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Décentraliser la santé

La crise du coronavirus a montré que les régions sont montées en première ligne pour assurer l’approvisionnement en masques de leurs services sociaux (ehpad, soignants, aides à domicile). La santé n’est pourtant pas à proprement parler une compétence des conseils régionaux et les investissements en la matière sont jusqu’à présent restés modestes (200 millions d’euros sur 28 milliards de budget total). Ce sont les ARS qui restent à la manœuvre pour la définition de la politique de santé en région. Tout le contraire de ce qui se passe en Allemagne où les Landers sont particulièrement impliqués dans le pilotage et le financement du système de santé hospitalier. De quoi inspirer les régions françaises ?

Santé : Les régions passent à l’action

Dès le décret du 21 mars relevant le seuil de réquisition par l’Etat, les régions ont annoncé vouloir acheter des masques pour protéger la population. La région Grand Est, qui a été la plus touchée a été la première à annoncer l’achat de 5 millions de masques pour ses Ehpad et les services d’aide à domicile. Puis Xavier Bertrand pour les Hauts-de-France a annoncé passer commande de 5 millions de masques pour les professionnels de santé, le reste étant distribué aux personnes qui continuent de travailler dans la région. Dans la foulée ce sont Renaud Muselier (région Sud-Paca) qui a commandé 4 millions de masques, Laurent Wauquiez (Auvergne-Rhône-Alpes) pour 2 millions, en plus d’une production locale de 70.000 masques par semaine. Enfin, Valérie Pécresse (région Ile-de-France) qui annonce l'achat de 20 millions de masques et Hervé Morin (Normandie) pour 2 millions de masques.

Au total 60 millions de masques auraient été achetés par les régionshttps://www.banquedesterritoires.fr/des-regions-achetent-directement-des-masques-sante-publique-france-dotee-de-860-millions-deuros. Les régions mutualisent leurs informations, mais pas forcément leurs commandes. Certaines d’entre elles racontent qu’elles se sont fait évincer au moment de se faire livrer en Chine, par des acheteurs américains, qui passent commande de plusieurs milliards de masqueshttps://www.liberation.fr/france/2020/04/01/une-commande-francaise-de-masques-detournee-vers-les-etats-unis-sur-un-tarmac-chinois_1783805. Néanmoins, les achats sont coordonnés en lien avec les Agences régionales de santé (ARS) et les acteurs locaux de façon à éviter les doublons et garantir que le matériel arrive au plus vite à tous ceux qui en ont besoin, précise l'association des Régions de Francehttps://www.lefigaro.fr/actualite-france/coronavirus-les-regions-redoutent-le-vol-de-masques-par-les-americains-20200402. Le mouvement s'étend d'ailleurs à d'autres niveaux de collectivités avec, par exemple, l'achat de 150.000 masques par le département de la Vendée ou de 70.000 autres par la ville du Mans. Hervé Morin proposera aux départements de sa région de s’associer. Le Calvados, la Manche et l’Orne ont accepté.

La santé : une compétence limitée des régions

Contrairement à d’autres régions d’Europe, les régions françaises (au sens institutionnel, les conseils régionaux) n’ont pas la compétence santé dans leurs attributionshttps://www.vie-publique.fr/eclairage/38411-les-competences-des-regions-apercu-apres-la-loi-notre. La loi NOTRe indique que la santé, le logement ou le tourisme sont des compétences partagées pour les régions. Et encore pour les régions, la santé est associée à l’action sociale.

L’analyse des comptes des régions réalisée à l’automne dernier par la Fondation iFRAP, montre que les dépenses classées au titre de la santé représentaient 50 millions d’euros en investissement et 150 millions pour le fonctionnement en 2018. Et encore sur les 150 millions, 100 millions relèvent de l’action sociale à proprement parler, dont une grande part en Corse (cette compétence étant assumée par les départements dans les autres régions). En volume, l’engagement des régions, était donc, jusqu’à cet épisode du Covid, relativement modeste, comparé au budget total de dépenses des régions de l’ordre de 28 milliards d’euros en 2018. Il s’agit souvent de participation à l’établissement de maisons de santé, au titre de l’engagement des régions à lutter contre la désertification médicale.

Néanmoins, les régions participent par d’autres moyens : la formation professionnelle d’une part : elles sont en particulier mobilisées pour la formation du personnel paramédical. Et surtout, la recherche (avec respectivement 350 millions en investissement et 150 millions en fonctionnement) qui figure au titre de leurs compétences exclusives d’action économique.

