La Cour des comptes démystifie les logements vacants comme solution à la crise du logement

La lutte contre la vacance des logements est un enjeu souvent avancé pour répondre à la crise du logement. La Cour des comptes avec son rapport sur la lutte contre les logements vacants dans le parc privé rétablit quelques vérités sur le sujet : oui, la vacance structurelle a bel et bien progressé (dans les zones tendues, en 2022, seulement 1,5 % des logements étaient vacants depuis plus de deux ans, pour un volume total de 118 330 logements concernés (soit moins de 10% du total des logements vacants), mais elle concerne essentiellement les zones détendues et des logements souvent inadaptés par rapport aux attentes du marché. Loin de l’image de trésors cachés aisément mobilisables pour lutter contre le mal logement, les logements vacants nécessiteraient de lourds travaux que les propriétaires ne sont pas forcément en mesure de financer, ni même avec des aides publiques, surtout dans le contexte budgétaire actuel. La fiscalité sur les logements vacants n’a pas non plus fait la preuve de son efficacité. Taxer les logements vacants n'est pas la solution et rapporte peu. En revanche, mettre en place une déductibilité de tous les travaux effectués de la taxe foncière pourrait peut-être faire baisser le taux de vacance dans les zones tendues et détendues.
Réquisition des logements vacants : une menace souvent brandie...Souvenons-nous en 2012, la ministre du Logement, Cécile Duflot, indiquait qu’elle réquisitionnerait « si nécessaire » des logements vacants pour accueillir sans-abri et mal-logés. Ce processus "fait partie de la panoplie" des moyens disponibles, a-t-elle précisé. Plus récemment (novembre 2024), le groupe communiste au Sénat a déposé une proposition de loi pour rendre effective la réquisition des logements vides depuis un certain temps. De même, Emmanuel Grégoire, ancien adjoint à la maire de Paris et candidat à sa succession, a-t-il proposé de donner aux collectivités la possibilité de réquisitionner des logements en zone tendue. Il en compte 120 000 à Paris, ce qui est nettement surestimé par rapport aux chiffres de la Cour des comptes. Souvent citée en exemple, la réquisition de logements vacants par Jacques Chirac en 1995 n’avait concerné qu’environ un millier de logements sur l’Île-de-France, essentiellement de bureaux. Réquisitionnés pendant 5 ans, ils ont été rendus à leurs propriétaires et ont fait l’objet d’une indemnité d’environ 80 000 € à l’époque. |
D’abord la définition : de quelle vacance parle-t-on ?
Selon la définition de l'INSEE, un logement vacant est un logement inoccupé, répondant à l’une des situations suivantes :
- Il est proposé à la vente ou à la location ;
- Il a déjà été attribué à un futur occupant (acheteur ou locataire), mais n’est pas encore habité ;
- Il est en attente de succession (dans le cadre d’un héritage non encore réglé) ;
- Il est réservé par un employeur pour loger ultérieurement un salarié ;
- Il est délibérément laissé vide par son propriétaire, sans usage défini — par exemple, s’il est vétuste ou inhabitable.
Les chiffres de la vacance recouvrent des réalités multiples. La Cour rappelle qu’il faut distinguer la vacance dite « frictionnelle » qui résulte du fonctionnement du marché immobilier et correspond à la période durant laquelle un bien reste en vente ou disponible à la location en attente d’un nouvel occupant. La vacance « structurelle » concerne les biens qui restent inoccupés pendant une période prolongée (a minima un ou deux ans). Cette vacance reflète une inadéquation du logement aux attentes du marché (localisation peu attractive, dévalorisation, ancienneté voire insalubrité, déprise démographique).
Selon la vacance que l’on retient, le potentiel de logements qu’il est possible de mobiliser pour lutter contre la crise du logement n’est pas du même ordre de grandeur. Ainsi, si l’on entend souvent parler de 3 millions de logements vacants, la vérité est qu’il y en a seulement 1,2 million qui l’est depuis plus de deux ans, soit moins de la moitié.
