Le redressement économique du pays suppose de remettre de l'ordre dans nos finances publiques mais surtout de relancer l'activité. Cette nouvelle étude de la Fondation IFRAP fait le point sur les principaux indicateurs d'activité et montre l'ampleur du décrochage français : 

  • Le PIB par habitant de la France a reculé pour passer de la 14e place mondiale en 1980 à la 23e place en 2023.
  • La part de la valeur ajoutée marchande dans le PIB a également fortement reculé depuis le début des années 2000. Malgré le redressement récent, la France a la part de valeur ajoutée marchande dans le PIB la plus faible des principaux pays européens.
  • Ce recul de l'activité s'explique par la faiblesse du taux d'emploi français (69%) comparé à l'Allemagne (77%) ou aux Pays-Bas (82%), notamment chez les jeunes et chez les seniors.
  • Cela s'explique aussi par la plus faible du rée effective de travail : 1 487 heures contre 1 545 heures pour la zone euro. Cette plus faible durée se vérifie aussi pour les salariés à temps complet (1 673 heures contre 1 790 heures pour l'Union européenne) et au niveau des branches marchandes et non marchandes. Seuls les non-salariés travaillent en France plus que la moyenne européenne.
  • Le déficit d'heures travaillées dans le secteur non-marchand (essentiellement public) est à souligner avec une durée moyenne de 1 238 heures travaillées, là où la moyenne européenne s'établit à 1 370 heures en 2023.
  • Si on appliquait à la France, les indicateurs d'activité de l'Allemagne ou de la zone euro (taux d'emploi, durée du travail), la France gagnerait 7 milliards d'heures travaillées en plus en 2024.
  • Conséquence de ce déficit d’heures travaillées : la France se prive de croissance. Si la France avait eu la même durée de travail que la moyenne de la zone euro, elle aurait vu sa valeur ajoutée gonfler de près de 80 milliards d’euros en 2023.   

La Fondation IFRAP formule les propositions suivantes :

Pour les personnes hors de l'emploi, fixer un objectif de taux d'emploi aligné sur celui de la zone euro, c'est-à-dire 75,9% ce qui représente rait 3,1 millions de travailleurs supplémentaires (gain de 4,89 milliards d'heures travaillées). Pour cela aller chercher les personnes en de hors de l’emploi (réforme de l’assurance-chômage, réforme du RSA) et poursuivre l'insertion des jeunes dans le marché du travail.

Pour les personnes en emploi, il faut augmenter la durée effective de travail. Les salariés du secteur marchand doivent travailler, en moyenne, 43 heures de plus chaque année (environ 12 minutes par jour) et les salariés du non-marchand, en moyenne, 126 heures de plus (soit 34 minutes de plus chaque jour). Les indépendants maintiendraient leur niveau de travail actuel. 

Pour les retraités, il faut repousser l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans, ce qui représenterait environ 182 000 travailleurs en plus pour un gain de 282 millions d'heures travaillées. 

Supprimer 2 jours fériés comme le propose le Premier ministre pour un gain d'environ 360 millions d'heures travaillées soit 44% du nombre d'heures en plus à réaliser chez les salariés du secteur marchand ou 34% de l'effort à réaliser chez les salariés du non marchand.

 

 

I. Le constat : le PIB par habitant de la France décroche petit à petit

S’intéresser à la durée du travail, c’est réfléchir à la raison pour laquelle la France a vu, au cours des dernières années, sa position dans le classement des principaux pays de la zone euro, en termes de PIB par habitant, stagner et même reculer.

Alors que dans les années 80, la France et l’Allemagne avaient un PIB par habitant comparable, l’écart est d’aujourd’hui 20% supplémentaires en faveur de l’Allemagne. L’économie française s’essouffle depuis maintenant 40 ans.

Elle a vu sa place dans le classement mondial dégringoler, passant de la 14e place en termes de PIB par habitant dans les années 80 à la 23e place en 2023.

Le recul de la France ne se mesure pas seulement par rapport à ses homologues européens. Le creusement par rapport aux États-Unis est flagrant à partir de ces deux graphiques : le PIB en France depuis les années 1980 a été multiplié par 4,5, là où le PIB des États-Unis a été multiplié par 10.

Par habitant, alors que l’évolution était à peu près similaire jusqu’au milieu des années 90, l’écart s’est creusé et depuis les années 2010, le PIB par habitant français a nettement décroché.

