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Les cadres vont être plus que jamais les vaches à lait de l’assurance-chômage

Voici venue la « réforme » de l’assurance-chômage. Il y a une certaine urgence. L’Unedic évalue à 1,9 milliard d’euros le déficit attendu en 2019. La dette de l’assurance-chômage, qui s’élevait à 35 milliards d’euros fin 2018, devrait atteindre 37,6 milliards en 2020. Le gouvernement avait d’abord renchéri le coût du système en donnant des droits au chômage sous condition aux démissionnaires et aux indépendants (qui n’en demandaient pas tant). Rappelons par ailleurs qu’il a supprimé les cotisations salariales pour le chômage, qui étaient de 2,4%, et les a remplacées par de la CSG. Et voilà que, aujourd’hui, le gouvernement entend rétablir les comptes de l’Unedic et annonce 3,7 milliards d’économies mais calculées sur deux ans.

L’exécutif cible avant tout les cadres. Or ce ne sont pas ces derniers qui creusent le déficit, bien au contraire. Ils cotisent même plus qu’ils ne perçoivent d’indemnités - contrairement aux intermittents du spectacle, aux intérimaires ou aux CDD. En 2017, le syndicat CFE-CGC estimait que les cotisations des cadres représentaient 42 % du total des cotisations alors qu’ils ne percevaient que 15 % des allocations. Malgré cela, le gouvernement impose une baisse de 30 % de l’indemnisation des cadres de moins de 57 ans percevant plus de 4 500 euros bruts à partir du 7e mois d’indemnisation (avec un plancher à 2 261 euros nets d’indemnisation). Une baisse qui concernera moins de 2 % des allocataires. Quid des cotisations employeurs et de la CSG payée par lesdits cadres? Le gouvernement ne compte pas les baisser. Pourtant, quand nos voisins européens plafonnent les droits au chômage, ils plafonnent aussi les cotisations qui vont avec.

Pour faire de vraies économies avec de la dégressivité sur les allocations chômage, il conviendrait de généraliser cette dégressivité à tous les demandeurs d’emploi. C’est le cas en Suède, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne, au Portugal et en Belgique, où le taux est dégressif dans le temps. La Cour des comptes proposait d’ailleurs de baisser les indemnités de 10 % au bout de 12 mois, ce qui engendrerait 700 millions d’économies, ou de 20 %, soit 1 milliard d’économies. C’est beaucoup plus que les économies attendues de la baisse des indemnités des cadres (environ 110 millions d’euros d’économies par an, autant dire rien). À cette mesure très regrettable d’affichage politique qui frappe les seuls cadres s’ajoutent cependant de bonnes décisions.

En premier lieu, au 1er avril 2020, le taux de remplacement sera encadré pour éviter la situation actuelle, à savoir qu’un demandeur d’emploi sur cinq perçoit, au chômage, un montant plus élevé que son dernier salaire. En effet, les indemnités chômage vont être calculées sur le revenu mensuel moyen du travail et non sur les seuls jours travaillés: le plancher sera égal à 65 % du salaire net mensuel moyen et le plafond à 100 % du salaire net mensuel moyen. Cette modification des règles de calcul doit mettre fin aux possibilités «de gagner davantage au chômage qu’en travaillant», plaident les pouvoirs publics. Pour l’instant, aucune donnée sur l’impact en économies de cette mesure n’a été avancée. À juste titre aussi, le gouvernement va modifier les modalités d’ouverture des droits et le versement. Il faudra avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois, et non plus 4 mois sur les 28 derniers mois comme aujourd’hui, pour ouvrir les droits au chômage. Quelque 2,8 milliards d’économies seraient attendues mais c’est en année pleine, et donc pas tout de suite, que les effets se feront sentir. Cette mesure est justifiée car la France était particulièrement généreuse en matière d’ouverture des droits au chômage.

En revanche, alors que moins de 9 % des demandeurs d’emploi retrouvent un emploi grâce à Pôle emploi, l’occasion de réaliser des économies sur le financement de Pôle emploi est une nouvelle fois manquée. L’enjeu demeure pourtant considérable: les cotisations du secteur privé qui financent Pôle emploi représentent plus de 3 milliards d’euros chaque année. Depuis 2009, les effectifs de Pôle emploi ont crû de 45.300 à 54.000 agents. Le réflexe des pouvoirs publics est toujours de relever les effectifs et d’augmenter les moyens. Une fois encore, le gouvernement souhaite recruter 1 000 nouveaux conseillers (soit un coût oscillant entre 30 et 40 millions d’euros) et former 3 000 «conseillers Pôle emploi à l’accompagnement» d’ici à l’été 2020. Un choix d’autant plus curieux que, pour accompagner les travailleurs précaires, le gouvernement semble avouer que Pôle emploi a atteint ses limites. Leur accompagnement sera en effet confié par Pôle emploi à des opérateurs privés. Pourquoi ne pas avoir été plus loin et ne pas avoir privatisé la mission de placement de tous les demandeurs d’emploi? En Australie, l’indemnisation des chômeurs et le suivi administratif des dossiers sont restés dans le giron public mais le placement des chômeurs a été attribué à des structures privées spécialisées et pour la plupart non lucratives.

Enfin, pour lutter contre l’enchaînement des CDD ou des missions d’intérim, un système de bonus-malus (faisant varier la cotisation employeur de 3 % à 5 % de la masse salariale) pour les entreprises de plus de 11 salariés sera mis en place «dans les sept secteurs où les entreprises abusent des contrats précaires». Mais pourquoi l’agroalimentaire et l’hôtellerie-restauration sont-ils concernés tandis que le médico-social, un des secteurs les plus consommateurs de contrats très courts, est maintenu à l’écart de ce dispositif de bonus-malus? Serait-ce parce que le médico-social est financé par des fonds et des subventions publics et que les gestionnaires publics ne veulent pas s’appliquer à eux-mêmes les contraintes qu’ils imposent au secteur privé et refusent de grever leurs finances? Faut-il rappeler qu’il y a plus de CDD en proportion dans le secteur public (17 %) que dans le secteur privé (8 %)? Nous sommes là face à une rupture d’égalité. Et qui va calculer le taux employeur auquel les entreprises des sept secteurs concernés vont être soumises?

La Fondation iFrap avait chiffré à 4 milliards les économies possibles sur les dépenses de chômage en calculant le taux d’indemnisation, non plus sur le salaire brut, mais sur le salaire net. Une réforme efficace et équitable pour tous conservant un taux de remplacement haut entre 70 %, pour les plus faibles rémunérations, et 50 %, pour les plus hautes rémunérations. Regrettons que cette solution simple n’ait pas été choisie par le gouvernement.

Cette tribune a été publiée dans le journal Le Figaro, le jeudi 20 juin 2019.