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Revenu d’existence, revenu universel ou minimum décent (ou allocation sociale unique) ?

Jamais la question des allocations sociales n’aura été autant au centre d’une élection présidentielle ou, en tout cas, avec des propositions aussi poussées que clivantes. Cette semaine, il semble que le second tour de la primaire de la gauche va se jouer sur une question presque philosophique : vers quelle société les électeurs de gauche veulent-ils aller ? Une société du « post travail », où l’Etat nous prend en charge de la majorité à la retraite ou une société du travail ? En cause, les programmes très différents de Benoît Hamon (avec le revenu d’existence et le revenu universel à long terme) et de Manuel Valls (avec un minimum décent… qui ressemble à s’y méprendre à une allocation sociale unique).

Un débat plus philosophique que réaliste, alors que les dépenses sociales, en France, n’ont jamais été aussi élevées (plus de 33% du PIB pour plus de 700 milliards d’euros), les deux finalistes de la primaire de la gauche proposent d’en remettre une couche : de 100 à 300 milliards d’euros en plus pour Benoît Hamon, 30 milliards en plus pour Manuel Valls. Pourtant des économies sur notre système social sont possibles, près de 10 milliards d’euros selon la Fondation iFRAP. 

Benoît Hamon : première étape, le revenu d’existence pour tous les jeunes

C’est la grande idée du programme de Benoît Hamon qui se fixe (comme objectif à long terme) le versement d’un revenu universel d’existence. Cette proposition phare a évolué lors de la campagne. Le candidat a d'abord proposé de créer un revenu universel d'existence en 3 étapes : en 2017, le RSA sera augmenté de 10% à hauteur de 600 euros. Il sera versé automatiquement à tous les ayants-droit ainsi qu’à tous les jeunes de 18 à 25 ans quel que soit leur niveau de ressources (revenu d'existence). Ce revenu sera ensuite étendu à l’ensemble de la population (revenu universel). A terme, il atteindra la somme de 750 euros. Mais cette proposition a officiellement changé le 17 janvier 2017 (d'abord sur le site internet du candidat, puis lors d'un discours) et Benoît Hamon ne propose plus désormais de mettre en place un revenu universel lors du quinquennat 2017-2022, le coût d'un telle mesure a d'ailleurs été vivement critiqué avec plus de 300 milliards d'euros de dépenses (soit presque l’intégralité du budget de l’Etat) que le candidat voulait gager par une nouvelle taxe sur les entreprises, une taxe sur les robots.

Aujourd'hui, le candidat propose que, dès 2018, le RSA soit augmenté de 10% à hauteur de 600 euros et versé automatiquement à tous les ayants-droit (soit environ 65 milliards d’euros de dépenses nouvelles). La même année, un revenu d'existence sera versé à tous les jeunes de 18 à 25 ans quel que soit leur niveau de ressources (soit environ 45 milliards d’euros de dépenses nouvelles). Vraisemblablement, la nouvelle proposition de Benoit Hamon coûterait 110 milliards d’euros par an, qu’il souhaite gager par une individualisation de l’impôt sur le revenu, la suppression d’un certain nombre de niches fiscales et la lutte contre la fraude fiscale. Pour passer du revenu d’existence pour les moins de 25 ans à un revenu universel, Benoit Hamon propose de tenir pendant le quinquennat, une grande conférence citoyenne qui permettra de fixer le périmètre du revenu universel (montant, financement, articulation avec les autres allocations sociales, calendrier de mise en œuvre).

Enfin il y a une vraie incertitude sur le périmètre de ce revenu d’existence pour les jeunes et revenu universel : intègrent-ils les différentes allocations actuelles ? Fusionnent-ils les minimas sociaux ? On ne trouve pas de réponse claire dans le programme du candidat, hormis le fait qu’il propose aussi une revalorisation de 10% de tous les minimas sociaux (soit une dépense nouvelle de 9,5 milliards d’euros par an). Cela laisse à penser, que la réforme de Benoit Hamon vise bien le cumul des aides : revenus minimas, allocations sociales avec les revenus d’existence (et le revenu universel à terme).

Le revenu universel comme horizon pour Benoit Hamon : une utopie

Le revenu universel comme objectif, Benoit Hamon est bien le seul à le défendre parmi les candidats (aux primaires comme aux élections présidentielles) puisque cette réforme est décriée à sa droite et… à sa gauche : ni le NPA (nouveau parti anticapitaliste), ni Jean-Luc Mélenchon ne le rejoignent. Jean-Luc Mélenchon explique y voir une « trappe à pauvreté […] qui permet au patron de dire à son employé : ‘Je te paye moins, car tu touches ton revenu minimum’ ». C’est vrai puisque les conséquences de la mise en place d’un revenu d’existence puis d’un revenu universel risquent d’être désastreuses pour le marché du travail et soulève plusieurs critiques :

  • Le versement d’un revenu d’existence pour tous les jeunes 18-25 ans va avoir plusieurs conséquences : une explosion des loyers des logements à destination des étudiants (voire une augmentation des prix de l’immobilier puisque tous les jeunes auront désormais accès à une cagnotte de plus de 60.000 euros en 8 ans), potentiellement une augmentation des coûts de l’enseignement supérieur, un terrible effet de seuil au passage à 26 ans, une désincitation à entrer dans la vie active, une déresponsabilisation générale (aussi bien pour les jeunes, que pour les parents), etc. ;
  • Le financement est flou : Benoit Hamon espérait financer son revenu universel par une « taxe robot », maintenant il explique vouloir renflouer les caisses de l’Etat de près de 25 milliards par une individualisation de l’impôt sur le revenu (mais aussi supprimer les niches fiscales et lutter contre la fraude). Benoit Hamon compte ainsi augmenter la fiscalité des ménages. Une solution ubuesque alors que les foyers français font déjà partie des plus taxés d’Europe mais aussi une solution qui revient à prendre d’une main ce que l’Etat redistribuera ensuite puisque le revenu d’existence de Benoit Hamon, comme sa proposition de revenu universel, ne sont pas versés sous condition de ressources.