II. Redresser le PIB, développer la valeur ajoutée marchande

Le PIB est la somme de 3 composantes :

  • la valeur ajoutée marchande, celle obtenue par des transactions à des prix de marché qui couvrent les coûts ;
  • la valeur ajoutée non marchande qui est financée principalement par des prélèvements obligatoires. On considère qu’une unité rend des services non marchands lorsqu’elle les fournit gratuitement ou à des prix qui ne sont pas économiquement significatifs. Ces activités de services se rencontrent dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’action sociale et de l’administration. Si le prix de vente est inférieur à la moitié du coût de production ou gratuit, il s’agit d’un bien ou d’un service non marchand ;
  • et les impôts moins les subventions sur les produits, qui sont eux-mêmes des prélèvements obligatoires nets des subventions versées.

C’est la création de la richesse nationale provenant de la production marchande qui va pourvoir en ressources, via les prélèvements, le secteur non marchand, afin de mettre en œuvre la production non marchande.

La France voit sa part de la valeur ajoutée marchande dans le PIB revenir au niveau qu’il était avant 2000 après avoir régulièrement baissé depuis 15 ans. Cette part reste cependant toujours la plus faible de notre échantillon et donc l’une des plus basses de l’Union européenne, démontrant une vraie insuffisance de production.

La VA marchande par habitant de la France occupe une place intermédiaire mais nettement en dessous de celle de l'Allemagne ou des Pays-Bas. L'écart est d'environ 15% avec l'Allemagne et de 30 % avec les Pays-Bas. Notons que l’Espagne ou l'Italie ont une part marchande du PIB importante (75%) en comparaison avec les Pays-Bas (70%). Mais la VA marchande par habitant de l’Espagne (19730 €/hab.) est faible en comparaison des Pays-Bas (31220 €/hab.), cela est dû à un PIB par habitant bien plus faible en Espagne ou en Italie, réalité qui se retranscrit dans la valeurs ajoutée marchande par habitant.

III. Heures travaillées, la France à la traîne

La production découle directement des heures travaillées et donc de la durée légale du travail et de la façon dont on mobilise la population en âge de travailler dans l’emploi, et de la productivité. La politique de réduction du temps de travail (passage aux 35 heures au tournant des années 2000) a abouti à réduire la durée du travail des personnes en emploi. Cette évolution s’est accompagnée d’autres caractéristiques de la population active française. On constate une entrée plus tardive des actifs sur le marché du travail (le taux d’emploi des 15-24 ans est en 2024 de 34,6 % contre 51,2 % en Allemagne, 59 % au Danemark) et par une sortie plus précoce que chez la plupart des partenaires européens (taux d’emploi des plus de 55 ans plus faible que celui de la plupart des pays européens de l’échantillon, 60,4 % contre 75,2 % en Allemagne et pour le taux d’emploi des 60-64 ans, le taux d’emploi n’est que de 42,5% contre 70% aux Pays-Bas, au Danemark, 74,4% en Suède).

Les écarts de taux d’emploi, entre les pays qui ont les taux d’emploi les plus élevés et ceux qui ont les taux d’emploi les plus faibles, sont davantage marqués aux deux extrémités de la distribution des âges (pour les 15-24 ans et pour les plus de 50 ans). Il en résulte de moindres durées du travail tout au long de la vie pour ces pays, qui sont du reste également souvent les pays pour lesquels la durée annuelle effective de travail est parmi les plus faibles. La France fait partie de ces pays qui, en plus de faire travailler en moyenne ses employés moins d’heures que les autres pays au cours d’une année, les font travailler moins longtemps au cours de leur vie. Cette double restriction de l’offre de travail ne peut que peser négativement sur la création de valeur (PIB par tête progressant plus faiblement que dans les pays qui mobilisent davantage leur population dans l’emploi). Ceci va aboutir à un nombre d’heures travaillées plus faible que ce que le potentiel démographique français permettrait.

État des lieux

On remarque qu’en termes d’heures totales, la France a augmenté sa quantité d’heures travaillées de 9 %, soit 1 point de pourcentage de plus que la moyenne de la zone euro, un effort notable. Cependant, rapporté à sa population en emploi, le nombre d’heures de travail des Français n’est pas ce qu’il devrait être.

