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Hôpital : faire sauter les tabous

Cette semaine a sonné le coup d’envoi du « Ségur de la santé ». Cette concertation devra déboucher sur des mesures dès la mi-juillet mais ce sont surtout les revendications salariales qui sont au cœur de la négociation. Après trois mois de crise sanitaire, les personnels soignants sont déterminés à faire reconnaître leur engagement et à obtenir une révision de leur paye au regard des standards européens. Mais comment concilier des augmentations qui seront forcément substantielles (entre 4 et 10 milliards d’euros par an) avec des finances sociales qui sont dans le rouge ?

Le Ségur de la santé a été annoncé le 20 mai en Conseil des ministres. Il a été présenté ainsi : "les quatre piliers sur lesquels devra reposer le futur plan", tels que les a définis le chef de l'Etat sont la  revalorisation des carrières et développement des compétences et des parcours professionnels à l'hôpital et dans les Ehpad, un plan d'investissement et de réforme des modèles de financement, la mise en place d'un "système plus souple, plus simple, plus en proximité, en revalorisant le collectif, le sens de l'équipe et l'initiative des professionnels" et, enfin, déploiement d'une organisation du système de santé fondée "sur le territoire et intégrant hôpital, médecine de ville et médicosocial".

Le Premier ministre et le ministre de la Santé l’ont ensuite présenté le 25 mai  aux acteurs de la concertation en précisant les annonces : à l’issue des discussions coordonnées par Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT, et actuelle dirigeante de l’agence de notation sociale Vigéo, les mesures seront présentées mi-juillet. Edouard Philippe s’est engagé à « des changements radicaux », et en termes salariaux « la revalorisation sera significative ». Olivier Véran précisant que l’alignement serait au minimum sur la moyenne européenne.

L’exécutif a ajouté que la question du temps de travail n’était pas un tabou. Sur les autres sujets, le gouvernement a confirmé sa promesse de reprendre un tiers de la dette et a ajouté 250 millions de crédits qui ne devraient pas se concentrer sur l’hôpital mais plutôt sur les coopérations Ehpad et médecine de ville. Ont également été évoquées la montée en charge du financement de la qualité (2 milliards en 2022) et la multiplication des communautés territoriales.

Mais c’est bien sur les engagements salariaux que devraient se focaliser les discussions car la crise sanitaire s’est greffée sur un long mouvement de revendications salariales dans le cadre de la grève des urgences et des services de soins de 2019. Une grève entamée il y a un an et que les propositions financières d’Agnès Buzyn n’avaient pas calmée (750 millions d’euros). L’enjeu : des unités de soins qui tournent parfois avec 25% de lits fermés en raison du manque de personnels au "salaire très insuffisant".

La revendication salariale : un coût évalué autour de 4 milliards d’euros

Même si les comparaisons doivent être faites avec prudence (voir notre note sur le sujet) la rémunération des infirmières se situe en dessous de la moyenne européenne. Si un alignement sur la moyenne de l'OCDE est envisagé comme le laisse entendre Olivier Véran cela signifie une hausse mensuelle de l'ordre de 300 euros, soit un coût annuel d'environ 720 millions d'euros. Martin Hirsch, lui, plaide pour une augmentation de 15 à 20% des paramédicaux (infirmiers, aides-soignants). Pour le cabinet Roland Berger, cela correspond à une augmentation de 250 euros bruts par mois, soit une enveloppe de 3,5 à 4 milliards d’euros par an.

A cela, et selon Les Echos, le gouvernement serait prêt à ajouter un geste de 5 à 6 milliards d'euros par an pour les paramédicaux. Ce qui porterait l’effort total entre 8,5 et 10 milliards d’euros.

Et il semble déjà certain que les revendications salariales vont s’étendre à d’autres professions. Ainsi Frédéric Valletoux, président de la FHF déclarait que pour les médecins, il faut mieux rémunérer les gardes, en particulier des internes, et mieux valoriser les fins de carrière. « Dix à quinze ans avant la retraite, les médecins voient souvent leur carrière stagner à l’hôpital et partent vers le privé, privant les établissements qui les ont formés de leur expérience. » Le président de la Coordination médicale hospitalière (CMH) a déclaré qu'il "paraîtrait normal d'augmenter de 20 à 30% les salaires des médecins à l'hôpital, soit en modifiant le point d'indice, soit en ajoutant un échelon". Pour la Fédération hospitalière de France (FHF), c’est 7 à 8 milliards d'euros par an pour revaloriser de 10% à 15% les salaires à l'hôpital, sans compter les nécessaires recrutements et les revalorisations dans les Ehpad.

Les calculs de la FHF incluent les médecins et le personnel administratif. Une augmentation de 15% en début de carrière permettrait ainsi d'offrir 250 euros par mois à un aide-soignant, 300 euros à un infirmier, 240 euros à un agent de service hospitalier. Les internes en médecine, payés 1.900 euros brut, réclament eux aussi les 300 euros par mois, et le paiement des heures supplémentaires. En résumé, il s’agirait de mesures substantielles alors que la sécurité sociale plonge dans le rouge avec un déficit attendu d'au moins 41 milliards d'euros en 2020.

Augmentation des salaires… mais pour quelles réformes en face ?

