Actualité

Assurance chômage : malgré la réforme, le système français reste le plus généreux d’Europe

Renforcer la contracyclicité de l'Assurance chômage (en liant le niveau d’indemnisation chômage au dynamisme du marché de l’emploi) et l’atteinte du plein emploi (en 2027) sont deux promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Deux mesures pour faire suite à la transformation entamée en 2019 dont l’application pleine et entière n’a été atteinte qu’en septembre 2022 (avec la mise en place du bonus-malus). A cette même date, le gouvernement présentait un projet de loi portant diverses mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. Loi qui vient d’être adoptée au Parlement pour entrer en application au 1er février prochain. Malgré ces nouvelles mesures, il faut rappeler que le régime d'Assurance chômage français reste l'un des plus généreux d'Europe notamment parce qu'il sanctionne beaucoup moins les refus d'emplois.

Un point sur la réforme qui vient d'être adoptée

  • Repenser la gouvernance

Pour rappel, la gouvernance de l’Assurance chômage est assurée par les partenaires sociaux. Mais la loi qui vient d’être votée confirme la place grandissante de l’Etat depuis 2017 dans le fonctionnement de l’Assurance chômage avec des documents de cadrage imposés par le gouvernement, le remplacement de certaines cotisations chômages par une part de CSG.

Aujourd’hui, la convention d'assurance-chômage en place est celle signée sous le gouvernement Philippe par un décret dit « de carence » constatant le défaut d'accord entre les partenaires sociaux. Négociée pour 2020, elle n'est entrée en vigueur que fin 2021 et devait s’éteindre au 31 octobre 2022 mais un décret la prolonge jusqu'au 31 janvier 2023.

Une nouvelle convention devra alors prendre le relais en incluant les mesures de la loi tout juste votée par le Parlement dont les nouvelles règles d’indemnisation des demandeurs d’emplois qui rentreront en vigueur le 1er février 2023 et ce, jusqu’au 31 décembre 2023. En 2023, enfin, une négociation interprofessionnelle sur la gouvernance de l’Assurance se tiendra avec l’objectif de préparer une nouvelle convention pour 2024 en reprenant les mesures votées aujourd’hui.

  • Introduire la contracyclicité

Le gouvernement en a fait son cheval de bataille : estimant que les règles actuelles ne favorisent pas assez à la reprise de travail, il s'agit de les faire évoluer en fonction de la conjoncture. Elles seront donc plus incitatives en période de forte activité et plus protectrices en période de crise.

Pour mettre en œuvre ce mécanisme, il faut déterminer quels paramètres durcir ou améliorer selon la conjoncture. Olivier Dussopt, ministre du Travail, a été assez clair : il ne souhaitait pas toucher au montant de l'allocation. Le texte adapte la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi qui sera réduite de 25 % avec un plancher minimal de 6 mois à partir du 1er février 2023 mais ramenée à leurs valeurs actuelles en cas de retournement économique. Un chômeur qui aurait eu droit par exemple à 12 mois d'indemnisation dans le système actuel n'aura plus droit qu'à 9 mois. La mesure ne s’appliquera pas aux intermittents du spectacle, aux dockers (deux catégories sociales susceptibles d'une forte mobilisation), aux pêcheurs, aux personnes licenciées pour motif économique bénéficiant d'un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) ou encore aux territoires ultramarins.

Une fois les règles établies, reste la question de la définition du seuil à partir duquel le marché du travail est considéré comme en crise ou, au contraire, en forte tension Le gouvernement a retenu deux indicateurs : le chômage mesuré par l'Insee au sens du BIT, avec un seuil arrêté à 9 %, et sa variation fixée, elle, à 0,8 point de pourcentage. La période est rouge dès lors que l'un ou l'autre de ces deux indicateurs a franchi les seuils respectifs. A l'inverse, la période est verte uniquement si les deux indicateurs sont inférieurs aux seuils trois trimestres de suite. Actuellement, par exemple, nous sommes en période « verte » avec un taux de chômage quasi stable autour de 7,3% depuis septembre 2020. Compte tenu de la période plancher de six mois, les premiers impacts se feront sentir à partir du 1er août 2023.