La comparaison du temps de travail entre différents pays est un exercice délicat. Si les enquêtes d'Eurostat conduisent à une durée effective du travail de 1487 heures pour la France, tous actifs confondus, un chiffre au-dessus de l'Allemagne (1 335 heures) ou des PaysBas (1 439 heures), il s'agit d'une moyenne. La France est en dessous de la moyenne de la zone euro, qui s’établit à 1 545 heures annuelles, et très loin derrière des pays comme l’Irlande (1 654 heures effectives par an) et l’Italie (1 701 heures effectives par an).

Les heures travaillées comprennent les contrats en temps partiel et en temps complet. On pourrait donc penser que les travailleurs à temps partiel font baisser la moyenne française. Mais selon une étude de Rexecode [1], la durée effective annuelle moyenne de travail des salariés à temps complet en 2023 est l’une des plus faibles de l’Union européenne. Les Français travaillent à temps complet en moyenne 1 673 heures par an, soit 87 heures de moins que la moyenne de l’Union européenne (1 790 heures). Elle est aussi de 52 heures de moins que l’Espagne, et de 117 heures de moins que l’Allemagne. À l'inverse, les heures travaillées des travailleurs à temps partiel en France en 2023 se situait au-dessus de la moyenne européenne. Les Français travaillaient à temps partiel environ 972 heures par an, là où la moyenne des Européens s’élevait à 957 heures par an.

Il faut aussi tenir compte des heures travaillées selon les branches marchandes et non marchandes dans l'économie, afin de déterminer précisément les secteurs qui expliquent le plus faible niveau actuel des heures travaillées.

Bien que la France soit en dessous de la moyenne de la zone, qui se situe à 1 603 heures travaillées, l’écart n’est que de 14 heures de moins chaque année par travailleur français. Le secteur marchand français est donc relativement cohérent avec la durée de travail moyenne dans la zone euro. Cependant, on observe une différence de 132 heures travaillées entre la France et l’Irlande, soit 3,7 semaines de différence, et 188 heures travaillées de différence avec l’Italie, soit presque 5,4 semaines de travail de différence.

L’analyse des heures effectives travaillées dans le secteur non marchand révèle un très net retard de la France par rapport à ses voisins européens avec une durée moyenne de 1 238 heures travaillées, là où la moyenne européenne s’établit à 1 370 heures. Lorsqu’on compare avec les autres pays de la zone euro, on observe une différence de 233 heures travaillées avec le secteur non marchand espagnol et 235 heures avec le secteur non marchand irlandais. Soit respectivement environ 3,7 semaines de moins que les travailleurs du secteur non marchand de la zone euro, et presque 6,7 semaines de moins que les travailleurs des secteurs non marchands d’Espagne et d’Irlande.

On observe que dans le secteur non marchand français, les salariés sont nettement en dessous de la moyenne européenne alors que les indépendants (médecins, etc.) sont largement au-dessus.

Les salariés du secteur non marchand présentent 1 202 heures travaillées contre 1 353 heures pour la moyenne de la zone euro, ce qui équivaut à 4,3 semaines de travail en moins. En revanche, les indépendants du secteur non marchand travaillent en moyenne par an 1 727 heures, là où la moyenne européenne s’établit à 1 622 heures, soit une différence de 105 heures de travail annuelles. La proportion d’indépendants travaillant dans le secteur non marchand est trop faible (11 %) en comparaison de la proportion de salariés du secteur non marchand (89 %), pour influer à la hausse sur le total des heures travaillées dans le secteur non marchand français par rapport aux autres pays de la zone euro.

Que recouvre la distinction marchand / non-marchand ?

Non-marchand : Ce secteur comprend les activités relatives à la Défense, l’Administration Publique, l’Éducation, la Santé Humaine et l’Action Sociale. Selon les normes COFOG il s'agit des secteurs O-Q.

Marchand : Ce secteur comprend les activités relatives aux secteurs de l’agriculture, sylviculture et pêche, de l’industrie, de la construction, du commerce, du transport, de l’hébergement et de la restauration, des services aux entreprises et aux particuliers, des arts et spectacles.

Dans le secteur marchand, on remarque que les salariés ont un temps de travail légèrement inférieur à la moyenne européenne de 1 514 heures effectives travaillées. Ce sont les indépendants du secteur marchand qui performent en termes d’heures travaillées, bien au-dessus de la moyenne européenne de 2058 heures. Les résultats du secteur marchand montrent que les Français ne sont pas fâchés avec le travail, contrairement à une idée reçue, mais que c’est bien les non-salariés qui tirent la durée du travail, avec la 5e position européenne en termes de quantité de travail par an.

