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Pourquoi refuser de recentraliser le RSA ?

Mardi soir, les négociations entre l’ADF (association des départements de France) et Manuel Valls à Matignon se sont conclues par un constat d’échec.

Un échec d’autant plus inattendu que, lors de son congrès de Troyes à l’automne 2015, c’était l’association elle-même qui avait appelé par la voix de son président Dominique BUSSEREAU, à la « recentralisation » du dispositif. En effet, comme vient de le confirmer l’ODAS (Observatoire des dépenses d’action sociale) dans sa dernière livraison du 21 juin 2016 relative à l’exercice 2015, le « reste à charge » des départements, s’agissant de l’ensemble des dépenses d’action sociale, s’élève à 28,3 milliards d’euros contre 27,2 milliards d’euros en 2014, soit une progression de 1,1 milliard d’euros[1]. Sur ce montant, les charges nettes liées à la gestion du RSA représentent près de la moitié de cette augmentation soit +540 millions d’euros (et même 600 millions d’euros si on exclut les dépenses liées aux actions d’insertion). Elles s’établissent désormais à 4,24 milliards d’euros (pour un coût global du RSA payé par les départements de 9,84 milliards d’euros). Cet aveu d’échec permet de mettre en évidence deux limites actuelles de la relation entre l’Etat et les collectivités territoriales :

  • Première limite, les départements ont réalisé un coup de bluff et ont perdu. La perte du RSA représenterait une baisse d’influence financière et sociale significative et enclencherait une dynamique qui pourrait conduire d’après eux à leur suppression. Plutôt donc cannibaliser la part du budget consacrée à l’insertion (passant de 830 à 700 millions d’euros entre 2009 et 2015) et en reporter la responsabilité sur le gouvernement…
  • Seconde limite, on dialogue beaucoup entre l’Etat et les collectivités territoriales, mais ce dialogue est difracté au travers d’une multitude d’instances. Un toilettage radical s’impose afin que l’on puisse passer progressivement de la concertation à la codécision dans le respect constitutionnel d’un état, certes décentralisé, mais unitaire.

Le statu quo sur la « recentralisation du RSA » se joue en défaveur des départements

Sur le papier le « deal » entre l’ADF et le Premier ministre aurait dû fonctionner. Les départements aux dépenses d’actions sociales de plus en plus contraintes[2], avaient tout à gagner sur le plan financier d’une recentralisation du RSA (voir encadré historique). D’abord parce que le transfert à partir de 2004 du RMI puis à compter de 2009 de l’API (allocation parent isolé) devenu RSA « socle », contre le transfert à l’Etat par les départements des charges d’intéressement (devenu RSA « activité ») avait été compensé au « coût historique des transferts », par un panier de recettes correspondantes, (TIPP/TICPE et FMDI voir encadré), moyennant des clauses de revoyure triennales, mais insusceptible de faire face au dynamisme des dépenses occasionnées (liées à un marché du travail particulièrement dégradé).

D’autre part, parce que le reste à charge des départements ne tient pas compte par construction des territoires où le taux de pauvreté est le plus important (puisque le panier de recettes ne correspond qu’à une photographie des charges figées à compter de la date du transfert et que les mécanismes péréquateurs ne sont pas assez puissants entre les départements eux-mêmes (part péréquatrice de la FMDI fixée à 150 millions d’euros). Le taux de couverture du reste à charge par l’Etat fixé au niveau national à 61,3% en 2015 (contre 90,4% en 2009, et 79,7% en 2013), s’échelonne en réalité dans les territoires entre « moins de 50% et plus de 75% ».

