Actualité

Décrochage démographique : âge de la retraite, immigration, robotisation, les défis face à nous

Projetons-nous un instant vers les prochaines élections présidentielles. 2027 c’est demain, dans un peu plus d’un an. Et évaluons, compte tenu des déséquilibres démographiques futurs, comment compenser le manque à gagner productif qui risque d’en résulter à court terme. Pour nous y aider, nous nous appuierons sur le récent rapport d’Antoine Foucher que vient de publier le Haut commissariat à la stratégie et au plan, Décrochage démographique, cinq révolutions du marché du travail. Ainsi que les données disponibles sur le taux de robotisation de l’industrie manufacturière française et sur le potentiel de déploiement de l’IA en France. Nos conclusions sont sans appel : il n’est quasiment pas possible de bloquer simultanément deux des trois variables importantes que sont les retraites (âge de départ ou durée de cotisation), le taux d’immigration de travail et le degré de recours à la robotisation et à l’IA. Notre conviction c'est qu'au contraire l'usage de ces trois leviers simultanément - pour contrer l'hiver de la natalité qui se précise -  sont les meilleurs atouts pour conforter le dynamisme de la croissance de demain: immigration de travail choisie et correctement régulée, diffusion de la robotisation pour rattraper l'Allemagne en accélérant grâce à l'IA, augmentation de la population active au travail grâce à l'activation de la réforme des retraites et au report de l'âge en fonction de l'espérance de vie en bonne santé (et au cumul emploi/retraite).

Le constat d’un décrochage démographique préoccupant pour la production, donc la croissance

Le rapport d’Antoine Foucher décrit un basculement durable du marché du travail français sous l’effet du « décrochage démographique » : quasi‑stagnation de la population active dès les années 2020, baisse à partir de 2033‑2035, sortie définitive du chômage de masse, inversion du rapport de force en faveur des salariés, réduction du temps passé à la retraite et montée des enjeux économiques liés à l’immigration. Ainsi met-il en exergue que :

  • La population active est passée d’environ 20 à près de 30 millions de personnes entre le milieu des années 1960 et le début des années 2010, soit un flux annuel de +150 000 à +200 000 potentiels actifs ;

  • Depuis 2014, la hausse ralentit fortement ; les projections Insee actualisées (intégrant la réforme des retraites 2023) prévoient un pic autour de 2033‑2035, puis une baisse, dynamique inédite depuis 1945 ;

  • Selon les dernières projections disponibles, la population active atteindrait environ 29,8 millions en 2070 dans la variante 2023 (contre 29,2 millions dans l’exercice 2022), avec une croissance annuelle moyenne de la population active tombant de +185 000 personnes (1992‑2013) à +105 000 (2013‑2024), puis +75 000 (2025‑2035) avant un recul de –28 000 (2035‑2045).

Les conséquences macroéconomiques sont déjà significatives : le ralentissement de l’offre de travail facilite le reflux du chômage (taux inférieur à 7,5 % depuis plus de trois ans, niveau inédit depuis le début des années 1980) et va durablement contraindre la croissance potentielle par la quantité de travail disponible.

Surtout, le rapport pointe qu’au-delà des tensions de recrutement structurelles (1ère révolution), de la sortie du chômage de masse (2ème révolution) et de l’inversion du rapport de force salariés/entreprises (3ème révolution), on assiste également à la fin du temps de travail annuel et au recul du temps passé à la retraite (4ème révolution), et au rôle macroéconomique croissant de l’immigration (5ème révolution)

Les 4ème et 5ème révolutions détectées par Antoine Foucher

4e révolution – Fin de la baisse du temps de travail annuel, recul du temps passé à la retraite

  • La durée annuelle moyenne du travail (salariés, indépendants, fonctionnaires) est passée d’environ 2 230 heures en 1950 à 2 000 heures en 1970 puis 1 700 heures en 1990, mais elle stagne autour de 1 600 heures en 2000 comme en 2023 : les générations actuellement actives sont les premières depuis 1945 à ne plus travailler moins que leurs aînés à l’échelle de l’année.