Mais pour chacune des catégories d'emploi, on constate une baisse ou une stagnation du nombre d’heures effectives depuis 2015. Par exemple, les indépendants du secteur marchand travaillaient en moyenne 2 660 heures en 2015 contre 2 463 heures en 2023, soit une baisse de 7%. L'augmentation de la pression fiscale et normative aurait-elle une incidence sur leur propension à moins travailler ?

L’évolution positive du nombre d’heures travaillées au total en France entre 2015 et 2023, observée dans le tableau page 8, est due à une augmentation de la population active, dont l’effet positif est venu compenser la baisse progressive du nombre d’heures effectives individuelles.

IV. Heures travaillées : et si la France s'alignait sur ses voisins ?

L’IFRAP s’est interrogée sur le nombre d’heures travaillées perdues par rapport à nos voisins. Pour ce faire, nous avons ramené les indicateurs économiques de la zone euro à l’échelle de la France afin d’évaluer le nombre d’heures de travail perdues. Nous avons pris en considération le nombre d’heures effectives travaillées annuellement par secteur et par type d’emploi, c’est-à-dire les salariés et non-salariés des secteurs marchand et non marchand, ainsi que le taux d’emploi et l’âge de la retraite. Les indicateurs de la France, de l'Allemagne et de la zone euro en 2024 sont détaillés ci-dessous :

En appliquant à la France les indicateurs moyens de la zone euro, on obtient un gain d’heures effectives de près de 7 milliards. Ces résultats sont très proches du résultat obtenu pour une comparaison avec l’Allemagne. Cela montre que plusieurs pistes sont à explorer pour une durée annuelle du travail effective plus importante : en augmentant le taux d’emploi et en relevant l’âge de départ à la retraite. L’augmentation des heures effectives pour atteindre la moyenne de la zone euro repose principalement sur les salariés du secteur non marchand (+ 1 milliard d’heures) et ceux du secteur marchand (+ 822 millions d’heures).

Les heures ajoutées en alignant les heures effectives de la France sur celles de la zone euro correspondent à des heures supplémentaires que les travailleurs français actuels devraient effectuer. Ainsi, à effectif constant dans le secteur non marchand, chaque salarié devrait travailler environ 34 minutes de plus par jour de travail. De la même manière, à effectif inchangé, chaque salarié du secteur marchand devrait travailler 12 minutes de plus en moyenne par jour. En revanche, les heures ajoutées en s’alignant sur le taux d’emploi et l’âge de départ à la retraite de la zone euro correspondent à l’apport de nouveaux travailleurs. Par exemple, les 4,89 milliards d’heures ajoutées par un taux d’emploi de 75,9 % représenteraient 3,1 millions de travailleurs supplémentaires. Si on ajustait parfaitement les heures effectives de la zone euro à la France, les indépendants du secteur marchand travailleraient 1,2 milliard heures en moins et les indépendants du secteur non-marchand, 109 millions d’heures en moins. Le total d’heures supplémentaires travaillées serait toujours plus élevé qu’à l’heure actuelle, avec 6,3 milliards d’heures travaillées en plus.

V. Le recul de la productivité

La valeur ajoutée marchande repose sur les heures travaillées et sur la productivité. La France affiche une productivité supérieure à la moyenne de la zone euro. Le secteur marchand français génère en moyenne 49 €/h de valeur ajoutée, contre 43 €/h pour la zone euro.

La France est réputée depuis plusieurs années pour sa productivité. Cependant, les années Covid ont eu un impact significatif sur la productivité française, qui remonte peu à peu vers son niveau d’avant crise. La productivité française (en base 2023) s’élevait à 60,63 €/heure en 2019, atteignant 59,9 €/heure au dernier trimestre de 2024 selon nos calculs basés sur les données d’Eurostat. Cette tendance à la baisse ces dernières années s’explique par de nombreux facteurs structurels, conjoncturels et politiques (voir encadré).

Les raisons du recul de la productivité

D’un point de vue structurel, les confinements successifs ont fortement perturbé les chaînes de production et réduit l’investissement. On note également une augmentation significative du recours à l’apprentissage et une hausse de l’emploi peu qualifié, stimulées par des subventions et autres exonérations, ce qui impacte fortement la productivité, un apprenti ayant en moyenne une productivité inférieure de près de 50 % à celle d’un travailleur qualifié. Selon un bilan de la Banque de France, sur les 8,5% de perte de productivité en 2023, 3,1 points de pourcentage sont dus à ces facteurs.

