007 2 484 484 1 748 378 1 035 073 5 267 935 63 578 000
2010 2 307 492 1 811 079 1 110 469 5 229 040 64 648 000
1980-2010 6,20% 77,40% 65,50% 35% 20,30%

[1] Par exemple les syndicats ont-ils besoin de MAD ? Ne pourraient-ils pas fonctionner avec des personnels retraités et bénévoles ?

[2] Dans l'Éducation, deux heures de cours de plus par semaine pour tous les professeurs du second degré permettrait d'atteindre la moyenne OCDE et équivaudrait à la création de 40.000 postes ETPT