Cette coopération peut prendre la forme d’investissement dans les activités de recherche des CHUhttps://www.reseau-chu.org/article/chuconseils-regionaux-des-partenariats-nombreux-et-determinants/. Les conseils régionaux investissent également dans les projets immobiliers des hôpitaux ou les acquisitions d’équipements innovants par le biais des contrats de plan Etat-régions.  Ces investissements sont des vitrines pour les régions. Les centres de recherche ainsi financés sont pour plusieurs, dédiés au cancer.

Les régions présentes au conseil de surveillance des ARS n’ont qu’un rôle consultatif

En matière de santé, ce sont les agences régionales de santé, qui sont chargées du pilotage régional du système de santé. Elles définissent et mettent en œuvre la politique de santé en région, sous la tutelle du ministère de la Santé.

Ces agences prennent en charge la veille sanitaire, la prévention, la gestion des crises sanitaires, et la régulation de l’offre de santé. Elles coordonnent le budget de fonctionnement des hôpitaux, cliniques, centres de soins ainsi que des structures pour personnes âgées, handicapées et dépendantes.

Les régions sont présentes au conseil de surveillance des ARS aux côtés de nombreux autres acteurs. Le conseil de surveillance de l’ARShttps://www.ars.sante.fr/la-gouvernance-des-agences-regionales-de-sante réunit en effet le préfet de région, également président du conseil de surveillance, le recteur d’Académie, le directeur régional de la jeunesse, des sports, et de la cohésion sociale, un préfet de département, dix représentants des conseils d'administration des organismes locaux d'Assurance maladie, un conseiller régional, deux conseillers départementaux, un maire, trois représentants des associations d’usagers, 4 personnalités qualifiées choisies.

A ce titre, le conseil régional émet un rapport pour avis sur le projet régional de santé préparé par l’ARS. C’est ce projet qui définit les priorités de la politique régionale de santé, dans ses différents secteurs (prévention, médecine de ville, médico-social et hospitalier). Mais l’organisation et le financement reste du ressort des ARS, représentation déconcentrée du ministère de la santé dans les régions.

La santé en Allemagne : le rôle des Landers

La situation est très différente en Allemagne. Dans le système de santé allemand, les décisions sont partagées entre les régions (Länder), le gouvernement fédéral et les organisations professionnelles légales. Tous ces acteurs du système de santé allemand sont impliqués dans le financement et la prestation des soins de santé couverts par les régimes légaux d'assurancehttps://www.cleiss.fr/docs/systemes-de-sante/allemagne.html.

La régulation de l’offre de soins est assurée au niveau des Länder, en ce qui concerne la médecine de ville, entre les associations de caisses-maladie des « Länder » et les associations des médecins de caisses-maladie des « Länder », qui déterminent le nombre des médecins en ville par région et par spécialisationhttps://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Monographies__Les_conditions_d_installation_des_medecins_en_ville_dans_5_pays_europeens.pdf. La gouvernance du dispositif permet donc la déclinaison du plan national de régulation au niveau des « Länder » où les caisses régionales d’assurance maladie détiennent la compétence pour la mise en pratique du plan.

Les gouvernements des « Länder » (les ministères de la Santé des « Länder ») ont aussi la responsabilité de la structure hospitalièrehttp://gestions-hospitalieres.fr/le-systeme-de-sante-allemand/ . Ce sont eux qui pilotent l’offre de soins hospitaliers : ils élaborent une carte hospitalière qui détermine le niveau de l’offre, à la fois en quantité (nombre de lits, nombre de sites, taux d’occupation cible) et en qualité (spécialités, degré de technicité ou de spécialisation des structures).

Ils disposent également d’un droit de regard sur la qualité de la gestion des hôpitaux dès lors que leur activité pourrait être mise en péril. Ils peuvent ainsi conseiller les établissements, voire décider de mesures de redressement financier, pouvant aller à la délégation de gestion d’un hôpital public à une structure privée.

S’agissant du financement des hôpitaux, les Länder financent les investissements. Cette responsabilité est le pendant de leur compétence dans la détermination de la capacité hospitalière sur leur territoirehttps://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20150915-rapport-securite-sociale-2015-systemes-assurance-maladie-France-Allemagne.pdf. Les subventions peuvent prendre la forme d’une subvention forfaitaire, mais les grands projets font l’objet de subventions attribuées au cas par cas.

Dans le dernier rapport sur les politiques de la santé de l’OCDE, il est indiqué que le Japon et l’Allemagne ont tous les deux consacré plus de 1% de leur PIB aux dépenses d’investissement dans le secteur de la santé en 2017.