On peut s’étonner que la vacance frictionnelle soit aussi importante, mais plusieurs explications sont possibles : augmentation des taux qui ont allongé les délais de recherche et de demandes de prêts, poids des normes notamment DPE qui obligent à des travaux de rénovation énergétique avant remises en location …
Où se situent les logements vacants ?
Le rapport de la Cour souligne aussi que tous les territoires ne sont pas touchés de la même façon. Et là encore c’est une illusion qui se dissipe : la vacance structurelle est maximale dans les départements d’outre-mer (10,4 % en Guadeloupe, 9,3 % en Guyane, 8,3 % en Martinique) et dans les départements ruraux de l’Hexagone (10,6 % en Creuse, 8,8 % dans la Nièvre, 8,5 % dans la Meuse). En revanche, dans les zones tendues, en 2022, seulement 1,5 % des logements étaient vacants depuis plus de deux ans, pour un volume total de 118 330 logements concernés (soit moins de 10% du total des logements vacants).
Par exemple, à Paris, si 128 000 logements sont considérés comme vacants, ce ne sont que 18 600 (soit 1,3 % du parc privé) qui le sont depuis plus de deux ans. On dénombre par ailleurs plus de 134 000 résidences secondaires, 47 500 logements occasionnels (double résidence notamment) et 55 000 annonces de locations hors chambres d’hôtel sur la plateforme Airbnb. La vacance durable ne représente ainsi que 7 % de l’ensemble des logements « sous-occupés » parisiens.
Logements vacants : quelles caractéristiques ?
Autre information intéressante que met à jour la Cour: 70 % de la vacance de longue durée serait déterminée par la géographie, les caractéristiques du logement ou la situation spécifique des propriétaires.
Toutes choses égales par ailleurs :
- La qualité et le confort du logement, notamment une construction ancienne et une petite surface, jouent un rôle majeur sur sa probabilité de vacance : 45 % de la vacance durable relèverait ainsi d’une forme d’obsolescence des logements.
- Les déterminants géographiques sont également une cause significative de vacance structurelle : 42 % des logements vacants depuis plus d’un an se caractérisent par leur localisation dans un bassin de vie à faible tension immobilière, par leur proximité à des lieux de nuisance ou leur situation aux abords des centralités commerciales ou historiques (à l’exception des grandes agglomérations).
- Les situations de transmission patrimoniale sont aussi un facteur significatif de risque de vacance (succession, EHPAD, hôpital …) : une situation qui concernerait 20% des logements vacants.
Si la Cour en conclut que « la diversité des situations répond à des problématiques contrastées selon les territoires », on peut surtout retenir que 90% de la vacance structurelle est située en zones détendues, dont l’essentiel est lié à des territoires en déprise démographique, une implantation défavorable ou une situation patrimoniale dégradée. Ainsi, on est loin de l’image des trésors cachés qu’il serait possible de mobiliser pour lutter contre la crise du logement.
Quelle réponse des pouvoirs publics ?
En zone tendue, la réponse des pouvoirs publics est en deux temps : en pénalisant la vacance par la fiscalité et en incitant les propriétaires à mettre en location en leur offrant des avantages fiscaux.
Du côté de la fiscalité, il existe deux taxes susceptibles de faire bouger les propriétaires, la taxe sur les logements vacants (TLV) et la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV). La TLV s’applique aux logements laissés inoccupés dans les zones où la demande en logements dépasse largement l’offre. La loi de finances pour 2023 a élargi son champ d’application, pour l’étendre à un plus grand nombre de communes (de 1 138 à 3 697). La recette est affectée à l’État. La THLV dépend des communes, lorsque la TLV ne s'applique pas sur leur territoire. La THLV cible les logements inoccupés depuis plus de deux ans.
Il existe de nombreuses frictions dans l’application de la TLV et la THLV, mais aussi avec les zones ABC qui caractérisent les dispositifs d’encouragement à l’investissement locatif : « Il existe ainsi 114 communes classées en zone A, mais hors du zonage TLV ». Il existe aussi des frictions avec la taxe d’habitation sur les résidences secondaires qui peuvent amener les propriétaires à arbitrer entre logements déclarés vacants ou en résidences secondaires.