Des réserves ont été soulevées contre cette mesure : l’U2P, Union des entreprises de proximité, a rappelé que la moitié des demandeurs d'emploi ne sont pas indemnisés. Le syndicat patronal aurait également souhaité que les règles ne soient pas modifiées partout de la même façon puisque « la situation de l'emploi n'est pas la même d'un bassin d'emploi à l'autre ». C’est d’ailleurs ainsi que fonctionne le système au Canada ou Etats-Unis, pays dont s’est inspiré le gouvernement pour préparer sa réforme.

L'exemple canadien

Au Canada, par exemple, le nombre d’heures travaillées requis pour bénéficier des prestations dépend du taux de chômage régional. Plus le taux de chômage est élevé, plus le nombre d’heures travaillées requis au cours de la période de référence est bas (dans une région avec un taux de chômage inférieur à 6 %, il faut avoir travaillé 700 heures pendant la période de référence pour être éligible à l’indemnisation du chômage ; dans une région avec un taux de chômage supérieur à 13 %, il suffit d’avoir travaillé 420 heures).

De même, la durée d’indemnisation est proportionnelle à la durée d’affiliation antérieure et dépend elle aussi du taux de chômage régional. Plus le taux de chômage est élevé, plus la durée d’indemnisation est longue (une personne ayant travaillé pendant 700 heures sera éligible à 14 semaines d’indemnisation si elle réside dans une région avec un taux de chômage inférieur à 6 %, alors qu’elle sera éligible à 36 semaines dans une région avec un taux de chômage supérieur à 16 %.

Enfin, la période de référence du calcul varie également en fonction du taux de chômage régional. Ainsi, dans les régions où le taux de chômage est supérieur à 13 %, le calcul sera basé sur les 14 meilleures semaines ; dans les régions où le taux de chômage est inférieur à 6 %, le calcul sera basé sur les 22 meilleures semaines (alors que dans ces dernières, il faut avoir travaillé environ 17,5 semaines pour être éligible à l’indemnisation du chômage ; dans le premier cas, 10,5).

Source Unedic

La régionalisation a toutefois été écartée en France. Une telle mesure aurait sans doute impliqué une régionalisation également des politiques de l'emploi et posé la question de la décentralisation de Pôle Emploi. Autre difficulté à laquelle il faudra être attentif : que la réforme ne se transforme pas en "usine à gaz" avec des critères trop vagues ou au contraire trop précis qui rendent le dispositif peu fluide.

Mais comme le note le Conseil d'analyse économique, cette réforme doit reposer la question des règles d'indemnisation et du pilotage à long terme du régime de l'assurance chômage alors que les renégociations Unedic qui ont lieu tous les trois ans ont l'inconvénient de mettre "la pression pour équilibrer les comptes en bas du cycle, et crée une incitation à baisser les cotisations en haut de cycle (au lieu de générer des surplus pour piloter le bas du cycle)". 

  • La suppression des allocations en cas de refus d’un CDI

Pour cette mesure, ce sont les sénateurs LR qui ont été à la manœuvre : dans la version finale du texte il est prévu que si l’employeur propose un CDI à l’échéance d’un CDD pour occuper le même emploi, ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente pour une durée de travail équivalente, relevant de la même classification et sans changement du lieu de travail, ou si, à l’issue d’une mission d’intérim, l’entreprise utilisatrice propose au salarié de conclure un CDI dans les mêmes conditions, cette proposition doit être notifiée par écrit au salarié et l’entreprise doit en informer Pole Emploi. S’il est constaté qu’un demandeur d’emploi a refusé à deux reprises ce genre de proposition au cours des 12 derniers mois, le bénéfice de l’allocation d’assurance ne lui sera plus ouvert.

  • L’abandon de poste équivaut désormais à une démission

Autre nouveauté, le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

L’un des régimes les plus généraux d’Europe

Incontestablement, après l’introduction de la dégressivité (mais uniquement sur les hauts salaires et les cadres), du bonus-malus sur les contrats courts, et du nouveau mode de calcul de l’allocation chômage qui a modifié le salaire journalier de référence (SJR) fixé non plus sur les jours travaillés dans les 12 derniers mois, mais sur le revenu moyen mensuel des 12 derniers mois prenant en compte les jours travaillés, mais aussi les périodes d’inactivité[1], l’Etat cherche à durcir les règles encadrant l’Assurance chômage et ce, en reprenant peu à peu la main sur le processus de négociation. Malgré cela, il convient de rappeler sur la France conserve, même après l’application des mesures, l’un des systèmes d’Assurance chômage les plus généreux d’Europe. 