Petit historique de la compensation du « transfert » du RSA aux départements

En effet, celui-ci aurait été accompagné du « transfert » en sens inverse des ressources allouées à l’époque par le gouvernement RAFFARIN pour décentraliser la gestion du RMI. Celle-ci avait été compensée par un transfert d’une fraction de TIPP (devenue depuis TICPE), fixée par rapport aux dépenses occasionnées en 2003 pour l’Etat, soit 4,942 milliards d’euros, somme à laquelle dans un premier temps une subvention exceptionnelle était venue s’ajouter pour compenser le dynamisme des allocataires (de 457 millions d’euros[3]), bientôt pérennisée sous la forme du FMDI (fonds de mobilisation départemental pour l’insertion), doté annuellement de 500 M€ par an (à la charge de l’Etat), renouvelé pour deux ans, puis tous les trois ans désormais, la dernière mouture couvrant ainsi la période 2015-2017. La loi du 1er décembre 2008 a ensuite fusionné le RMI et l’API dans le RSA. Les départements reçoivent ainsi le RSA « socle » composé de l’ancien RMI (rebaptisé montant forfaitaire) et l’API (précédemment à la charge de l’Etat et rebaptisé « montant forfaitaire majoré[4]), tandis que l’Etat finance la part cumulable avec les revenus d’activité (RSA « activité » ou RSA « chapeau ») pour les personnes retrouvant un emploi (lissage des effets de seuil salarial). Désormais l’Etat compense également la part transférée ex-API, assortie d’une clause de réexamen triennal. Le Conseil constitutionnel a part ailleurs introduit (décision QPC n°2011-142/145 du 30 juin 2011) une clause de garantie prévoyant le maintien de la compensation au niveau des charges payées par l’Etat pour l’API en 2008[5], minorées des versements historiques effectués en 2008 pour la reprise d’activité (devenues depuis RSA activité mais « figées » soit -279 M€), qui constituaient des « charges d’intéressement » financées par les collectivités désormais reprises par l’Etat). Et la possibilité de lisser les baisses en « échelonnant les reprises sur 2 à 5 ans ».

Il en résulte donc que la « recentralisation » du RSA aurait permis non seulement de mettre fin à une dépense particulièrement dynamique afin de permettre aux départements de se concentrer sur le reste de leurs dépenses d’action sociale, elles-mêmes en forte hausse, notamment l’aide sociale à l’enfance (dépenses en augmentation de +2,7%), ou le soutien aux personnes handicapées (+3,9%)[6]. Elle aurait par ailleurs évité aux collectivités de reporter sur l’Etat leur manque de solidarité intrinsèque.

Enfin Manuel Valls n’était pas venu les mains vides. Certes, il y aurait eu « reprise » du panier de ressources affectées aux collectivités territoriales (recentralisation des fractions de TICPE, suppression du FMDI), mais il l’accompagnait également d’une « clause de retour à meilleur fortune », permettant de reverser aux départements (en cas d’amélioration de la conjoncture) le différentiel entre les dépenses de RSA en baisse reprises par l’Etat et les dotations retirée en 2017.

Ce qui a bloqué les négociations se sont en définitive les années de référence pour la reprise des dépenses et des recettes dans le déclenchement de la clause de sauvegarde. Le gouvernement voulait se baser sur l’année 2016, tandis que les collectivités voulaient l’année de référence 2014, époque où le ratio recettes/dépenses était meilleur, ce qui aurait du même coup permis un déclenchement plus rapide de la clause de retour à meilleure fortune. Le différentiel entre les deux années n’est pas mince puisque l’enjeu budgétaire représenterait près de 2 milliards d’euros. Une façon d’amoindrir les efforts liés à la contribution au redressement des finances publiques des départements (baisse de DGF) de l’ordre de 1,148 milliard d’euros[7].

Les collectivités n’ont par ailleurs pas apprécié les multiples dépenses « non arbitrables » qui leur ont été adressées par le Gouvernement, en sus de l’augmentation de 540 millions d’euros du « reste à charge » lié au RSA :

  • Si l’augmentation du nombre des allocataires est très liée à la conjoncture économique (+2,6% pour atteindre 1,7 million de bénéficiaires), le montant de l’allocation a été revalorisé unilatéralement de 2% chaque année depuis 2012 et ce, jusqu’en 2017. Il s’agit d’une partie significative, la mise en musique du Plan de lutte contre la pauvreté du gouvernement. Le coup de pouce devrait atteindre en 2017 +10% de revalorisation. Les départements en sont très objectivement pour leurs frais ;
  • Explosion également du coût de prise en charge des mineurs isolés étrangers, lié aux évènements au Levant, qui se retrouvent hors champ d’intervention de l’Etat, etc. ;
  • Même dynamique s’agissant du point de fonction publique augmenté de +1,2% en deux ans. La facture pour les départements devrait représenter plus 100 millions d’euros. Là encore, le principe d’unicité de la Fonction publique en trois versants, paralyse l’action des départements qui auraient pu vouloir piloter différemment leur politique salariale.

