Quelles seraient les potentielles mesures d'un plan FMI/BCE en France ?

Les conclusions de la mission pour 2025 du FMI parues au mois de mai dernier sont alarmantes quant à la situation budgétaire de la France. Le FMI appelle la France à redresser rapidement ses finances publiques en réduisant les dépenses et sans augmentation durable de la fiscalité. Il s'agit de ne pas peser davantage sur les entreprises et les ménages étant donné les niveaux de prélèvement déjà très élevés dans le pays. L’inquiétude s’intensifie et on peut légitimement redouter une intervention du FMI en France : les taux de rendement des OAT sont en hausse soutenue depuis la crise Covid, le spread des taux avec l’Allemagne ne cesse de s’élargir, et surtout l’instabilité politique ne semble pas s’arranger depuis la dissolution. La censure du gouvernement Bayrou et la démission suivie de la deuxième nomination de Sébastien Lecornu sont de mauvaise augure pour l’élaboration d’un projet de loi de finances d’ici la fin de l’année. Quelles politiques d’ajustement structurel pourrait exiger le FMI en échange de son intervention en France ? Quelles conséquences économiques et sociales aurait cette intervention ?
Les 15 mesures potentielles du FMI en France
En nous basant sur les différents exemples de crise de la dette dans des pays de la zone euro (Grèce, Portugal, Irlande), qui ont entraîné une prise en charge par le FMI, voici à quoi pourraient ressembler ces mesures. Elles seraient dans les faits certainement formulées par une troïka, comme en Grèce par exemple, où le FMI était intervenu aux côtés de la BCE et de la Commission européenne.
Dans la fonction publique
1/ Baisse de salaires et hausse du temps de travail des fonctionnaires
Il pourrait en effet s'agir dans un premier temps de baisser les salaires des fonctionnaires et d'augmenter leur temps de travail. En Grèce, l'intervention du FMI avait entraîné une baisse de salaires des fonctionnaires de 20 à 30 %. Cette baisse avait été de 15 % au Portugal et de 14 % en Irlande. Le FMI avait également exigé la suppression des bonus et promotions au Portugal. Quant à la hausse du nombre d’heures de travail hebdomadaires, on était passé de 37,5 à 40 heures en Grèce, de 35 à 40 heures au Portugal et de 35 à 37 heures ou 37 à 39 heures selon le secteur en Irlande.
2/ Licenciement ou non-remplacement de fonctionnaires
Toujours concernant la fonction publique, c'est 275 000 fonctionnaires qui avaient été licenciés ou non-remplacés (-30 % des effectifs) en Grèce suite à l'intervention du FMI. Il avait également exigé une baisse de 12 % des effectifs au Portugal, et de plus de 10 % en Irlande.
3/ Réduction des dépenses des collectivités locales
Le FMI pourrait également imposer une réduction des dépenses des collectivités locales. Elles avaient été de 40 % en Grèce, de 22 % au Portugal et de 60 % en Irlande. Dans ce dernier pays, on avait également observé une baisse de 40 % du nombre d’élus locaux et la division par quatre du nombre d’autorités locales.
En Grèce, le nombre de collectivités avait été divisé par deux, par des fusions de municipalités et régions. Le FMI avait également imposé dans ce même pays une règle de non-déficit pour les collectivités locales.
4/ Programme de privatisation d’entreprises publiques
On observe finalement que lorsqu'il était intervenu en Grèce et au Portugal, le FMI avait lancé d'importants programmes de privatisation d'entreprises, qui comprenaient des privatisations massives de ports, aéroports, compagnies des eaux et d’électricité, services postaux, etc. Mesure que le FMI pourrait reproduire en France dans l'hypothèse de son intervention.
Santé et éducation
Les mesures imposées par le FMI en France pourraient également concerner les secteurs de la santé et de l'éducation.
5/ Réduction des dépenses de santé et fermeture d’hôpitaux
En Grèce, les dépenses de santé ont été plafonnées à 6%. Le Portugal avait dû observer une réduction de 20 % de ces mêmes dépenses. En Irlande, le FMI avait également imposé une baisse des dépenses de santé. La dépense publique en la matière est alors passée de 8% du PIB en 2010 à 5% en 2015.
En parallèle, la Grèce et le Portugal avaient dû opérer une hausse des frais à la charge des patients, alors qu'en Irlande, l’aide médicale gratuite avait été davantage conditionnée.
6/ Coupes budgétaires dans l’éducation et fermeture d’écoles
Dans chacun des pays où le FMI est intervenu, il a imposé des coupes budgétaires pour l’éducation, ainsi que des fermetures d’écoles. Plus de 1 000 écoles avaient fermé leurs portes en Grèce, alors que les enseignants du pays avaient vu leurs salaires diminuer de plus de 30 %, pour une baisse totale de 22 % des dépenses d’éducation du pays.
Au Portugal, les dépenses allouées à l'éducation avaient été réduites de 25 %. De la même manière, il avait été imposé une baisse de 33 % des dépenses d’éducation en pourcentage de PIB en Irlande.
Ces coupes budgétaires s'étaient notamment traduites au Portugal par une hausse du nombre d’élèves par classe, la baisse du nombre d’enseignants et la restriction de l’accès aux bourses étudiantes.
Défense et sécurité intérieur
Le FMI pourrait également imposer en France des mesures budgétaires concernant le domaine de la défense et celui de la sécurité intérieure.
7/ Réduction du budget de la défense
En Grèce, les dépenses concernant la défense avaient été réduites de moitié. Cela s'était notamment traduit par un gel des achats d’équipements, une réduction des effectifs, et la fermeture ou la fusion de bases militaires.