C’est ce que dénonce Manuel Valls depuis dimanche qui cherche à marquer sa distinction avec son programme « social » mais valorisant le travail. Un discours qu’il a parfois du mal à synthétiser puisque, rappelons-le, Manuel Valls s’était positionné en faveur d’un revenu d’existence pour les jeunes de 18-25 ans avant d’entrer en campagne.

Manuel Valls : une allocation sociale unique qui ne s’assume pas

​Au revenu d’existence ou au revenu universel de Benoit Hamon, Manuel Valls oppose un minimum décent. Une appellation qui recouvre un projet de réforme des allocations sociales qui ressemble de très près à une allocation sociale unique. En effet, le candidat propose de fusionner une dizaine de minima sociaux « afin de permettre à toute personne dépourvue de ressources de mener une vie décente ». Ce minimum sera donc versé sous condition de ressources (d’un niveau qui n’est pas encore connu) et pour « toute personne âgée de plus de 18 ans et résidant régulièrement sur le territoire national ».

Quant au montant : « Ce minimum décent peut aller jusqu'à 800-850 euros » pour un coût évalué à 30 milliards d'euros jusqu’à récemment par Manuel Valls (depuis plus aucune mention du coût de cette mesure n’est trouvable sur le site du candidat).

Une proposition qui fait écho à ce que les candidats de la primaire de la droite, et Arnaud Montebourg, appelait « allocation sociale unique » avec des périmètres plus ou moins larges et des coûts différents.

Si la fusion des allocations sociales est une bonne idée, il faut regretter sur Manuel Valls n’aille (pour l’instant) pas au bout du projet. Aujourd’hui, on compte en France, plus de 100 aides différentes et presque autant de modes de calcul, ce qui rend notre système social incompréhensible pour les usagers (d’où un taux de non recours qui augmente) et trop complexe à gérer pour nos administrations. La Fondation iFRAP estime qu’on peut fusionner 47 aides sociales sous conditions de ressource pour un périmètre de 95 milliards d’euros. Mais il n’y a pas que les allocations qu’il faut fusionner, il y a aussi les 330 caisses et guichets différents qui s’en chargent. Aujourd’hui, les montants des aides sont souvent calculés par un organisme… mais versés pour le compte d’une autre entité. Ceci entraîne des échanges fastidieux d’informations et de flux financiers entre les organismes qui enflent d’année en année (213 milliards d’euros en 2013). Notre intérêt commun est d’économiser à la fois sur les montants versés, en limitant le cumul des aides qui n’est pas plafonné aujourd’hui, et les coûts de gestion. Il y a donc des marges d’économies, issues d’une meilleure gestion de notre protection sociale, à tirer : la Fondation iFRAP les estime à 10 milliards d’euros.  

La proposition de la Fondation iFRAP (voir notre dossier complet sur le sujet).

  1. Unifier, plafonner et fiscaliser les aides sociales. En fusionnant les allocations famille, les allocations en faveur de l’enfant et de l’adulte handicapé, les allocations logement, les primes exceptionnelles accordées par l’État et les frais de tutelle (frais de mandataires judiciaires, volets enfant et adulte), les allocations au titre du minimum vieillesse, les prestations en faveur du retour à l’emploi non financées par des cotisations et les aides locales des départements (aides à domicile, APA, PCH, ACTP, l’accueil familial, etc.) dans une allocation sociale unique, plafonnée à 2.500 euros de cumul de revenus du travail et de prestations. Il faudrait alors retenir un principe d’individualisation des prestations prenant en compte la composition du foyer réel et harmoniser les critères d’attribution ;
  2. Cette allocation serait fiscalisée en suivant le principe qu’un euro de la solidarité nationale doit être imposé de la même manière qu’un euro de revenu issu du travail. Cette fiscalisation doit se faire parallèlement à un relèvement du plafond du quotient familial à 3.000 euros par demi-part (contre 1.500 euros aujourd'hui) et par la mise en place de la perte des demi-parts lorsque les enfants cessent d’être rattachés au foyer fiscal (ainsi le départ de l’aîné représentera une perte d’une demi-part pour ses parents et ainsi de suite pour les familles nombreuses à partir de trois enfants), ainsi que par l’intégration dans le revenu imposable de la valorisation monétaire des prestations connexes, dont l’attribution devrait être déclarée par l’organisme prescripteur au bénéficiaire et aux services fiscaux (tarifs bonifiés de cantine, prise en charge de tout ou partie du titre de transport, etc.) ;
  3. Cette allocation unique fonctionnerait comme un crédit d'impôt pour les foyers imposables selon l'idée qu'il ne sert à rien de prélever une partie des revenus, pour la rendre sous forme d’allocation ensuite, les coûts de distribution en sus. Pour les foyers non imposables, le calcul et le versement seront automatiques.