  • Sur la durée de vie, l’allongement des études et la hausse de la durée de cotisation modifient aussi le profil : la durée requise est passée de 37,5 ans (réforme 1993) à 40 ans (2003), 42 ans (2024) et doit atteindre 43 ans en 2027 ; selon la Cour des comptes, il faudrait monter à 46 ans en 2045 pour combler un déficit projeté de 25 à 30 Md€ du système de retraite, une année de cotisation rapportant 7 à 10 Md€.

  • Les cotisations retraite ont déjà presque doublé en une génération, passant d’environ 15‑20 % du salaire brut en 1980 à 28‑30 % aujourd’hui, ce qui réduit les marges pour de nouveaux relèvements sans peser davantage sur les salaires nets.

Avec une durée de cotisation portée à 46 ans et une espérance de vie à 60 ans en hausse de 2,3 ans pour les femmes et 3,3 ans pour les hommes en trente ans, Foucher projette une durée moyenne passée à la retraite d’environ 21 ans pour la génération 1978, en baisse par rapport aux générations nées dans les années 1950‑1960. Il en déduit un âge de départ à taux plein qui se situerait « entre 62‑63 ans et 70‑71 ans » selon l’âge d’entrée sur le marché du travail, ce qui rapprocherait la France des trajectoires de pays comme la Suède où l’âge légal montera à 70 ans.

5e révolution – Rôle macroéconomique de l’immigration

  • Le solde migratoire annuel moyen 2017‑2021 est de 182 000 personnes ; plus de la moitié des immigrés ont entre 25 et 54 ans, avec un taux de chômage de 11 %, soit 3,5 points au‑dessus de la moyenne nationale.

  • En supposant que 50 à 75 % des immigrés entrants sont en âge de travailler et intègrent la population active, une année d’immigration augmente la population active de l’ordre de 81 000 à 121 000 personnes.

  • En comparaison, un allongement d’un an de la durée du travail sur la vie représenterait 650 000 à 700 000 actifs supplémentaires, et un retour durable au plein emploi (5 % de chômage) 700 000 à 800 000 actifs de plus.

Ainsi, au rythme actuel, une année d’immigration équivaut, en force de travail, à 1,5 à 2 mois de durée de cotisation supplémentaire pour l’ensemble des travailleurs ; en six à huit ans, l’immigration apporte l’équivalent d’une année supplémentaire de travail pour partir à la retraite ; inversement, une immigration nette nulle pendant six à huit ans équivaudrait à exiger une année de travail supplémentaire pour équilibrer le système. Chaque année d’immigration représente aussi l’équivalent de 0,3 à 0,5 point de chômage « en plus » de main‑d’œuvre, alors que le passage de 7,5 % à 5 % de chômage procurerait un gain de 700 000 à 800 000 actifs, soit l’équivalent de 7 à 10 ans d’immigration au rythme actuel.

L’enjeu, dans son analyse, n’est donc pas seulement quantitatif (nombre d’entrants) mais qualitatif (capacité à attirer, insérer et qualifier une immigration de travail), dans un contexte où la contrainte principale devient la rareté de la main‑d’œuvre plutôt que sa surabondance.

Calcul des équivalences : variables retraites, immigration, robotisation/IA

L’ordre de grandeur que propose Foucher revient à dire : « 6 à 8 ans d’immigration nette zéro ≈ +1 an de travail sur l’ensemble de la vie active, soit 650 000 à 700 000 “équivalents actifs” supplémentaires à trouver ailleurs ». Pour compenser cela par IA/robotisation, il faut donc viser des gains de productivité équivalents à environ 650 000–700 000 emplois à temps plein, ou à l’augmentation correspondante de PIB. 

  1. Ordre de grandeur en équivalents temps pleins

Foucher estime qu’un allongement d’un an de la durée de cotisation apporterait 650 000 à 700 000 personnes supplémentaires sur le marché du travail. Une année d’immigration nette au rythme récent (182 000 personnes, dont 81 000–121 000 actifs supplémentaires) correspond à 1,5–2 mois de travail additionnel en moyenne sur la vie active ; 6 à 8 ans d’immigration zéro correspondent donc à une année de travail en plus, soit les 650 000–700 000 “ETP” à compenser. D’un point de vue macroéconomique, compenser cette “perte” par la productivité des machines veut dire :

  • Faire en sorte que le capital (robots, IA, automatisation) réalise en plus l’équivalent de 650 000–700 000 emplois à temps plein,

  • ou obtenir un surcroît durable de PIB équivalent à ce que produiraient 650 000–700 000 emplois moyens supplémentaires.

