FMI : Regards croisés entre la France et l’Italie

Dans une interview du JDD parue le 8 juin 2025, la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin n’y va pas par quatre chemins : « je refuse que la dette soit le premier poste de dépense. Je refuse qu’on doive choisir entre l’hôpital et la défense. Je refuse que ce soient des créanciers étrangers qui, demain, nous dictent nos choix. […] Mes collègues doivent en être pleinement conscients : si nous ne faisons pas ces choix maintenant, ce seront nos créanciers ou le FMI qui nous les imposeront. » Raison de plus pour interroger à ce titre les conclusions rendues par le FMI à l’issue de leur mission de 2025 au titre de l’article IV de ses statuts s’agissant de la France et de sa voisine l’Italie. Le FMI y pointe pour la France une croissance atone (0,6 % en 2025), un déficit qui pourrait rester autour de 6 % du PIB sans effort supplémentaire, et une dette publique en hausse jusqu’en 2030. À l’inverse, l’Italie a renoué dès 2024 avec un excédent primaire et un solde budgétaire meilleur qu’escompté (-3,4 point de PIB). Les évaluations économiques assurées à ce titre montrent un écart saisissant entre notre pays et notre voisin transalpin… qu’il convient de bien mettre en lumière.
Les missions en vertu de l’article IV des statuts du FMIEn vertu duquel des missions d’évaluation économiques sont assurées afin de s’assurer de la stabilité financière des États membres : « chaque État membre s’engage à collaborer avec le Fonds et avec les autres États membres pour assurer le maintien de régimes de change ordonnés et promouvoir un système stable de taux de change. » Les consultations de l’article IV du FMI incluent des évaluations sur la politique budgétaire, monétaire, de change, la stabilité financière, la soutenabilité de la dette, le changement climatique, la numérisation et les inégalités sociales. Les enquêtes visent à surveiller la santé économique des pays membres, à identifier les vulnérabilités et à proposer à cette fin des recommandations adéquates. Elles consistent en des visites sur place et des discussions avec les pouvoirs publics et d’autres parties prenantes. |

Une France à la peine en vertu des conclusions récentes du FMI :
Dans les conclusions de son rapport rendu public le 22 mai dernier[2], le FMI ne mâche pas ses mots vis-à-vis de la France : « compte tenu du niveau élevé et croissant de la dette, ainsi que des vents contraires aux niveaux national et international qui freinent la reprise, il est nécessaire de redresser les finances publiques et de poursuivre des réformes structurelles. » Par ailleurs, cet effort de redressement afin de parvenir à faire baisser le déficit public sous les 3% du PIB d’ici à 2029 « doit être étayé par un ensemble de mesures bien défini et crédible. »
À cet égard, la mission du FMI constate que la croissance du PIB réel devrait ralentir à 0,6% du PIB en 2025 (contre 1,1% en 2024) et n’atteindre à nouveau que 1% en 2026, tandis qu’à moyen terme (2030) la croissance ne devrait atteindre que 1,2% environ « avant de décélérer vers son potentiel de long terme de 1% ». Dans un contexte globalement désinflationniste avec un IPCH prévu à 1,2% en 2025 en lien avec la baisse des prix de l’énergie, autorisant une inflation sous-jacente estimée à 1,9%.
Le FMI note que dans un tel contexte « la fragmentation politique et les tensions sociales pourraient retarder les efforts de consolidation budgétaire et (les) réformes » augmentant d’autant les risques budgétaires.
Dans ce cadre, ramener le déficit au-dessous de 3% du PIB d’ici 2029 supposerait que le PSMT 2025-2029 communiqué à la Commission européenne soit « étayé par un ensemble de mesures bien défini et crédible ». En effet, dans un scénario à politique inchangée – n’intégrant que les mesures adoptées et clairement documentées – le déficit 2025 pourrait bien atteindre la cible de 5,4% du PIB, conformément à l’objectif du Gouvernement, cependant que « sans l’adoption de mesures additionnelles significatives, il resterait autour de 6% du PIB à moyen terme et la dette publique continuerait d’augmenter jusqu’en 2030. »
Le FMI relève en effet que « la dynamique de la dette s’est significativement dégradée à la suite des dérapages budgétaires successifs en 2023 et 2024 et reste très sensible à la trajectoire des taux d’intérêt réels et de la croissance.[3] »
Des efforts budgétaires massifs sont demandés, centrés sur les dépenses :
Pour y parvenir, le FMI recommande un ajustement structurel important de 1,1% du PIB en 2026 puis de 0,9% du PIB en moyenne par an en moyenne à moyen terme. Cet effort est en ligne avec la trajectoire actuelle du Gouvernement. Cette trajectoire permettant à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif (PDE) d’ici la fin 2029. Si cette trajectoire d’ajustement était suivie, elle permettrait à la France d’atteindre un solde primaire stabilisant sa dette en 2027… mais pas avant.
