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Pour l'autonomie et la responsabilisation des partenaires sociaux

En matière de dialogue social, en France, l'initiative vient souvent de l'État qui, en voulant suppléer aux partenaires sociaux, tombe souvent dans le travers d'imposer des solutions qui, en étant appliquées à tous sans discernement ne peuvent être qu'inadaptées au plus grand nombre. Ce qui était déjà vrai il y a 20 ans l'est toujours en juin 2012.

Certes, plusieurs lois sont intervenues ces dernières années. Celle du 31 janvier 2007 (devenue l'article 1 du Code du travail) impose une phase de concertation préalable avec les syndicats de salariés et d'employeurs pour tout projet de réforme émanant du gouvernement et concernant les relations de travail, et celle du 20 août 2008 réforme la représentativité syndicale. Mais l'initiative et la décision finale reviennent toujours à l'État, ce qui porte atteinte à l'autonomie des partenaires sociaux et en même temps à l'utilité des syndicats telle qu'elle est perçue par leurs éventuels adhérents. D'où un nombre d'adhérents aux syndicats particulièrement bas en France (7,5% des salariés en moyenne, 2,5% dans le privé, 19% dans le public), d'où un financement arrivant en majorité des caisses publiques et sociales et d'où, aussi, une culture de contestation systématique pour montrer ses forces.

"Le gouvernement et le Parlement seraient juridiquement liés par le contenu de conventions signées entre partenaires sociaux sur des sujets bien précis...", la déclaration du 16 juin 2011 du futur président de la République va dans le sens de l'autonomie des partenaires sociaux dans la mesure où la Constitution serait modifiée pour reconnaître un domaine exclusif à la négociation collective. S'il s'agit de responsabiliser les partenaires sociaux en les rendant autonomes, en dehors de l'action de l'État, à la manière de la Constitution allemande qui interdit à l'État d'intervenir dans les relations de travail, cette initiative ne peut qu'être approuvée.

On est cependant saisi d'un doute lorsqu'immédiatement après François Hollande poursuit ainsi : "C'est ainsi que je conçois la conférence sociale qui serait réunie au lendemain des scrutins de 2012. Elle serait saisie des priorités du quinquennat : l'emploi des jeunes, la mise en place d'un système de sécurisation des parcours professionnels national et territorial, la lutte contre la précarité, l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, la souffrance au travail, la lutte contre toutes les discriminations et une nouvelle gouvernance des entreprises."

La conférence sociale se tiendra effectivement les 9 et 10 juillet prochains mais sur un agenda et selon une méthode dictés entièrement par l'État. On peut ainsi à juste titre s'étonner que le sujet de la compétitivité ne soit pas prévu au menu. On peut aussi regretter, sur le volet réforme des retraites pour les carrières longues, que le 10 juillet n'ait pas été attendu pour le décret modifiant la législation et que le Conseil d'orientation des retraites (conseil associant des parlementaires, des représentants des partenaires sociaux, des experts et des représentants de l'État) n'ait pas été plus consulté. Ainsi, l'État dicte-t-il aux partenaires les sujets de la concertation avec pour objectif de mettre en œuvre les promesses de campagne.

On est vraiment loin de l'idée d'autonomie des partenaires sociaux, et encore plus d'une solution de compétence exclusive de ces derniers telle qu'elle existe en Allemagne. Encore très loin du fonctionnement à l'allemande dans lequel les syndicats de salariés et du patronat sont les seuls à pouvoir déterminer les règles relatives aux conditions de travail et aux rémunérations et peuvent même saisir le juge constitutionnel s'ils estiment que le législateur empiète sur leur domaine de compétence. Avec, dans l'hexagone, des partenaires sociaux responsabilisés, le sujet serait peut-être les 9 et 10 juillet prochains de créer les conditions les plus favorables à l'entrepreneuriat, de négocier le temps de travail par entreprise ou par branche ainsi que le (ou les) salaire(s) minimum. Alors oui, une modification de la loi ou de la Constitution sont à souhaiter, mais le contenu reste à préciser. Car, quand on centralise le dialogue social, on finit toujours par faire de la politique.

[(Cette tribune a été publiée sur Le Monde.fr le 12 juin 2012. Elle est cosignée par Agnès Verdier-Molinié et Bertrand Nouel, de la Fondation iFRAP. )]