Si l’on prend un ETP moyen français autour de 1 600 heures par an, cela représente environ 1,0–1,1 milliard d’heures de travail “effectives” à produire par le capital plutôt que par le travail humain.

  1. Traduction en robots/IA : quelques repères chiffrés

Les données disponibles ne donnent pas un “ratio universel” heures/robot, mais on peut cadrer l’effort :

  • La France a installé environ 7 380 robots industriels en 2022, restant largement derrière l’Allemagne (25 600) et l’Italie (11 500)[1].

  • Le stock français est d’environ 186 robots pour 10 000 salariés dans l’industrie manufacturière, contre 429 en Allemagne, 347 en Suède, 306 au Danemark, la moyenne mondiale étant autour de 162 et la moyenne UE environ 219[2].

Si l’on fait une hypothèse prudente de capacité d’un robot industriel :

  • Un robot “remplace” en moyenne entre 0,5 et 1 ETP humain sur l’année, selon les études (taux d’utilisation, multi‑équipes, arrêts, maintenance, etc.). Atteindre l’équivalent de 650 000–700 000 ETP supposerait, dans une pure logique de substitution, entre 650 000 et 1,3 million de robots supplémentaires si on restait dans le seul champ industriel. C’est irréaliste à court terme dans l’industrie seule, mais cela donne un ordre de grandeur : il ne s’agit pas de “quelques dizaines de milliers de robots”, mais d’un effort massif d’automatisation, combiné à des gains de productivité logicielle (IA) dans les services.

  • En pratique, on peut regarder l’écart de densité avec l’Allemagne : passer de 186 à 429 robots pour 10 000 salariés manufacturiers, à taille d’emploi constante, impliquerait plus que doubler le parc de robots français. Si cet alignement s’accompagnait de gains de productivité similaires à ceux observés outre‑Rhin (où la durée annuelle de travail à temps complet est supérieure d’environ 117 heures à la France, et la valeur ajoutée industrielle plus élevée), on s’approcherait déjà d’une partie du milliard d’heures “à compenser[3]”.

Autrement dit : un rattrapage “à l’allemande” en robotisation industrielle, complété par une vague d’automatisation/IA dans les services, est du bon ordre de grandeur pour compenser l’équivalent d’1 an de travail supplémentaire sur la vie active.

  1. Effort macroéconomique de productivité à viser

On peut aussi raisonner en PIB plutôt qu’en « ETP ». Ainsi, comme nous l’avons vu plus haut, une année de cotisation supplémentaire pour 650 000–700 000 personnes représente un ordre de grandeur de 650 000–700 000 salaires bruts supplémentaires ; si l’on suppose un salaire brut moyen autour de 45 000–50 000 euros, cela donne 30–35 Md€ de masse salariale brute, et un PIB généré de l’ordre de 40–50 Md€ (en tenant compte des marges et autres facteurs). Or,

  • L’OCDE montre que le PIB français par heure travaillée se situe dans le haut de la distribution des pays de l’OCDE (87,3$ de PIB/heure travaillée[4]), mais la France pointe désormais à la 13e place, derrière certains pays très robotisés.

  • Les travaux de la Fondation IFRAP indiquent qu’un simple alignement de la durée de travail française sur la moyenne de la zone euro représenterait environ 80 Md€ de valeur ajoutée supplémentaire.

Pour compenser une “non‑immigration” équivalente à +1 an de travail sur une vie, il faudrait donc viser un supplément de PIB de l’ordre de 40–50 Md€ par an provenant de gains de productivité liés au capital (robots, IA) plutôt qu’au volume de travail humain. 