  • La France dépense plus en aides de retour à l’emploi que ses voisins européens

Pris au sens large (en y incluant la prime d’activité, le RSA, etc.), la France est un des pays qui dépense le plus pour les aides au retour à l'emploi.

Poids budgétaire des aides de retour à l’emploi en points de PIB en 2019

Assurance chômage : comparaison des paramètres d’indemnisation (au 20 juillet 2022)

 

Conditions d’éligibilité

Durée d’indemnisation

Montant de l’indemnisation

Plafond de l’indemnisation

France

6 mois de cotisation sur les 24 derniers mois

6 à 24 mois pour les moins de 53 ans***

57 % du salaire journalier de référence plafonné à 13 712 €

7 708 €

  • Rémunération mensuelle max prise en compte : 13 712 €
  • Plafond de l'indemnisation au bout du 7ème mois : 4 700 €

Allemagne

12 mois de cotisation sur les 30 derniers mois

Entre 6 et 12 mois pour les moins de 50 ans**

Entre 60 et 67 % du salaire de référence plafonné à 6 700 € (7 100 € anciens Länder)

3 019,50 € dans les anciens Länder ;

2 918,40 € dans les nouveaux Länder

Pays-Bas

26 semaines de cotisation au cours des 38 semaines précédentes

Entre 3 et 24 mois selon la durée de cotisation

75 % du revenu de référence les deux premiers mois, puis 70 %

3 735 €

Danemark

1 an d’affiliation à une caisse d’assurance chômage et justification d’un revenu d’au moins 33 203 €* sur les trois dernières années

Jusqu’à 2 ans sur une période de 3 ans

90 % du salaire de référence

2 600 €*

Royaume-Uni

7 150 € de cotisations minimales au cours des deux dernières années fiscales complètes

182 jours

89 € par semaine*

Montant forfaitaire égal pour tous

*Taux de conversion au 8 septembre 2022 ; ** : 15 mois pour les demandeurs d’emploi âgés de 50 ans et plus, 18 mois pour les demandeurs d’emploi âgés de 55 ans et plus, 24 mois pour les demandeurs d’emploi âgés de 58 ans et plus ; *** : 30 mois pour les demandeurs d’emploi âgés de 53 et 54 ans, 36 mois pour les demandeurs d’emploi de 55 ans et plus.

Plusieurs différences émergent lorsque l’on compare les paramètres des modèles d’assurance chômage en Europe :

  1. Depuis l’allongement de la durée minimum d’affiliation de 4 à 6 mois en 2019, le ratio d’éligibilité français (rapport entre durée minimum d’affiliation et période de calcul) a augmenté à 0,25, mais reste toutefois inférieur à celui de ses voisins : 0,4 en Allemagne et 0,72 aux Pays-Bas par exemple. La France se situe dans la fourchette basse concernant l’exigence des conditions d’éligibilité.
  2. Pour la durée d’indemnisation, la France est avec 24 mois, dans le haut du panier, à un niveau certes équivalent des durées danoises et néerlandaises, mais au moins deux fois supérieur à la Finlande, l’Allemagne et le Royaume-Uni. C’est tout l’enjeu de la réforme qui va être mise en œuvre en fonction de la conjoncture économique.
  3. Avec une indemnisation brute entre 57 % et 75 % du salaire de référence, la France se situe plutôt en haut de classement parmi les autres pays d'Europe. Il faudra regarder là aussi dans le temps les effets de la modification du mode de calcul du SJR. À noter : les Pays-Bas, la Suède et l’Espagne disposent d’allocations dégressives dans le temps.
  4. Si le plafond d’indemnisation (7 708 €) est plus élevé en France, cette tranche concerne très peu de bénéficiaires et est « rentable » pour l’Unédic.
  5. Enfin, alors que les sanctions encourues par les bénéficiaires en cas de manquements sont théoriquement similaires, la France se place loin derrière ses voisins européens en matière d’obligation de recherche active d’emploi et surtout dans la mise en place effective des sanctions.
  • Pas de sanction pour un premier refus d’offre d’emploi : l’exception française