Le cocktail jugé efficace de la consolidation budgétaire impliquerait des arbitrages délicats reposant prioritairement sur une baisse des dépenses :
Compte tenu du niveau de prélèvements obligatoires « déjà élevée en France, toute nouvelle mesure fiscale devrait être ciblée sur la réduction des dépenses fiscales et sociales inefficientes et sur la lutte contre l’évasion fiscale ». Et à ce sujet, le FMI met les pouvoirs publics en garde : « un redressement des finances publiques de l’ampleur de l’effort prévu (…) qui passerait uniquement par la fiscalité pèserait sur la confiance des entreprises, la consommation des ménages et le potentiel de croissance. » Le « Tout fiscal » est donc à bannir, hors rabot sur les niches et lutte contre la fraude.
Le gros de l’effort devrait donc se concentrer sur la rationalisation des dépenses publiques, afin de renforcer leur efficience, au moyen d’une action à tous les niveaux d’administrations publiques : État, administrations de sécurité sociale, collectivités territoriales. La France affichant un ratio de dépenses publiques le plus élevé de l’UE, le FMI cible en particulier :
Les efforts visant à minimiser les enchevêtrements entre les différents niveaux d’administration, y compris au sein des collectivités territoriales, afin de s’attaquer aux « doublons » et à la lourdeur administrative.
Il existe « des marges pour améliorer le ciblage des prestations sociales » dont l’éligibilité et la durée de l’indemnisation chômage, et la simplification et l’harmonisation des régimes de retraite.
Enfin le FMI appelle à renforcer le pilotage et la coordination budgétaire entre l’État et les collectivités territoriales[4].
Le FMI appelle par ailleurs les pouvoirs publics français à mettre en place des réserves budgétaires afin de disposer de « plans de contingence pour veiller à ce que les besoins de dépenses prioritaires, y compris dans le domaine de la défense, soient couverts sans compromettre les finances publiques. »
Enfin, afin de soutenir la croissance et la productivité, au-delà de l’approfondissement d’une union bancaire et de l’épargne, permettant de renforcer l’investissement au niveau européen, le FMI propose de déréguler davantage l’accès aux marchés des entreprises et de baisser la charge réglementaire sur les PME. En appui de nouvelles mesures pourraient être envisagées : « nouvelles réformes des prestations sociales afin de renforcer les incitations à travailler » et améliorer la formation des femmes afin de soutenir leurs carrières dans les STIM (Sciences, technologiques, ingénierie et mathématiques).
Un regard sur l’Italie, présentant un tout autre visage
Le FMI a rendu peu de temps après les premières lignes de ses conclusions s’agissant de notre voisine l’Italie, le 29 mai dernier[5]. Et les difficultés de l’Italie sont bien différentes que la France malgré un endettement notoirement plus élevé.
La mission relève que « les résultats budgétaires [sont meilleurs] que prévu en 2024 » et ont permis « un retour à un excédent primaire » dès l’année dernière. Pour la 2e année consécutive, l’activité économique a progressé de 0,7% en 2024 et par « une contribution positive des exportations nettes. » La balance des comptes courants s’étant renforcée pour atteindre un excédent de 1% du PIB.
Le FMI note que le maintien d’une discipline budgétaire rigoureuse « conjuguée à des réformes favorisant la croissance » devrait contribuer à renforcer la résilience des finances publiques italiennes. Les résultats budgétaires 2024 italiens se sont soldés par un solde budgétaire meilleur qu’escompté (-3,4 point de PIB). Le FMI note que « globalement le déficit a été divisé par deux, le solde primaire est devenu excédentaire et les autorités envisagent une nouvelle réduction progressive du déficit. Les services du FMI recommandent de poursuivre sur cette lancée et d’atteindre un excédent primaire de 3% du PIB d’ici 2027 afin de réduire résolument le ratio d’endettement ».
