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Le revenu universel d’activité ne sera pas un revenu universel

... mais bien une allocation sociale unique

En promettant la mise en place d’un guichet social unique et de verser toutes les allocations sociales le même jour, Emmanuel Macron faisait un premier (timide) pas vers une modernisation de notre système d’allocation. Deux ans plus tard, après avoir parlé du « pognon de dingue » que la France dépense en aides sociales et du « maquis opaque » que représentent les minimas sociaux, Emmanuel Macron et son gouvernement viennent finalement d’ouvrir une grande concertation, jusqu’à fin 2019, pour la mise en place d’un revenu universel d’activité. Une dénomination qui peut dire tout et son contraire.

Flashback

Petit retour en arrière, en 2017, Benoit Hamon proposait de mettre en place un revenu universel d’existence pour tous les jeunes de 18 à 25 ans quel que soit leur niveau de ressources. L’objectif à long terme du candidat était que ce revenu soit versé à tous pour devenir un revenu universel. En face de lui, lors des primaires du PS, Manuel Valls opposait l’idée d’un minimum décent qui fusionnerait une dizaine de minima sociaux, serait versé sous condition de ressources et ce, dès 18 ans. Le débat entre ces deux idées radicalement opposées monte depuis plusieurs années : veut-on aller vers une société "post travail" avec une prise en charge financière par le versement d'un revenu de base au citoyen, de sa majorité à sa retraite ou vers une société "du travail" avec une simpification du versement des aides afin de valoriser l'apport financier de l'emploi ? Des expérimentations d'un revenu de base sont réalisées localement dans le monde, alors que le Royaume-Uni , lui, a déjà mis en place un "crédit universel", issu de la fusion des aides sociales.

Pourquoi ce rappel ? Parce que si le gouvernement parle bien aujourd’hui de mettre en place un « revenu universel d’activité » (RUA), son projet apparait plus proche de l’idée de Manuel Valls et revient à la mise en place d’une sorte d’allocation unique, issue de la fusion de certaines prestations. 

Un projet encore à trous

Le gouvernement a déjà présenté les grandes lignes du revenu universel d’activité qu'il souhaite instaurer. Les objectifs sont de mieux contrôler le versement des prestations, de valoriser l'apport financier du travail et de simplifier la gestion de notre modèle social. Après la concertation, un projet de loi devrait être présenté pour janvier 2020 pour une mise en effectivité en 2023 au plus tard.

Le revenu universel d’activité devrait être issu de la fusion de trois prestations : le RSA, la prime d’activité et les APL pour une dépense actuelle de 23 milliards d’euros. La concertation doit délibérer sur le périmètre élargi que ce revenu pourra prendre : notamment, devra-t-il inclure les prestations en faveur du handicap et de la dépendance (AAH, ASS, ASPA, etc.) et doit-il être étendu aux 18-25 ans ? 

  • Par exemple, dans un projet similaire, la Fondation iFRAP proposait de mettre en place une allocation sociale unique issue de la fusion de toutes les prestations non contributives et/ou délivrées sous conditions de ressources, soit une dépense actuelle de 105 milliards d’euros.

Pour l’instant, aucune indication n’a été donnée sur l’impact de la fusion des prestations du côté du back-office et de l’administration. Il serait inconcevable de la part du gouvernement de ne proposer qu’une simplification de façade : une modernisation de la gestion devra avoir lieu en parallèle de la fusion et ce, avec des économies à la clef.  Il est notamment possible d’économiser 1 milliard d’euros en ramenant les frais de gestion des minimas sociaux dans la moyenne européenne. Une somme plus que nécessaire alors que le gouvernement a déjà annoncé sa volonté de mettre en place le revenu universel d’activité à "budget constant" tout en luttant contre le non recours (35% des bénéficiaires potentiels du RSA et 25% pour les APL).

  • En termes de simplification du back-office, la Fondation iFRAP proposait de fusionner les caisses et guichets sociaux au niveau de la région dans une caisse unique, relayée au niveau local par des centres communaux de protection sociale. A long terme, c’est un guichet numérique géré par l’administration fiscale qu’il faut viser. Chaque bénéficiaire devra renseigner son numéro de Sécurité sociale, son RIB, son adresse, ses revenus mensuels et la composition de son foyer. L’allocation sociale unique pourra alors être versée automatiquement (ou transformée en crédit d’impôt) selon la situation de chaque foyer, mettant ainsi fin au non recours et limitant de façon drastique les fraudes.

Enfin, le gouvernement souhaite lier revenu universel d’activité et retour à l’emploi. Le revenu universel d’activité devrait intégrer un nouveau "service public de l’insertion" géré par l’Etat (un service indépendant ou pas de Pôle Emploi, la question reste floue) et un bénéficiaire qui refuserait plus de deux offres raisonnables d’emploi se verrait suspendre son revenu universel. Une règle qui fait penser au système allemand pour le chômage de longue durée : au bout de 12 mois, le demandeur d'emploi quitterait le régime de l'assurance chômage et passerait dans le régime de l'assistance, (Arbeitslosengeld II). Il toucherait alors un minima social d'environ 400 euros par mois mais dont le versement serait toujours soumis aux règles des Job centers (avec obligation de présentation aux rdv et recherche active d’emploi).