D’un point de vue conjoncturel, la perte de productivité est imputable à la hausse des prix de l’énergie. La rétention de main-d’œuvre a quant à elle expliqué 1,8 point de pourcentage de la perte de productivité, c’est-à-dire que les entreprises ont conservé des salariés malgré la baisse de leur activité.

D’autres facteurs, très controversés et difficilement quantifiables, pourraient également expliquer cette baisse. On peut citer les débats autour de l’adoption massive du télétravail post-Covid, une démobilisation post-Covid entraînant davantage d’absentéisme et moins d’efforts, ainsi que la chute de l’investissement en 2020 (-13 %) suivie d’un rebond trop faible entre 2021 et 2023 (+7 %). Toujours selon le rapport de la Banque de France, l’augmentation notable des arrêts maladie (réduisant ainsi les heures effectivement travaillées) et l’activité à temps partiel ne contribuent plus désormais que partiellement (après avoir joué un rôle important au plus fort de la crise sanitaire) à la baisse de productivité.

La relative faiblesse de la croissance française depuis 2019 provient de la faible progression du nombre d’heures travaillées par rapport au potentiel démographique et de la baisse de la productivité.

VI. Quelle perte en termes de valeur ajoutée ?

Nous avons mesuré les pertes du PIB, exprimées en milliards d’euros constants, liées à la plus faible durée de travail en France. Les données utilisées proviennent d’Eurostat et de l’INSEE. Les calculs sont donnés sur notre site internet [2].

Principaux résultats

Nos évaluations sur le manque de valeur ajoutée imputable à la faible durée de travail en France par rapport à la moyenne de la zone euro, nous ont conduits aux résultats suivants : si la France avait eu la même durée de travail et le même taux d'emploi que la moyenne de la zone euro, elle aurait vu sa valeur ajoutée gonfler de 90,9 milliards d’euros en 2015, 86,5 milliards d’euros en 2019 et 81,2 milliards d’euros en 2023 (en euros constants de 2023).

Les 81,2 milliards € de perte de valeur ajoutée sont obtenus en alignant le nombre d'heures effectives moyen de la zone euro à la France et en ajustant ce résultat par une perte simultanée de productivité horaire qui apparaît lors d'une augmentation du taux d'emploi et de la durée de travail [3]En ajustant les calculs, on peut conclure que si la France avait eu la même durée du travail et le même taux d'emploi que la zone euro, elle aurait eu un surcroît de valeur ajoutée de 81 milliards euros (base 2023).

Peut-on mesurer la productivité du secteur public ?

Le calcul de la productivité est le rapport entre le volume de production et l’ensemble des ressources nécessaires à sa réalisation. En clair, on peut rapporter la production au volume de travail engagé (heures ou emploi, on parle alors de productivité horaire ou par tête) ou au capital fixe nécessaire.

Dans le secteur public, le calcul est rendu plus compliqué puisque les biens et services rendus sont non marchands, généralement fournis gratuitement ou à un prix symbolique (en dessous du coût réel de production). Pour calculer la productivité de l’administration une méthode assez frustre consiste simplement à faire correspondre sa valeur ajoutée à son coût de production, c’est-à-dire à la valeur totale des ressources mobilisées, essentiellement du travail dans les services publics. Dans ce cas le calcul se révèle être plutôt un coût unitaire (par heure ou par emploi). Et pour mesurer « la productivité » on devra plutôt se référer à des indicateurs de performance qui rapprochent les moyens engagés et leurs effets sur des critères de qualité, politique publique par politique publique.

Ce qu’on appelle productivité du secteur non marchand correspond donc au coût unitaire de production pour 1 heure travaillée. Si on se limite aux rémunérations qui représentent 77,9% des coûts de production dans la zone euro et même 88% en France, les principaux indicateurs de coûts de production sont les suivants :

Nous avons calculé le potentiel d’économies en nous alignant sur le niveau d’heures effectives travaillées chez nos voisins européens, tout en maintenant un niveau de salaire équivalent et un niveau d’heures totales équivalent afin de préserver le niveau actuel de service délivré. Le facteur qu’il reste à ajuster est donc le nombre de salariés, qui doit être revu à la baisse.