8/ Baisse du budget de la police et des prisons
En Irlande, le FMI avait imposé le gel des recrutements dans la police et la fermeture de commissariats pour une réduction totale de 23 % des dépenses dans les services de police.
Retraites
Le système de retraites français pourrait également être ciblé par le FMI.
9/ Gel ou baisse des pensions de retraite
En Grèce, les pensions ont été plafonnées, gelées (comme au Portugal), et réduites de 15% pour toutes les retraites, avec la suppression des 13ème et 14ème mois. Plus encore pour les retraites complémentaires ou de plus de 1 400 €.
Au Portugal, les pensions avaient été recalculées sur la base de la moyenne des salaires versés tout au long de la carrière professionnelle (et non plus sur les dernières années de travail).
En Irlande, le FMI avait imposé de couper de 4% en moyenne les pensions de retraite des fonctionnaires, allant jusqu'à 12% pour les pensions de plus de 60 000 euros par an. Mais pour une pension à 1000 euros mensuels, la coupe était déjà de 6%...
Le FMI pourrait couper en France les pensions de retraite comme il l'a fait en Grèce.
10/ Report de l’âge légal de départ à la retraite
Partout l'âge légal de départ à la retraite a été reporté par le FMI (de 60 ans à 65 ans, puis 67 ans en Grèce; de 60 à 65, puis 66 ans au Portugal; à 66 ans en Irlande).
En Grèce, le FMI a opéré une restriction des départs à la retraite anticipée, la suppression des régimes spéciaux et l'alignement des retraites des fonctionnaires avec celles du privé.
Si le FMI venait à intervenir en France, il pourrait donc imposer une réforme du système de retraite bien plus exigeante que celle en vigueur à l'heure actuelle.
Travail et emploi
Le FMI pourrait également sévir en France dans le secteur de l'emploi.
11/ Réduction du salaire et allongement du temps de travail
En Grèce, le salaire minimum a été réduit de 22 % en un an. En Irlande, le paiement des heures supplémentaires a dû être réduit. Au Portugal enfin, la durée de travail quotidien a été augmentée de 30 minutes, mesure couplée à la suppression de jours de congé et de jours fériés.
Cette dernière mesure fait écho à une de celles sur lesquelles le gouvernement de François Bayrou a été censuré par l'Assemblée Nationale, en France... Le FMI pourrait simplement nous l'imposer.
12/ Flexibilisation du marché du travail
Le FMI a pu également en Europe imposer des mesures en vue de rendre plus flexible le marché du travail, et on pourrait imaginer en France des mesures similaires. En Grèce et au Portugal, les conditions de licenciement des salariés ont été assouplies, et les indemnités de licenciement diminuées. Certaines professions protégées (taxis, services postaux, énergie, télécommunication…) ont été libéralisées. Le rôle des conventions collectives a été limité et leur nombre a été réduit.
13/ Réduction des prestations sociales liées au chômage et à la solidarité
Toujours dans le secteur de l'emploi, le FMI a imposé par le passé des réductions de prestations sociales liées au chômage et à la solidarité. Au vue de la fuite en avant de nos dépenses sociales, elles seraient en France incontournables, toujours dans l'hypothèse d'une intervention du FMI. L'Irlande et le Portugal ont dû par exemple opérer des restrictions d’accès et des baisses du montant des allocations chômage. En Irlande, les allocations familiales ont dû être revues à la baisse. Au Portugal finalement, le montant des allocations du revenu social d’insertion (RSI) a baissé de 20 %.
Transports publics
14/ Réduction des dépenses liées aux transports publics
En France, on observe que le FMI pourrait également viser le secteur des transports publics.
En effet, les dépenses qui y étaient allouées ont été réduites de 50 % au Portugal, et 60 % en Irlande. Dans ces deux pays, cela s'est notamment traduit par la suppression de lignes de bus et réduction de la fréquence de passage des transports.
Fiscalité
Enfin, on constate le FMI peut contraindre les systèmes fiscaux des pays dans lesquels il intervient.
15/ Simplification du système fiscal et réduction du nombre de niches fiscales
Il pourrait s'agir en France d'opérer une simplification du système fiscal ou la réduction du nombre de niches fiscales. On note par exemple que pour les îles grecques, l'exonération de TVA avait été supprimée. Toujours en Grèce, l'exonération de taxes sur le diesel pour les agriculteur avait dû disparaître, ainsi que des exonérations fiscales et taux réduits sur l'impôt sur les sociétés.
Note : Le programme d’ajustement structurel de l’Irlande comportait également un volet très important de forte hausse de la fiscalité. La Grèce et le Portugal ont aussi connu des hausses d'impôts et de taxes, notamment de la TVA. Ces mesures n’apparaissent pas dans le tableau puisque le FMI précise dans ses conclusions de la mission pour 2025 que les prélèvements obligatoires sont déjà à un niveau trop élevé en France (contrairement à l’Irlande). Pour le volet fiscal en France, le FMI ne préconise que des mesures de lutte contre l’évasion fiscale et de suppression de niches fiscales. |
Les résultats et conséquences des programmes d’ajustement structurel
Les résultats des politiques d’ajustement sur la dette et le déficit de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande ont été impressionnants. Le déficit primaire passe de 10 % du PIB à 1,4 % en Grèce et de 7 % à 0,3 % au Portugal. Le déficit public passe de 13,6 % du PIB à 2 % en Irlande. Le taux des obligations chute également dans les trois pays : il passe de 40 % à 8 % en un an en Grèce, et de 14,45 % à 3,54 % en moins de deux ans en Irlande.