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Reculade sur les baisses de dotations, déficits au tournant

Après le dégel du point d’indice annoncé la semaine dernière pour un coût public de 2,4 milliards d’euros, c’est maintenant sur les baisses de dotations aux collectivités locales que le gouvernement recule. Sur chacun des deux sujets, on voit bien le calcul électoral mais on ne peut que s’inquiéter fortement pour les déficits 2016 et 2017. 

Cette nouvelle annonce n’est que la suite logique de l’annonce unilatérale du dégel du point d’indice des fonctionnaires de l’Etat, des territoires et des Hôpitaux. Ou quand une mauvaise décision en engendre une autre… Il est clair que nos finances publiques n’ont pourtant pas les marges nécessaires pour financer tout cela. Et ce d’autant plus que la liste commence à devenir bien longue des annonces nouvelles non financées et non budgétées pour 2016 et 2017. L’impression que cela donne est vraiment celle d’un gouvernement lâchant complètement ses objectifs de rétablissement des comptes publics.

Les derniers mois ont tous apporté leurs lots de nouvelles annonces de dépenses :

  • 815 millions de dépenses supplémentaires pour le régalien avec 5.000 embauches en deux ans au ministère de l'Intérieur, dans la police et la gendarmerie ;
  • 2.500 postes en deux ans  à la Justice et 1.000 postes dans les services de la Douane, toujours en 2 ans ;
  • 2.300 postes au ministère de la Défense et stabilisation des effectifs jusqu'en 2019.

Le ministère du Budget, a bien précisé que ces nouvelles dépenses ne seront pas financées par de nouvelles économies.

  • Un milliard d’euros a été aussi annoncé ces dernières semaines pour les agriculteurs ;
  • La généralisation de la garantie jeune dans le cadre du projet de loi El Khomri (420 €/mois pour 50.000 jeunes) qui coûte actuellement 250 millions d’euros, pourrait voir son montant exploser à 418 millions d’euros en 2017 (à condition d’un non recours massif[1]), et même théoriquement jusqu'à 1,6 milliard.
  • Et, la semaine dernière, 2,4 milliards d'euros pour l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, toujours sur deux ans ;

Cette annonce a déclenché le courroux légitime des employeurs publics des hôpitaux et des collectivités locales qui ont face à eux un gouvernement qui leur demande des économies mais leur augmentent leurs coûts fixes sans leur demander aucunement leur avis.  Pour financer cette promesse d’augmentation du point d’indice, le gouvernement annonce maintenant renoncer à la baisse des dotations de 3,7 milliards d'euros aux collectivités.

Si l’on fait l’addition de toutes ces nouvelles dépenses et reculades, sur deux ans, l’addition est de 9,3 milliards. Même si Bercy s’apprête à annoncer que le déficit sera moins élevé que prévu en 2015… avec 70,3 milliards au lieu de 73,3, il n’y a pas de quoi annoncer de nouvelles dépenses car cette baisse du déficit ne vient pas de baisses supplémentaires des dépenses mais, en très grande partie, de la baisse de la charge de la dette du fait du faible niveau des taux d'intérêt et de l’effondrement de l’investissement public.

Et nous avons déjà montré dans le cadre d’une étude sur le projet de loi de finances pour 2016, qu’il y avait en germe cette année un risque de dérapage des déficits d’environ 10 milliards d’euros. Vu la tournure que prennent les annonces gouvernementales qui semblent passer dans un mode « open bar » sur les dépenses publiques, on peut craindre que le déficit 2017 ne soit très sérieusement augmenté aussi. C’est d’ailleurs exactement ce que dit la Commission européenne qui a tancé Paris dernièrement, l’encourageant à ne pas abandonner ses objectifs de bonne gestion budgétaire.

Contrairement à l’objectif affiché du Gouvernement à 3,3% de déficit en 2016, Bruxelles anticipait avant toutes ces annonces « dépensières » au moins 3,4% quand la Fondation iFRAP estime le déficit 2016 à 3,56%. Idem en 2017 où la Commission européenne anticipe plus de 3% de déficit quand le Gouvernement annonce passer en dessous de la barre des 3%...

L’impression que cela donne est nettement que 2017 est une année où le gouvernement se moque de ne pas respecter ses engagements puisqu’il y a de grandes chances que le gouvernement ne soit plus le même après les élections et que les chiffres des comptes publics définitifs pour 2017 ne seront connus réellement qu'en… mars 2018. Ce qui retardera d’autant le devoir d’inventaire.

Cette fuite en avant sur la dépense et les promesses électoralistes du gouvernement font d’autant plus mal quand on voit que le budget présenté ces jours-ci par l’Allemagne sera, lui, toujours en équilibre en 2016. 

En 5 ans, le gouvernement sera passé totalement à côté de sa mission de redressement des comptes publics, ne connaissant que les hausses d’impôts pour renflouer les caisses et aucunement les baisses de dépenses. Les dépenses publiques seront passées, sur le quinquennat de François Hollande, de 1.151 milliards à 1.283,5 milliards en 2017. Soit +132 milliards de dépenses publiques. Sur la même période, le PIB de la France sera passé de 2.032 milliards à 2.212 (prévision LPFP 2014-2019), soit +180 milliards.  

Sur la période 2012-2017, si on en croit les prévisions gouvernementales, c’est donc plus de 73% de la croissance du PIB qui vient de… l’augmentation des dépenses publiques.  Cette législature aura encore été celle du renoncement à une meilleure gestion publique.

Plutôt que d’encourager les collectivités à baisser leurs dépenses de fonctionnement ou leur donner des bonus pour bonne gestion ou mutualisations, le gouvernement préfère céder sur les baisses de dotations (voir l’abandon en PLF 2016 de la mise en place d’un coefficient de mutualisation). Plutôt que d’augmenter le temps de travail des agents, il préfère continuer d’embaucher dans des administrations déjà pléthoriques où le phénomène du sous-travail et de l’absentéisme[2] est devenu de plus en plus prégnant, mais où la France peut (ou non) s’enorgueillir de compter le plus grand nombre d’agents de son histoire avec, selon les deniers chiffres INSEE 5,640 millions d’agents en 2014, y compris les contrats aidés…

Certes, on a une baisse de l’investissement public qui pèse sur les PME de nos territoires (investissements locaux dont la nécessité au niveau des communes et intercommunalités est difficile à évaluer car il n’y a tout simplement… pas de statistiques !) mais on a surtout au départ un problème de dépenses de fonctionnement de nos administrations et on n’en a clairement pas fini avec les déficits publics au vu des annonces de ces dernières semaines. Et peut-être des prochaines. Restons vigilants car le dérapage budgétaire nous attend.


[1] En effet, l’hypothèse retenue par le gouvernement est estimée à 200.000 bénéficiaires contre 100.000 précédemment chiffrés. Cependant, sur 900.000 jeunes de moins de 26 ans en précarité, 500.000 sont théoriquement éligibles. Le coût pourrait donc déraper à près de 1,6 milliard en cas de recours à 100%. Voir, http://www.huffingtonpost.fr/2016/03/15/garantie-jeune-etudiant-syndicat-loi-travail-el-khomri_n_9466990.html

[2] Sur ce chapitre le rapport très attendu de la mission confiée au maire de Sceaux, secrétaire général de l'AMF et président du CSFPT, Philippe Laurent, ne devrait pas aboutir à des statistiques percutantes, dans la mesure où le rapport est annoncé quasiment sans chiffres, tant les situations rencontrées sont singulières : voir http://www.acteurspublics.com/2016/03/11/philippe-laurent-les-agents-publics-sont-tres-souvent-au-dessus-des-35-heures