Assurance chômage : comparaison des sanctions selon les manquements (au 20 juillet 2022)

 

France

Allemagne*

Royaume-Uni

Finlande

1er refus d’offre d’emploi convenable ou de formation professionnelle

Pas de sanction

Suspension de l’allocation pour 3 semaines

Suspension de l’allocation pour 3 mois

Suspension de l’allocation pour 2 mois

2e refus d’offre d’emploi ou de formation

Suspension de l’allocation pour 1 mois

Suspension de l’allocation pour 6 semaines

Suspension de l’allocation pour 6 mois

Suspension de l’allocation pour 2 mois

3e refus d’offre d’emploi ou de formation

Suspension de l’allocation pour 2 mois

Suspension de l’allocation pour 3 mois

Fermeture des droits

Suspension de l’allocation pour 2 mois

> 3 refus d’offre d’emploi convenable ou de formation

Suspension de l’allocation pour 4 mois

Fermeture des droits

Fermeture des droits

Suspension de l’allocation pour 2 mois

Absence à une convocation de l’agence pour l’emploi n°1

Suspension de l’allocation pour 1 mois

Suspension de l’allocation pour 1 semaine

Suspension de l’allocation pour 1 semaine

Suspension de l’allocation pour 3 semaines

Absence à une convocation n°2

Suspension de l’allocation pour 2 mois

Suspension de l’allocation pour 1 semaine

Suspension de l’allocation pour 2 semaines

Suspension de l’allocation pour 3 semaines

Recherche d’emploi insuffisante

Suspension de l’allocation pour 1 mois**

Suspension de l’allocation pour 2 semaines

Suspension de l’allocation pour 1 mois

Suspension de l’allocation pour 2 mois

* En Allemagne, chaque jour de suspension d’indemnités réduit d’autant la durée totale de couverture ; ** : En cas d'absence de déclaration ou déclaration mensongère, la radiation est définitive. Toutefois, si la fausse déclaration est liée à une activité non déclarée d'une durée très brève, la suppression peut être de 2 à 6 mois.

La France est le seul pays à ne pas sanctionner les chômeurs qui refusent une première offre d’emploi remplissant pourtant les critères d’acceptabilité définis avec l’agence pour l’emploi. Les critères définissant l’obligation d’accepter une « offre raisonnable d’emploi » (ORE), existent mais ne sont pas assez efficaces. La réforme de l’assurance chômage en 2019 allait dans le bon sens mais reste insuffisante.

En Allemagne, les chômeurs de courte durée s'engagent sur un contrat d’insertion fixant les obligations à respecter et les sanctions en cas de manquements : ils doivent attester d'une recherche active d'emploi et ont l'obligation d'accepter toute offre d'embauche. La définition d’offre d’emploi « raisonnable » est plus large qu’en France. Un demandeur d’emploi est soumis à l’obligation d’accepter toute offre d’embauche, à quelques rares exceptions près, même s’il s’agit d’un temps partiel. Une offre doit être acceptée si le temps de trajet est inférieur à 2h30. Le seuil salarial de refus légitime est dégressif : une décote de 20 % est imposée à l’ouverture des droits, qui passe à 30 % au quatrième mois avant que le montant de l’allocation chômage lui-même devienne le seuil salarial. Même logique en Norvège, où un chômeur doit être prêt à accepter tout emploi sur l’ensemble du territoire.

Depuis le décret de janvier 2019 qui révise les conditions de l'offre raisonnable d'emploi en France, les modalités se sont durcies. Mais avec la crise sanitaire, il est difficile d'estimer l'impact de ce changement réglementaire.

  • Les propositions de la Fondation iFRAP :
  1. Tout premier refus d’une offre convenable d’emploi doit être sanctionné,
  2. Inclure les emplois à temps partiel dans les critères de l’ORE,
  3. Instaurer une vraie dégressivité du seuil salarial de refus d’une offre d’emploi en s’inspirant du modèle allemand.

Voir nos propositions sur ce sujet dans l'étude Pour le travail, contre l'assistanat : les solutions


[1] Les demandeurs d’emploi qui ont un rythme de travail fractionné risquent plus d’être touchés par une baisse de leur allocation chômage.