En termes de trajectoire :

  • si la productivité horaire augmentait de 0,4–0,5 point de plus par an que dans le scénario tendanciel pendant une décennie, le PIB serait environ 4–5 % plus élevé au bout de 10 ans, ce qui correspond grossièrement à ces 40–50 Md€ (sur un PIB autour de 2 500–3 000 Md€).

L’effort “IA/robots” à viser, pour rester cohérent avec cette cible, ressemblerait donc à :

  • un rattrapage rapide de la densité robotique au moins jusqu’à la moyenne UE, voire au niveau allemand dans l’industrie (multiplication par 2 à 2,5 du parc de robots industriels en 10–15 ans) ;

  • une diffusion large de l’IA dans les services “à forte intensité de tâches répétitives” (administratif, back‑office, logistique, retail, banque‑assurance, santé, etc.) pourrait être capable de générer un gain de productivité de l’ordre de 5–10 % sur ces segments, ce qui se traduit en quelques dixièmes de point de productivité horaire en plus au niveau macro[5].

Les six scénarios retenus et leurs conséquences

On commencera par rappeler les hypothèses communes retenues : 

  • Immigration nette récente : 182 000 personnes/an, soit 81 000–121 000 actifs/an. 

  • 6–8 ans d’immigration nette nulle ≈ +1 an de travail sur la vie active (≈ 650 000–700 000 “équivalents actifs”, soit ≈ 1,0–1,1 milliard d’heures).

  • 1 an de travail supplémentaire ≈ 40–50 Md€ de PIB annuel supplémentaires à assurer autrement (immigration, durée du travail, productivité IA/robots).

  • “Effort d’âge de départ” : hausse de durée de cotisation moyenne exprimée en années.

  • “Effort IA/robotisation” : équivalent en “année de travail” fournie par la productivité (≈ 650–700 k ETP/an).

Scénario

Blocages / Contrainte(s)

Variable d’ajustement

Chiffres clés

Remarques

1. Zéro ImmigrationImmigration nulleAugmentation du travail ou robotisationDurée cotisation +1 an (43 → 44 annuités), ou choc productivité IA/robots 40–50 Md€Compense perte de 700 000 actifs cumulés
2. Stagnation TechnologiqueRobotisation faibleImmigration ou travailMaintien immigration ~182 000/an, sinon durée cotisation +1 anPIB reste stable, gain productivité faible
3. Sanctuarisation RetraiteÂge départ stable (43 annuités)Immigration ou robotisationImmigration nette ≥182 000/an, ou IA/robots générer 40–50 Md€Sans effort IA ni immigration, déséquilibre garanti
4. Tout TechnologiqueBlocage Immigration + RetraiteRobotisation / IADoubler parc robots industriels : 186 → 400+ robots/10 000 salariés, gains IA 5–10% tâches services, générer 40–50 Md€ PIB700 000 actifs équivalents à compenser
5. Travailler PlusBlocage Immigration + RobotisationAllongement durée cotisationDurée cotisation +1 à +2 ans (43 → 44–46 annuités), âge effectif départ retraite 65–66 ansContraintes sociales et politique à négocier
6. Grande OuvertureBlocage Retraite + RobotisationImmigrationMaintien solde migratoire ≥182 000/an, apport actifs ~120 000/anSi immigration chute, augmentation durée cotisation ou IA obligatoire

Source : Calculs Fondation iFRAP, décembre 2025.

Les 3 premiers scénarios se basent sur le blocage d’une des trois variables, tandis que les scénario 4, 5 et 6 en bloquent deux. Ils sont de fait beaucoup plus difficiles à atteindre. 

  1. Les scénarios de contrainte simple

Scénario 1 – Zéro Immigration : fermeture des frontières (immigration nette nulle) sur les 6 à 8 prochaines années. Cette politique aboutirait à un déficit en main d’œuvre compris entre 80.000 et 120.000 actifs/an, créant un manque cumulé d’environ 700.000 actifs. Pour compenser ce manque sans réduire la production, la France devrait soit augmenter la durée de cotisation d’un an (passage de 43 à 44 annuités effectives), soit réussir un choc de robotisation immédiat, ou un mix des deux.