Mais ce que l’on retient surtout du rapport de la Cour est que la fiscalité ne marche pas à remettre sur le marché les logements vacants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis, 2014, la DGFIP a enregistré une hausse du nombre de logements assujettis à la TLV et à la THLV passant de 387 000 à près de 810 000 et des recettes qui sont passées de 80 M€ en 2014 à 271 M€ en 2023 pour la TLV (il faut toutefois tenir compte des dégrèvements du fait de vacance involontaire exonérée de TLV qui restent importants : 95 M€ en 2022 sur 201 M€ mis en recouvrement) et de 36 M€ en 2014 à 107 M€ en 2023 pour la THLV.
Malgré cela, ces taxes n'ont pas d’effet significatif puisque le nombre de logements vacants a continuellement progressé : depuis 1990, le nombre de logements vacants toutes causes confondues a augmenté de près de 60 % (soit + 1,2 million de logements vacants) et cette hausse a été particulièrement marquée au cours de la période récente, atteignant + 47,3 % entre 2005 et 2017. Selon les inspections générales des finances (IGF), de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et des administrations (IGA) qui ont conduit deux missions, les effets incitatifs de la TLV et de la THLV sur la remise sur le marché des logements vacants ne sont pas démontrés.
Côté avantages fiscaux, la Cour décrit deux dispositifs, « loc’avantages » et l’intermédiation locative, qui sont censés encourager les propriétaires à mettre en location avec un avantage fiscal à la clé. Ces avantages sont toutefois soumis à une obligation de conventionnement avec l’Anah, ce qui signifie respecter un loyer plafond pour un ménage sous critères de ressources. L’avantage fiscal est une déduction fiscale sur les loyers, renforcé en cas d’intermédiation locative, dispositif permettant de sécuriser la relation entre le locataire et le bailleur grâce à l’intervention d’un tiers (opérateur, organisme agréé ou association). L’avantage fiscal est variable selon l’effort consenti sur le loyer par rapport au prix du marché calculé à l’échelon local. Cette nouvelle formule de loc’ avantages qui concentre l’avantage fiscal dans une perspective de "rationalisation de la dépense fiscale" dit la Cour, ne montre pourtant pas d’effet notable : le nombre de conventionnements enregistre une forte baisse (de 150 000 logements en 2017 à 100 000 logements en 2022).
En zone détendue qui concentre l’essentiel de la problématique du logement vacant, l’enjeu porte le plus souvent sur la revalorisation du patrimoine : les plans « action cœur de ville » (2018) et « petites villes de demain » (2020) prennent en compte l’enjeu de la vacance. « Pour autant, en termes de lutte contre la vacance structurelle, il semble que ces dispositifs n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité », dit poliment la Cour. Et pour cause, dans ces cas précis, les enjeux de réhabilitation ou de rénovation des logements sont entre les mains des propriétaires, mais peuvent rapidement se montrer très onéreux, d’autant plus avec les contraintes énergétiques croissantes de type DPE. Même les aides prévues par l’ANAH pour les propriétaires occupants ou les propriétaires bailleurs sont bien en peine de compenser la faible rentabilité de l’investissement (que ce soit sur les revenus locatifs ou les perspectives de PV à la revente). Les contraintes mises en œuvre par la loi Zéro Artificialisation Nette rendront peut-être les politiques de rénovation plus attractives, mais les nouvelles primes de « sortie de la vacance » telle que celle instaurée en 2024, d’un montant de 5 000 € par logement, sont loin de couvrir le coût global d’une rénovation.
Comme le souligne la Cour, la remise sur le marché immobilier des biens ne devrait pas être retenue comme une issue systématique à la vacance. Des solutions plus adaptées peuvent passer par la démolition ou la transformation du bâti pour accueillir des commerces ou des services à la population. Mais là encore, il faut prévoir d’indemniser les propriétaires avec un impact sur les finances publiques (locales ou nationales).