Étant donné les montants en jeu, rechercher des marges de manœuvre par ailleurs ne paraît pas complètement inutile.

Premier levier : le temps de travail

Les 35 heures à l’hôpital sont à nouveau au centre des débats. Pour Martin Hirsch dans Les Echos, « les 35 heures se sont faites au détriment de la rémunération au cours des 15 dernières années. » Pour Olivier Véran, il y a une incohérence à « maintenir les 35 heures alors que certains, pour gagner plus, travaillent en dehors en toute illégalité ? » Selon la DGAFP, la fonction publique hospitalière a une durée effective du travail pour un temps complet qui se situe à 1.598 heures (La durée annuelle effective inclut toutes les heures travaillées dans l’emploi principal lors d’une semaine de référence, y compris les heures supplémentaires rémunérées ou non).

Dans une publication un peu ancienne le temps de travail des infirmières en France semble se situer en dessous du temps de travail pratiqué dans d’autres pays européens.

Différents blogs infirmiers attestent, d’ailleurs, d’un écart de temps de travail qui persiste si on compare par exemple avec l’Allemagne. Voir notamment ici.

Deuxième levier : les effectifs

Selon François Ecalle, fondateur du site Fipeco et ancien magistrat à la Cour des comptes, la France est le pays où la part des emplois hospitaliers dans l’emploi total est la plus élevée avec 4,8% de l’emploi total et où plus du tiers de ces effectifs sont des agents administratifs, techniques ou de services alors que ce pourcentage se situe plutôt autour de 25% en Espagne, en Allemagne ou en Italie. 

Voir notre note complète sur les dépenses de santé : France versus Allemagne.

Troisième levier : les salaires.

Si la comparaison du salaire des infirmières françaises est en leur défaveur avec les autres pays européens, il faut aussi se pencher plus en détail sur les différentes catégories de personnels et comparer aux autres types d’établissements en France.

La DREES indique dans sa publication « portrait des professionnels de santé » que les salaires sont assez élevés dans le public, comparés au privé, à but lucratif ou non, sauf pour les médecins et les cadres de direction. En revanche l’écart est assez important pour les personnels administratifs techniques ou de services entre public et privé.

Pas étonnant dès lors que les dépenses hospitalières se classent parmi les plus élevées en Europe.

Ces trois éléments sont liés au statut de la fonction publique hospitalière : plusieurs grands noms de la médecine se sont prononcés pour une remise à plat ou, tout du moins des assouplissements. Il faudra donc que ce Ségur de la santé soit réellement sans tabou.

Martin Hirsch, directeur de l’AP-HP

« On peut parfaitement mettre de la souplesse sans casser les statuts. Il n'est pas écrit dans la Constitution que l'existence d'une fonction publique hospitalière implique une égalité de rémunération entre toutes les disciplines médicales. On pourrait instaurer des garanties « socle », plus une part de rémunération différenciée, pour reconnaître la technicité, le risque, la pénibilité.

Avant, la différenciation salariale était un tabou ; aujourd'hui, c'est une demande assumée, y compris dans cette maison. Un praticien hospitalier en CHU fait de l'enseignement ou de la recherche, sans reconnaissance de ces missions. Nos hôpitaux en Seine-Saint-Denis ont du mal à recruter car il n'y a pas d'incitation : il faut donner des marges de manoeuvre aux chefs d'établissement. Le seul levier aujourd'hui, ce sont des primes d'entrée de carrière. Des établissements vont jusqu'à inventer des heures supplémentaires ou des astreintes fictives pour attirer ou garder leurs soignants ».

Frédéric Valletoux, président de la FHF

« Il faut plus de souplesse, sortir d’une vision uniforme. L’organisation d’un CHU ne peut pas être la même que celle d’un groupe hospitalier de taille moyenne. Reconnaissons-le ! Il peut y avoir des principes nationaux, et des accords locaux qui aménagent la durée légale du temps de travail, dans le respect du dialogue social. On a aussi devant nous un très gros chantier de débureaucratisation du système de santé, qui a sauté aux yeux lors de cette crise. Il faut s’y atteler d’urgence, car la santé est la seule politique publique qui a échappé depuis quinze ans aux chocs de simplification.

Gérard Vincent et Guy Collet, respectivement ancien délégué général et ancien conseiller en stratégie de la Fédération des hôpitaux de France (FHF) ».

(A propos de la transformation des hôpitaux publics en fondation) «Ce modèle donne aux établissements la liberté de s’organiser comme ils veulent sans dépendre de règles ministérielles, sans passer par des tas de commissions et procédures. Le directeur, le conseil d’administration et les médecins, décident ensemble de l’organisation, y compris des rémunérations. Ils ne sont pas dépendants d’une grille de la fonction publique ! Les soignants peuvent être mieux rémunérés, dans le cadre d’un contrat négocié, en fonction des performances de l’établissement», explique Gérard Vincent. «Si on garde le statut de la fonction publique, quand on augmente les hospitaliers, il faut augmenter tous les autres. C’est tout l’édifice qui est concerné. C’est pourquoi le gouvernement propose des primes», ajoute Guy Collet. Sans compter que la grille de la fonction publique oblige à payer une infirmière de la région parisienne comme sa consœur de province, où le coût de la vie et celui du logement sont souvent bien inférieurs ».