  • Blocage : Immigration nulle → perte 80 000–120 000 actifs/an → cumulé 700 000 actifs sur 6 ans.
  • Compensation possible :
    • Durée cotisation : +1 an (43 → 44 annuités) → correspond à ≈700 000 actifs.
    • Productivité : générer 40–50 Md€ de PIB via IA/robots.

Scénario 2 – Stagnation technologique : c’est-à-dire un taux de robotisation ou d’IA constant (mauvaise pénétration/conversion aux nouvelles technologies, ou celles-ci déçoivent). Il n’y aurait alors pas de « miracle IA ». La productivité continue de croître à son rythme tendanciel faible (0,5 % à 1 % par an), et le parc de robots n’augmente pas plus vite que la moyenne historique. Le capital ne peut pas remplacer le travail manquant. Le pays est condamné à choisir entre la main-d’œuvre humaine étrangère ou nationale. Il faut donc maintenir l’immigration à son niveau actuel (~180 000/an) ou repousser l'âge de départ à la retraite si l'on veut maintenir les niveaux de vie, ou un mix des deux.

  • Blocage : Robotisation n’avance pas.
  • Besoin : maintenir immigration ~182 000/an pour compenser manque d’actifs, sinon +1 an cotisation.
  • Gain productivité ≈0,5–1%/an = insuffisant → le levier principal reste l’immigration ou le travail national.

Scénario 3 – Sanctuarisation Retraite : Blocage politique et social sur l'âge de départ. On reste sur la trajectoire actuelle (43 annuités en 2027) sans aller au-delà, refusant l'idée des 46 annuités évoquée par la Cour des comptes pour 2045[6]. Le volume d'heures travaillées par les seniors n'augmente pas suffisamment pour compenser le déclin démographique. La France devient dépendante de l'immigration de travail pour combler les postes vacants (50,1 % des recrutements difficiles en 2025) ou d'une automatisation massive pour occuper les postes laissés vacants.

  • Blocage : Retraite stable (43 annuités).
  • Besoin : combler la pénurie d’actifs par immigration ou robotisation → mêmes chiffres qu’en scénario 1.

2. Les scénarios de double contrainte

C'est ici que les calculs deviennent critiques pour les décideurs : si l'on bloque deux leviers, le troisième doit subir une variation extrême. Or ce sont précisément ces types de scénarios qui sont généralement choisis comme marqueurs politiques par les candidats aux élections présidentielles, car ils sont les plus clivants. Mais ils sont à la vérité très coûteux voir irréalistes politiquement.

 

Scénario 4 – Tout Technologique (Blocage Immigration + Retraite) : La France refuse l’immigration (solde nul) et refuse de travailler plus longtemps (âge figé). Il faut donc compenser par la robotisation et/ou le déploiement de l’IA équivalent à 1 à 1,1 milliard d’heures de travail humain perdues. Cela revient à générer entre 40 et 50 Md d’euros de valeur ajoutée supplémentaire uniquement par des gains de productivité du capital. Les actions concrètes sont alors de deux natures : (i) doubler le parc de robots pour passer de 186 robots pour 10.000 salariés (niveau actuel) à environ plus de 400 (niveau allemand), soit installer près de 300 000 robots industriels supplémentaires. (ii) Automatiser via l’IA générative (IAG) pour obtenir des gains de productivité dans les services de 5 à 10 % sur les tâches administratives et logistiques. C’est un scénario de rupture industrielle brutale, nécessitant des investissements colossaux.

  • Blocage : pas d’immigration, retraite stable → robotisation/IA doit compenser.
  • Industrie : 186 → 400+ robots/10 000 salariés, soit ~doublage parc → ≈300 000 robots supplémentaires.
  • Services : IA générer 5–10% gains productivité.
  • PIB additionnel nécessaire : 40–50 Md€.