Si les salariés du secteur non marchand s’alignaient, à salaire constant, sur le nombre d’heures effectives travaillées en Allemagne dans le secteur non marchand, alors l’économie réalisable serait de l’ordre de 19,5 milliards d’euros. Il faudrait supprimer près de 423 400 postes dans ce secteur.

Si les salariés du secteur non marchand s’alignaient, à salaire constant, sur le nombre d’heures effectives travaillées en moyenne dans la zone euro dans le secteur non marchand, alors l’économie réalisable serait de l’ordre de 39,3 milliards d’euros. Il faudrait supprimer près de 852 117 postes dans ce secteur.

Ces chiffres démontrent le potentiel important d'économies dans le secteur public en remontant le temps de travail global (durée hebdomadaire, congés légaux, absentéisme, etc.)

Conclusion : Les propositions de la Fondation IFRAP

Les chiffres de cette étude montrent le déficit d’heures travaillées et son impact sur l’activité et la richesse du pays. Le Premier ministre a eu raison de remettre cette question au cœur du projet de redressement économique du pays. Tous les leviers pour augmenter le temps de travail et les heures travaillées doivent être activés.

1,9 milliard d'heures à aller chercher chez les personnes déjà en emploi en augmentant la durée du travail

Depuis la mise en place des 35 heures, de nombreux aménagements ont été apportés au régime des heures supplémentaires. Le plafond a été relevé en 2003 (réforme Fillon) passant de 130 à 180 heures puis en 2008 à 220 heures par an. La rémunération des heures supplémentaires, fixée à 25% de la 36 à la 43e heure, a été assouplie, pouvant être fixée par accord de branche en dessous, tout en ne devant pas être inférieure à 10%. En 2007, a été introduit l’exonération des heures supplémentaires, mesure supprimée en 2012, réintroduite en 2019 pour les seules cotisations salariales vieillesse. Par ailleurs, les heures supplémentaires sont aussi défiscalisées, mais désormais plafonnées à 7 500 € par an. Ce double plafonnement des exonérations tend à rendre moins intéressant le bénéfice des heures supplémentaires pour les revenus supérieurs.

Environ la moitié des salariés effectuent des heures supplémentaires, pour 104 heures par an en moyenne pour un gain financier brut de 1 906 €. Sachant que les heures supplémentaires sont à la fois encouragées et en même temps bridées, nous proposons de déplafonner le contingent d'heures supplémentaires.

La suppression de 2 jours fériés rapporterait près de 360 millions d'heures travaillées

Une étude de l’institut Rexecode publiée en 2023 décomposait l’écart entre la France et l’Allemagne à partir de la durée habituelle du travail et selon les motifs de périodes non travaillées. L’écart de 122 heures entre les deux pays en 2022 représentait environ 3 semaines de travail et s’expliquait principalement par les congés (l’équivalent de 4,3 semaines par an en France contre 1,6 en Allemagne) et les arrêts maladie (2,1 semaines par an en France contre 1,2 en Allemagne).

La France se situe dans la moyenne européenne en termes de jours fériés. Elle en compte aujourd’hui 11. Les pays qui en comptent le plus sont l’Espagne, Malte et la Slovaquie, plus proche de 14. En supprimant 2 jours fériés comme le propose le Premier ministre, la France se situerait à 9 jours par an, un nombre comparable aux Pays-Bas, à l’Irlande ou au Danemark.

Si on somme les jours fériés et les jours de congés légaux, on arrive à un total de 36 jours, dans la moyenne européenne. Mais cela ne prend pas en compte les jours attribués pour ARTT. En moyenne, le nombre de jours de congés déclarés (congés légaux, congés particuliers et RTT) est de 33 jours (29 jours pour le secteur privé et 45 jours pour la fonction publique).

Quel est l'impact de la suppression de 2 jours fériés ? Selon Mathieu Plane, un jour férié coûte 0,06 point de PIB, ce qui représente 1,47 milliard d’euros en 2024. Sachant que le taux d’imposition en France est de 45%, les recettes de l’État seraient de 1,3 milliard € pour 2 jours supprimés. Une autre approche consiste à diviser le PIB français par le nombre de jours ouvrés pour obtenir le PIB par jour. Sachant que 45% de l’économie est affecté lors d’un jour férié [4], seuls 4,9 milliards d’euros peuvent être rapportés par la suppression d’un jour férié, ce qui devrait rapporter à l’État environ 4,4 milliards d'euros pour deux jours fériés supprimés.