Consulter le projet de réforme, de la Fondation iFRAP, pour une allocation sociale unique :

Des enjeux de taille

Le projet initial du gouvernement et son périmètre de 23 milliards d’euros n’est qu’une goutte sur les 714 milliards d’euros de prestations sociales que la France a dépensés en 2016. Et depuis 2012, cette somme a augmenté de 57 milliards d’euros. En 2016, ont été dépensés :

  • 325 milliards de prestations vieillesse et survie ;
  • 210 milliards de prestations santé ;
  • 54 milliards de prestations famille (dont 20 milliards d’allocations familiales) ;
  • 44 milliards de prestations emploi (dont 35 milliards d’allocations-chômage) ;
  • 22 milliards de prestations pauvreté-exclusion sociale (dont 11 milliards de RSA et 4 milliards de primes d’activité) ;
  • 18 milliards de prestations logement (dont 8,4 milliards d’euros d’APL).

Environ 105 milliards d’euros de ces prestations sont des aides non contributives et/ou délivrées sous conditions de ressources : on y compte tous les minimas sociaux mais aussi les prestations pour l’invalidité, l’APA, le minimum vieillesse, la branche famille (hors allocations familiales), la branche logement et la branche pauvreté-exclusion sociale. C’est sur ce périmètre que la Fondation iFRAP propose de baser la fusion des allocations, soit 1/7ème des dépenses totales.

Pour rendre le modèle social français pérenne, la réforme du revenu universel d’activité devra répondre à plusieurs problématiques :

L’insoutenable poids des dépenses 

  • Les dépenses sociales représentent 31,2 % de notre PIB : un record au niveau de l’OCDE dont la dépense moyenne est de 20,1% ;
  • Le coût de distribution des aides qui explose aussi : 42 milliards d’euros de frais de gestion, c’est 6% du total des prestations quand la moyenne de la zone euro est à 3% pour cette même mission.

La complexité et l’opacité du système 

  • On compte plus de 200 aides et prestations différentes répondant à 80 modes de calcul différents. La dégressivité des aides, lorsque le bénéficiaire renoue avec un emploi, n’est d’ailleurs pas la même et il n’est pas possible de prévoir l’impact financier d’un retour au travail ;
  • On compte ensuite 330 caisses différentes et ces caisses peuvent elles-mêmes avoir plusieurs guichets : l’annuaire des services publics recense près de 5.000 points de contact dont 928 CAF et 395 « point info famille » ;
  • Enfin, les données de notre protection sociale sont aujourd’hui volontairement opaques : il n’est pas possible de savoir combien rapporte le cumul des aides et des prestations sociales au maximum. Ces données sont introuvables et même le Parlement n’y a pas accès alors qu’il vote les budgets sociaux.

La proposition de la Fondation iFRAP : une allocation sociale unique

La Fondation iFRAP propose de fusionner les guichets et les 47 prestations non contributives dont la Paje, le complément familial, l’allocation de rentrée scolaire, les allocations en faveur de l’enfant et de l’adulte handicapé, les allocations logement, les allocations au titre du minimum vieillesse, l’aide au retour à l’emploi formation, l’allocation supplémentaire de reclassement, les aides locales des départements comme les aides à domicile - APA, PCH, ACTP- et l’accueil familial. Cela aboutira à une allocation sociale unique : l'ASU. Les retraites, les allocations-chômage, les prestations de santé ne seront pas concernées par cette réforme.

L’allocation sociale unique sera soumise à un plafond de cumul des aides fixé à 100% du Smic en 2022 et à 90% en 2027 ainsi qu' à l’impôt. Cela dans une logique un euro perçu au titre de la solidarité est égal, aux yeux de l’État, à un euro perçu du travail. Avoir intérêt à déclarer ses revenus et à travailler doit redevenir la norme pour l’intérêt général et assurer à tous, que travailler rapporte toujours plus que le cumul des revenus issus de la solidarité.

La mise en place d’une allocation sociale unique demandera également une fusion des guichets et différentes caisses d’action sociale des branches Logement, Pauvreté et Famille. Dans un premier temps, il faudra créer au niveau des régions, une caisse régionale de l’ASU, issue de la fusion des services des Caf, des services de l’État et des départements qui cogèrent le RSA avec les Caf, des services des départements qui gèrent l’action sociale (FSL, RSA, etc.) et des équipes et services de la branche maladie qui gèrent les aides à l’acquisition d’une mutuelle ou encore les tarifs énergie.

Cet organisme unique pourra être accompagné, au niveau local, par les centres communaux d’action sociale devenus centres communaux de protection sociale. Parallèlement, c’est l’informatisation du système qu’il va falloir organiser avec un guichet numérique pour chaque foyer où le bénéficiaire principal devra renseigner : son numéro de Sécurité sociale, son RIB, son adresse, ses revenus mensuels et la composition de son foyer. À terme, ce sera à l’administration fiscale de collecter les renseignements utilisés pour déterminer la somme d’ASU à verser. Cela suppose que tout allocataire potentiel devra, pour bénéficier de l’ASU, être recensé dans un foyer fiscal, qu’il bénéficie de revenus ou pas. Enfin, le fait que les services fiscaux prennent en charge l’ASU permettra de mettre fin aux fraudes de façon drastique.