Scénario 5 – Travailler Plus (blocage de l’immigration et de la robotisation) : l’immigration est nulle et on assiste à un échec de la robotisation (la France reste sous-équipée et l’IA déçoit). Il faut donc retrouver l’équivalent de 700 000 équivalents actifs manquant par un effort sur la population active nationale. Pour cela il faut augmenter la durée de cotisation d’une année pleine supplémentaire par rapport à la loi actuelle (qui vient d’être suspendue). Cela signifie viser une durée de cotisation de 44 ans rapidement, voire tendre vers les 46 ans évoqués pour 2045, repoussant l’âge effectif de liquidation bien au-delà des 64 ans, vers 65-66 ans effectifs pour tous. C’est l’épreuve de réalité telle que l’a vécu par exemple le Portugal ou l’Espagne avec des départs à la retraite à 67 ans.

  • Blocage : immigration nulle, IA faible → variable = durée cotisation.
  • Calcul : 700 000 actifs équivalent à +1 année de travail → 43 → 44 annuités (rapidement), possible extension vers 46 annuités horizon 2045.
  • Âge effectif départ retraite : 65–66 ans.

Hypothèse alternative : hausse de l’âge, ou de la durée de cotisation, ou du temps de travail ?

Dans le scénario 5, Travailler plus, nous cherchons à tester 3 hypothèses : s’agissant des retraites, jouer sur la durée de cotisation (i) ou sur l’âge de départ à la retraite (ii) et leur alternative si le blocage politique persiste, revenir sur la durée légale de travail – les 35 heures – afin d’augmenter le volume d’heures travaillées pour une population active au travail donnée. 

Ces trois hypothèses sont résumées dans le tableau suivant :

Levier exclusif (Scénario 5)

Hypothèse

Résultat nécessaire

Faisabilité

Durée de cotisation (i)Compense 700 000 actifs+1 an (43 → 44) ; +2 ans si horizon 2035Moyenne – choc social fort
Âge de départ (ii)Ajusté pour correspondre aux annuités65–66 ans (44–45 annuités) ; 67 ans si 46 annuitésFaible – très impopulaire
Durée annuelle du travail (iii)+10 % = 1 an de travail sur une vie+10 % d’activité (temps plein, absentéisme, taux d’emploi)Très faible – transformation lourde et lente

Nous avons ensuite testé le rendement de l’hypothèse (iii) suivant plusieurs modalités d’extension de la durée légale : 39h, 40h, 42h/semaines. Il apparaît que le passage à 39 heures ne serait pas suffisant et représenterait même seulement la moitié du besoin en ETP nécessaires pour combler l’insuffisance d’immigration et de robotisation et d’IA. En revanche, le passage à 40h serait lui beaucoup plus efficace s’il était maintenu pendant un cycle de 6 ans[7], mais compte tenu du déficit de main d’œuvre si l’immigration était stoppée plus longtemps, il faudrait passer à 42h/semaine pour rétablir la situation. La mesure serait toutefois extrêmement impopulaire et nécessiterait notamment, 

  • Une renégociation de tous les accords de branche ;

  • De modifier les heures supplémentaires légales ;

  • Risque de déclencher des conflits sociaux probablement massifs ;

  • Elle pénaliserait particulièrement les salaires faibles et les femmes (temps partiel subi) ;

  • Elle réduirait la compétitivité si les salaires sont maintenus, ou le pouvoir d’achat si les salaires ne suivent pas.

Passer à 40 heures :

  • Equivaudrait à annuler 30 ans de réduction du temps de travail ;

  • Serait politiquement explosif (bien plus encore que reculer l’âge à 65 ans).

Scénario d’augmentation de la durée du travail

Heures/an

Augmentation

Équivalent productif

Suffit-il à compenser 0 immigration + 0 robotisation ?

35h/semaine (actuel)~1 600 h/anBase
Passage à 39h~1 780 h/an+11,4 %≈ +350 000 actifs❌ (ne compense que la moitié du besoin)
Passage à 40h (~1 760 h/an)~1 760 h/an+10 %≈ +700 000 actifs✔ pour un cycle de 6 ans ; ❌ au-delà
Passage à 42h~1 850 h/an+15 %≈ +1 050 000 actifs✔ mais totalement irréaliste

 