Mais la suppression de ces 2 jours fériés ne rapporterait que 360 millions d'heures travaillées, soit 5% environ du manque d'heures de la France par rapport à la moyenne de la zone euro. Cette mesure, n'est donc pas la seule solution pour combler le retard d'heures travaillées en France.

4,9 milliards d'heures à aller chercher chez les personnes en dehors de l'emploi par la poursuite des réformes du marché du travail

La définition précise du chômage au sens du BIT, aboutit à ce que de nombreuses personnes sans emploi ne soient pas considérées comme des chômeurs. Il y aurait, selon l’Insee, près de 1,9 million de personnes dans le halo autour du chômage [5] en 2023. Par ailleurs, cette notion cohabite avec le concept de sous-emploi qui comprend les personnes actives occupées qui travaillent à temps partiel et souhaitent travailler davantage. Il y avait en 2023, 1,2 million de personnes en sous-emploi. Au niveau européen, la France est avec l’Espagne le pays qui compte le plus de personnes en sous-emploi. En termes de personnes éloignées de l’emploi, la France se situe dans la moyenne européenne. Toutefois avec un taux de chômage de 7,4% elle est au-dessus de la moyenne européenne (5,7%) ou de la zone euro (6,1%) et bien au-dessus de l’Allemagne ou des Pays-Bas (entre 3 et 4%).

La France doit donc poursuivre une politique résolue d’incitation et de retour à l’emploi des personnes éloignées du marché du travail, entamée avec la réforme de l’assurance-chômage et la réforme du RSA et les nouvelles prérogatives de France Travail. Notons qu'Outre-Rhin aussi, la coalition propose de renforcer le contrôle sur les bénéficiaires : "les personnes qui sont capables de travailler et qui refusent à plusieurs reprises un travail raisonnable se verront privées de toutes leurs prestations".

En matière d’entrée sur le marché du travail des plus jeunes qui se fait plus tardivement, le taux de chômage reste encore élevé et au-dessus de la moyenne européenne. Il se situe à 16,9% alors que l’Allemagne est à 5,7% pour les 20-24 ans. Proposition : lever les freins à l'apprentissage et surtout confier davantage la formation aux entreprises (CFA).

283 millions d'heures à aller chercher en repoussant l'âge de la retraite à 65 ans

Les discussions avec les partenaires sociaux ont abouti à un projet de loi sur l'emploi des seniors adopté récemment. Sur ce sujet, la France reste mauvaise élève avec l'avant dernière place des pays de l'OCDE pour l'âge effectif de sortie du marché du travail, un peu au-dessus de 60,5 ans (hommes). Deux mesures méritent d'être encouragées : offrir une possibilité de cumul sans plafonnement des revenus dans le cadre du cumul emploi-retraite. En Allemagne, non seulement le cumul est libéré, mais il va être encouragé par une exonération d’impôt jusqu’à 2 000 € par mois. L'autre volet est de mettre en cohérence les politiques de retraite qui, en France, cherchent à reporter l'âge de départ mais en même temps multiplient les possibilités de départs anticipés. Le seul report de l'âge de départ à la retraite à 65 ans permettrait un gain d'heures travaillées de 262 millions et près de 182 000 personnes en emploi en plus.


  1. La durée effective du travail en France et en Europe en 2023, et la quantité de travail dans l’économie », décembre 2024
  2. https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/perte-de-pib-imputable-la-plus-faible-duree-du-travail-en-france-annexe-methodologique
  3. Lire notamment R. BOURLES et G. CETTE (2006) « Les évolutions de la productivité structurelle du travail dans les principaux pays industrialisés »,Bulletin de la Banque de France, n° 150, juin 2006
  4. Selon Douglas McWilliams du Centre for Economics and Business Research (CEBR), « Environ 45 % de l'économie souffre : les bureaux, les usines, les chantiers de construction où les gens ont tendance à ne pas aller travailler les jours fériés. »
  5. Figurent dans le « halo du chômage » les trois cas suivants : les personnes sans emploi en recherche active, mais n’étant pas disponible pour travailler ; les personnes qui n’ont pas recherché d’emploi, mais souhaitent travailler et sont disponibles pour travailler ; les personnes qui souhaitent travailler, mais n’ont pas recherché d’emploi et ne sont pas disponibles pour travailler.