La tendance allemande est actuellement aux regroupements d’hôpitaux en vue de constituer des structures plus adaptées aux territoires. On assiste également à une mutualisation des plateaux techniques : ainsi, à Berlin, les deux grands établissements publics relevant du Land de Berlin, Viventes et Charité, qui représentent 60% de l’offre de soins sur ce territoire, ont mis en commun leurs laboratoires avec la création d’une structure moderne, le Labor Berlin. Viventes et Charité ont eux aussi créé une plateforme commune pour mutualiser leurs moyens dans le domaine de la recherche.

Néanmoins, afin de coordonner les administrations sanitaires des différents Länder, les ministres des Länder se réunissent régulièrement au sein de la « Conférence des Ministres de la Santé »https://www.lequotidiendumedecin.fr/archives/allemagne-un-ministere-de-la-sante-dans-chaque-land. Ils adoptent des résolutions à caractère non-obligatoire. De plus un groupe de travail des fonctionnaires sanitaires des Länder regroupe les directeurs de santé dans les ministères des Länder. Il coordonne le travail au niveau technique. Et le ministère fédéral de la santé est représenté dans les deux comités.

Conclusion : les régions françaises peuvent-elles s’inspirer du modèle allemand ?

L’écart est grand entre les deux modèles d’organisation de la santé mais l’expérience récente montre que les conseils régionaux pourraient monter en puissance au sein des ARS, au-delà de la seule gestion des crises sanitaires. C’est d’ailleurs un rôle qu’elles revendiquent si l'on en croit les déclarations de l’ARF qui se réjouit d’avoir obtenu deux places (au lieu d’une) dans le conseil de surveillance des Agences Régionales de Santéhttp://regions-france.org/actualites/actualites-nationales/huitpropositionscandidatspresidentielle/. Mais cela pourrait aller plus loin avec une approbation et non plus un avis sur les projets régionaux de santé définis par les ARS. Cela permettrait par exemple aux régions de dire ce qu’elles envisagent en matière de télémédecine pour aller plus loin dans la lutte contre les déserts médicaux alors que ce phénomène a pris une réelle ampleur pendant la crise du coronavirus, éventuellement avec des règles de prises en charge par l’assurance-maladie différenciées entre régions selon qu’elles sont plus ou moins pourvues entre médecins de ville, généralistes ou spécialistes.

Les régions pourraient également travailler avec l’ARS à la définition d’un service de régulation entre les urgences et la médecine de ville dans certains territoires pour assurer une continuité de la prise en charge.

En matière de définition de la carte hospitalière, la participation des collectivités pourrait aussi être requise pour investir dans les hôpitaux mais il existe une défiance à l’égard des pouvoirs locaux : que ceux-ci soient soumis à une forte pression locale pour maintenir en état un hôpital vétuste pour préserver des structures et des emplois. Mais cette difficulté pourrait être mise à plat en transférant les budgets correspondants et en rendant responsables les exécutifs locaux du financement de la carte hospitalière.

Y a-t-il un modèle allemand dans la lutte contre le coronavirus ?

Si différents paramètres expliquent que l’Allemagne résiste mieux que d’autres pays européens, pour certains l'efficacité du système fédéral allemand explique en partie ces bons résultatshttps://www.franceculture.fr/politique/y-a-t-il-un-modele-allemand-dans-la-lutte-contre-le-coronavirus. Le fédéralisme permettrait davantage de souplesse pour que les hôpitaux soient correctement équipés. Mais pour d’autres au contraire, cette décentralisation est un handicap : les décisions administratives de fermeture d’école ou d’annulations de manifestations sportives et culturelles n’ont pas forcément été alignés entre Länder, même s’il existe une conférence des ministres de la Santé pour coordonner leurs actionshttps://www.liberation.fr/planete/2020/03/16/coronavirus-l-allemagne-malade-de-son-federalisme_1781880. Mais c’est la spécificité des Länders de pouvoir légiférer chacun dans son domaine et les Allemands acceptent cette différence de traitement du moment que les résultats sont là. En France justement, les présidents de région réclament cette autonomie, particulièrement pour expérimenter un déconfinement régionaliséhttps://www.lefigaro.fr/politique/des-presidents-de-region-reclament-un-deconfinement-regionalise-20200422. Hervé Morin a jugé que «on ne peut pas imaginer traiter de la même façon la ville de Mulhouse (Haut-Rhin), durement frappée par le Covid, et un département comme la Charente, où la circulation du virus a été très faible» dans Le Parisien, et réclame un déconfinement «différencié par région ou à niveau intrarégional, avec un dialogue entre le préfet et les élus locaux».