Scénario 6 – la « Grande Ouverture » (blocage des retraites + Robotisation) : les Français refusent de travailler plus tard et l’économie ne se robotise pas assez vite. Il faut alors importer la force de travail nécessaire pour compenser le départ des baby-boomers et la stagnation de la population active, en assumant les frictions identitaires et culturelles tout en pariant sur l’intégration économique des nouveaux venus. Cela implique alors de maintenir, voire augmenter le flux actuel. Maintenir un solde migratoire net d’environ 182 000 personnes/an (apportant environ 120 000 actifs/an en plus) représente le minimum vital pour ne pas avoir à toucher aux retraites dans ce scénario. Le risque se retourne puisque si l’immigration baisse ne serait-ce que de moitié, le système de retraite devient insoutenable sans gains de productivité additionnels, ce qui nécessiterait alors d’augmenter significativement la durée du temps de travail par exemple, ou de choisir tout de même d’automatiser davantage certaines tâches.

  • Blocage : pas de retraite plus longue, IA faible → recours maximal à immigration.
  • Chiffres : maintenir flux ≥182 000/an, équivalent ~120 000 actifs/an.
  • Si immigration chute de moitié → besoin immédiat + durée cotisation ou IA générer 40–50 Md€.

Conclusion

Les propositions les plus maximalistes sont généralement rarement réalisables en pratique. Bloquer deux éléments à la fois sur trois (Retraites, robotisation/digitalisation/IA, ou recours à l’immigration) est quasiment impossible. La contrainte sur l’intensification du 3ème levier est alors trop forte à horizon 6-8 ans, sauf pour la version « Tout technologique » à miser sur la montée en puissance extrêmement rapide vers la singularité et la mise en place d’une IAG (intelligence artificielle générale), permettant des gains de productivité et la création d’une valeur ajoutée et d’une optimisation des chaines industrielles domestiques inédite. Par ailleurs, l’expérience chiffrée montre également le champ des possibles et des renoncements à effectuer pour les propositions partisanes les plus engagées :

  • Si l’on bloque l’immigration, il faut alors avoir recours à la robotisation/IA et à la modification soit/et de la durée de cotisation, soit/et de l’âge de départ à la retraite, soit/et du temps de travail et de la durée légale du travail.

  • Si l’on décide de suspendre indéfiniment la réforme actuelle des retraites, alors il faut jouer sur l’immigration, la robotisation/IA et sur le temps de travail et sa durée légale.

  • Si l’on décide au contraire de refuser le déploiement du progrès technologique, ou que celui-ci se révèle moins efficace que prévu (problème de déploiement, mur d’innovation non franchit, contraintes techniques insurmontables) ou pour des raisons de coût (robotisation trop lente à raison du coût du capital à investir nécessaire), alors il faudra nécessairement avoir recours à une immigration accrue et/ou à un report de l’âge de départ à la retraite et/ou à une augmentation conséquente du temps de travail et de sa durée légale.

Des contraintes qui s’inscrivent dans la perspective d’une baisse démographique importante et continue de la population française dans un proche avenir. Notre conviction c'est qu'au contraire nous devrons utiliser l'ensemble de ces leviers pour développer la croissance de demain, car bloquer ne serait-ce que l'un d'entre eux (voir à fortiori deux d'entre eux) ferait peser des contraintes insupportables sur le déploiement des deux autres. 

[1] https://vipress.net/record-de-robots-industriels-installes-en-france-en-2022/

[2] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/robots-la-france-est-la-traine

[3] https://www.ifrap.org/la-revue/temps-de-travail-taux-demploi-age-de-la-retraite-la-france-perd-80-mds-eu-de-valeur-ajoutee, ainsi que https://www.rexecode.fr/media/documents/document-de-travail/2024/duree-effective-du-travail-en-france-et-en-europe-2023-et-la-quantite-de-travail-dans-l-economie-document-de-travail-n.92-dec.-2024

[4] https://www.oecd.org/fr/data/indicators/gdp-per-hour-worked.html

[5] Voir par exemple, https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/lintelligence-artificielle-generative-dans-ladministration-une-piste-deconomies

[6] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/297428.pdf 

[7] Elle correspondrait exactement à l’hypothèse du rapport Foucher, +10% des heures travaillées par an, soit 1.760 heures/an environ en moyenne. Et correspondrait bien au déficit de 700.000 actifs à remplacer.