Conclusion
Pour la Cour, si les logements vacants peuvent constituer un gisement potentiellement disponible, « il convient néanmoins d’en relativiser l’enjeu ». Ils ne doivent pas être considérés comme la principale ressource permettant de baisser la tension sur l’accès au logement comme à Paris ou dans les grandes métropoles. De plus la Cour montre bien que les actions publiques entreprises « peinent à donner des résultats probants ». La Cour appelle de ses vœux une plus une plus forte différenciation des politiques publiques, et notamment par une meilleure prise en compte des expérimentations locales. Ce sont principalement les collectivités, par les outils d’urbanisme et d’aménagement, par leur rapport direct et facilité aux propriétaires et par leur marge de manœuvre fiscale qui pourront agir le plus efficacement. Dans ce domaine, il ne serait pas inutile, a priori, que la mobilisation de l’État passe davantage à l’avenir par des partenariats avec les acteurs locaux. Un appel à la décentralisation des politiques de logement que la Fondation IFRAP a régulièrement émis. Une incitation supplémentaire dans les zones détendues pourrait prendre la forme d’une exonération de taxe foncière pour les propriétaires qui entreprennent de travaux. Il faudrait pour cela étendre le dispositif actuel qui ne couvre que les travaux de rénovation énergétique.
Les sources d’informations statistiquesLa Cour des comptes fait le point sur les sources statistiques qui permettent de dénombrer les logements vacants. Il existe principalement deux sources : d’une part, le recensement général de la population effectué par l’Insee, et d’autre part les données issues des déclarations fiscales. Ces deux sources s’appuient sur des critères différents pour définir la vacance. Si un logement vacant est, par nature, un logement inoccupé, il existe, selon l’Insee, plusieurs types d’inoccupation : un bien en attente d’un acheteur ou d’un locataire, un bien en attente de règlement de succession, un bien conservé par un employeur pour un usage futur au profit d’un de ses employés, ou encore un bien conservé vacant sans affectation précise par son propriétaire. D’un point de vue fiscal, un logement inoccupé au 1er janvier est considéré comme vacant dès qu’il est vide de meubles et n’est pas déclaré comme une résidence secondaire. Les données fiscales étaient actualisées annuellement à partir des déclarations collectées auprès des propriétaires, historiquement, via la déclaration d’occupation des logements au titre de la taxe d’habitation, et depuis 2023, via le dispositif dénommé « gérer mes biens immobiliers » (GMBI). Cette application développée par la DGFIP a connu de nombreuses difficultés qui ont entrainé des pertes d’informations par rapport à la situation antérieure avec déclaration de la taxe d’habitation. Une base de données spécifiquement consacrée à la vacance, le fichier Lovac, a été constituée tirée des sources fiscales qui doit permettre d’aider les collectivités à identifier et à suivre les logements vacants. D’autre part, Zéro Logements Vacants (ZLV), une solution numérique alimentée par le fichier Lovac, permettant de visualiser facilement la vacance sur un territoire et d’organiser la prise de contact avec les propriétaires des logements. Si les acteurs de terrain interrogés par la Cour ont réservé un accueil positif à ces nouveaux outils, ces applications souffrent des défauts des bases de données qui les alimentent. La communauté d’agglomération de Saint Brieuc Armor a par exemple contacté 270 propriétaires de logements identifiés dans Lovac comme étant vacants depuis plus de 2 ans mais seulement 74 se sont avérés l’être effectivement : 65 étaient sortis de vacance, 67 n’avaient jamais été vacants, et les autres cas recouvraient des situations diverses (logement démoli ou qui n’est pas un local à usage d’habitation, résidence secondaire…). Dans l’ensemble, les remontées de terrain permettent d’estimer qu’environ 25 % des logements réputés vacants dans la base ne le sont pas (ou plus). S’agissant de ZLV, l’ambition est de faciliter le repérage des logements vacants et la prise de contact directe avec les propriétaires et le croisement avec d’autres bases de données (étiquettes énergétiques, lutte contre le mal-logement,…). |