Il relève toutefois que pour parvenir à cet objectif, l’Italie devrait consentir des efforts supplémentaires à court terme par rapport à ceux déjà engagés ou prévus dans les plus budgétaires des pouvoirs publics italiens[6]. Cet effort permettrait cependant un ajustement cumulé plus progressif à moyen terme afin de préserver la croissance et de combattre l’écart de taux d’intérêt-croissance (effet boule de neige) sur la dette publique et prévenir les effets attendus du vieillissement de la population. À cette fin le FMI formule plusieurs propositions :
Poursuite de la lutte contre la fraude fiscale et le civisme fiscal ;
Rationalisation des dépenses fiscales, afin d’élargir les assiettes taxables et simplifier le système fiscal dans son ensemble ;
Suppression du taux forfaitaire préférentiel sur les revenus des travailleurs indépendants
Remplacement des aides à l’embauche par des mesures visant à stimuler la productivité ;
Actualiser les valeurs foncières cadastrales
Mettre en place une compensation pour toutes nouvelles mesures en dépenses (y compris en matière de défense) par des économies budgétaires à due concurrence ;
Enfin le FMI précise que « même en cas de chocs macroéconomiques défavorables, sauf les plus graves », « les efforts d’assainissement budgétaire, combiné à des réformes favorisant la croissance devront se poursuivre ». Le FMI note également que pour contenir les pressions latentes sur les dépenses, les pouvoirs publics italiens devraient « éviter les coûteux dispositifs de retraite anticipée », le relèvement de l’âge de départ à la retraite devant également stimuler l’offre de travail. Enfin bien que le stock de garanties offertes par l’État italien baisse progressivement, le FMI insiste sur le fait que « les prêts garantis par l’État ne devraient pas se substituer aux dépenses budgétaires, car de telles mesures compromettent la discipline budgétaire et faussent l’allocation des ressources. » C’est ici toute la question du pilotage de la dépense par la débudgétisation des interventions « hors bilan » (aux moyens de l’accord de garanties) dont il s’agit.
Conclusion :
Partant avec un endettement beaucoup plus fort, l’Italie est de longue date contrainte à maîtriser ses finances publiques afin de présenter un excédent primaire qu’elle doit accroître pour dépasser le solde stabilisant lui permettant de se désendetter. Elle dispose cependant de plus de leviers que la France, notamment parce qu’elle ne dispose pas d’un civisme fiscal comparable (ce qui lui laisse encore des marges de progression), et que malgré une croissance plus faible que la nôtre elle affiche un excédent commercial extérieur contrairement à la France, grâce à la robustesse de son tissu industriel.
La France au contraire voit ses choix budgétaires se restreindre comme peau de chagrin. L’objectif n’est pas comme l’Italie de parvenir à dégager un excédent primaire de 3% à horizon 2027, mais d’atteindre un solde stabilisant sa dette en 2027. Les canaux envisagés par tenir sa trajectoire budgétaire se réduisent à deux :
En matière fiscale, à part gratter sur les niches fiscales et sociales, et améliorer la lutte contre la fraude – aucune augmentation d’impôt n’est possible sans baisse de la consommation des ménages ou défiance des entreprises ;
- En matière de dépenses, il s’agit d’impliquer enfin les collectivités territoriales et la sécurité sociale dans la baisse des dépenses, avec une attention prioritaire à la réduction des doublons, à la simplification des compétences et des circuits de financement, à la réduction de la charge administrative. Sur le volet proprement social, l’accent est mis sur la poursuite de la réforme des prestations chômage et des minima sociaux afin de développer la population au travail, tout comme la poursuite de la réforme des retraites non seulement paramétrique mais aussi aboutissant à une « simplification des régimes [7] ».
On serait tenté de dire que toute la feuille de route du Gouvernement Bayrou est là. Il semble aux vues des annonces récentes qu’il tente de s’y conformer religieusement…
[1] https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2025/04/22/world-economic-outlook-april-2025
[2] https://www.imf.org/fr/News/Articles/2025/05/22/CS-France-2025
[3] D’où la mise en place d’un groupe d’expert, qui a rendu ses conclusions sur les problèmes de modélisation fiscales et plus largement de prévisions des finances publiques en mars 2025, https://www.economie.gouv.fr/files/files/2025/recommandations_comite_scientifique_previsions_finances_publiques.pdf
[4] Cette politique a été initiée par le Ministre de l’Economie et la Ministre des comptes publics lors de la Conférence financière des territoires, le 7 mai 2025 https://www.info.gouv.fr/actualite/collectivites-une-conference-sur-le-financement-des-territoires
[5] https://www.imf.org/en/News/Articles/2025/05/28/05282025-mcs-italy-staff-concluding-statement-of-the-2025-article-iv-mission
[6] https://www.ifrap.org/europe-et-international/les-14-mesures-qui-ont-permis-litalie-de-redresser-ses-comptes-publics
[7] Transformation du CAS pensions de la FPE en caisse ? Suppression des régimes spéciaux ? Dose de capitalisation ? https://www.lopinion.fr/economie/retraites-pourquoi-il-est-urgent-dintroduire-une-dose-de-capitalisation-par-sophie-le-goff-et-thomas-rocafull