RSA, la Fondation iFRAP se prononce pour la recentralisation et la subsidiarité budgétaire

Les enseignements à tirer de cet épisode malheureux sont multiples, mais devraient surtout devenir sources d’enseignement :

  • Le RSA doit être « recentralisé » dans la mesure où son coût est sans cesse croissant tandis que les mécanismes de financement compensateurs sont insuffisants « structurellement » pour en amortir l’augmentation. Dans ce cadre, il importe que le financeur soit également le régulateur de la « générosité » de la mesure. Ainsi comprise, puisque l’Etat a décidé unilatéralement dans son plan de lutte contre la pauvreté de revaloriser l’allocation de 2%/an sur cinq ans, la mesure devrait être financée par l’Etat lui-même puisqu’il est en position d’arbitre de la mesure ;
  • Nous pensons que la recentralisation est importante parce qu’elle permettra seule de faire évoluer l’ensemble des allocations sous conditions de ressources vers le principe de l’ASU (allocation sociale unique) dont l’enveloppe sera nécessairement mieux pilotée par l’Etat[8]. De ce point de vue, la présentation à l’automne par l’ADF de ses propres propositions relatives aux AIS (allocations individuelles de solidarité) et la plateforme sur les questions sociales et la réforme territoriales présentées à la rentrée aux candidats déclarés à l’élection présidentielle (ou aux primaires) devraient permettre de vérifier la détermination de chacun à s’engager sur la mise en place d’une allocation sociale unique « pilotable », donc nécessairement de façon centralisée (bien qu’éventuellement déconcentrée sur le terrain) ;
  • Cette recentralisation « peut » et « doit » mettre en cause l’existence du département, en tant qu’organisme délibératif, mais pas nécessairement en tant que circonscription d’allocation. Les compétences résiduelles étant renvoyées à l’échelon du bloc communal (enseignement) ou à l’échelon régional (universités). L’assemblée régionale (élus avec un mécanisme similaire au conseil départemental[9]) pourrait ainsi se réunir en « mode départemental » sur les matières transférées d’intérêt départemental ;
  • Ce qui est valable pour le RSA devrait l’être également pour l’ensemble des autres allocations sous conditions de ressources et devrait se traduire par un principe raisonné de « subsidiarité budgétaire ». Les dépenses financées par les collectivités territoriales doivent être arbitrées par elles dans leurs composantes potentiellement inflationnistes (hors évolution de la démographie des bénéficiaires). L’Etat veillant seul à l’homogénéité des dispositifs de versement (date de liquidation, normalisation des procédures, garantie du principe d’égalité territoriale, etc.). Ce qui suppose que des instances de coordinations effectives existent avec l’Etat en matière de finances publiques.

[1] Il faut souligner qu’en 2014 les dépenses d’action sociale des départements représentaient 35 milliards d’euros, 36,2 milliards en 2015, voir le rapport de l’ADF/Banque Postale d’avril 2015, http://www.departements.fr/sites/default/files/20150428_regard-financier-departements.pdf

[2] Voir le rapport de l’ODAS de 2015 pour utiliser les séries longues relatives à l’action sociale départementale entre 1984 et 2014, http://odas.net/Lettre-de-l-Odas-Depenses-departementales-d-785

[3] A l’initiative de la très influente commission consultative d’évaluation des charges (CCEC), voir son rapport de synthèse d’activité 2004-2014, juin 2015, p.52 et suiv, http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/RAPPORT_D%27ACTIVITE_CCEC_2014.pdf

[4] Soit un droit à compensation fixé en 2010 à 750,59 millions d’euros, puis corrigé après fiabilisation des données CAF à 761,2 millions d’euros. A la suite d’un problème d’extourne comptable non prise en compte par la mission IGF-IGA-IGAS de 2011.

[5] Dans le jargon de la DGCL, cela devient : les charges de RSA socle majorées constatée par département en 2010 ne sauraient être inférieures au montant des dépenses nettes d’API supportées par l’Etat dans ces mêmes départements en 2008 minorées des dépenses d’intéressement versées par l’Etat en 2008 aux bénéficiaires de l’API (devenues RSA activité).

[6] Les dépenses liées au soutien aux personnes âgées augmentant de façon modérées à +1%. Il s’agit par ailleurs des dépenses en niveau d’action sociale les plus faibles.

[7] Source : Banque Postale, note les finances locales en 2016, https://www.labanquepostale.com/content/dam/groupe/actus-pub/pdf/etudes/finances-locales/2016/NC_finances-locales_LBP_20160511.pdf

[8] Voir en substance notre étude sur la question http://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/pourquoi-il-nous-faut-une-allocation-sociale-unique , et notre simulateur http://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/une-allocation-sociale-unique-simulez-votre-prestation .

[9] La réforme envisagée de fusion des départements et des régions par la précédente majorité (loi du 16 décembre 2010) puis par l’actuelle (avril 2014) ainsi que par l’opposition (Nicolas Sarkozy à Lambersart le 25 septembre 2014) http://www.lagazettedescommunes.com/275475/fusion-departement-region-nicolas-sarkozy-en-appelle-au-peuple/. Il serait possible de passer à un mode de scrutin cantonal à l’échelon régional en conservant le nombre de députés régionaux, en faisant coïncider les élections départementales et régionales.