Actualité

Pour une fusion du PLF et du PLFSS

La loi de finances de l'Etat et la loi de financement de la Sécurité sociale devraient être un seul et même texte

Le marathon budgétaire actuel et son âpreté s’explique par le tournant « parlementariste » de la lecture actuelle de la Vème République et par la volonté du Gouvernement Lecornu de ne pas faire usage de l’article 49.3 de la Constitution, donc de ne pas « picorer dans les versions successives du texte » comme l’évoque le Doyen Guillaume Drago, au risque de la motion de censure. D’où la perspective toujours non nulle d’en passer pour le PLF par une loi spéciale en 2026 comme en 2025 (avec dans la foulée en 2026 l’adoption d’une loi de finances en bonne et due forme), tandis que le chemin pour l’adoption du PLFSS semble davantage balisé grâce à l’adoption in extremis de sa partie recette par l’Assemblée nationale en seconde lecture. Pour faciliter les débats, Yaël Braun-Pivet Présidente de l’Assemblée nationale évoque la nécessité d’une réforme de son règlement, notamment s’agissant de l’organisation de la procédure budgétaire afin de discuter des recettes et des dépenses de façon concomitante, ainsi que l’assouplissement des règles pour faciliter la procédure de législation en commission. Il nous semble que le mal soit plus profond. En effet, la bipartition entre le PLF et le PLFSS, dont le second ne présente que des crédits évaluatifs, déporte le poids des finances publiques au profits de dépenses en dehors de toute autorisation budgétaire. Pire, le consentement de l’impôt n’est valable que pour les recettes fiscales directement administrées par l’Etat, mais pas pour les cotisations et contributions sociales, qui lui échappent largement. Ce manque de maîtrise impose que l’on fusionne PLF et PLFSS, quitte à ce que ses parties ne soient examinées alternativement par l’Assemblée et le Sénat pour raccourcir la procédure. 

Une non-adoption du PLFSS presque insensible du côté des recettes et dépenses sociales en 2026

Comme l’évoque le SGG (secrétariat général du Gouvernement[1]), « la nécessité d’adopter un PLF est claire puisqu’elle est la traduction du principe constitutionnel de consentement à l’impôt consacré par les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». L’ensemble des autorisations accordées à cette occasion étant « indispensables au fonctionnement de l’Etat et au financement des services publics ». 

Or il n’en va pas de même pour le PLFSS. Ainsi le SGG note que « le Constituant s’était d’ailleurs posé cette question en 1996, lors de la révision constitutionnelle qui a introduit les lois de financement de la sécurité sociale dans la constitution ». En particulier, ils évoquent dans leurs travaux préparatoires que « le risque de vide juridique ou financier au premier janvier ne se pose pas car même si la loi de financement n’était pas promulguée à cette date, les cotisations continueraient d’être prélevées et les prestations d’être servies aux assurés sociaux ». Et d’ajouter : « C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les parlementaires n’ont pas souhaité introduire, à l’article 47-1 de la Constitution, la disposition qui existe pour les lois de finances et qui permet, en cas de carence du Gouvernement, de demander d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et d’ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés ». Bref, il n’y a pas d’autorisation annuelle au prélèvement des cotisations et contributions sociales, celles-ci ont été accordées indéfiniment pour le financement de la sécurité sociale depuis la réforme de 1996. Le consentement ayant été donné une fois pour toute.

La seule disposition des lois de financement de la sécurité sociale indispensable à la continuité de la Nation étant la nécessité d’adopter avant le 31 décembre de l’année d’examen la disposition « autorisant l’URSSAF Caisse nationale (ex-ACOSS) à emprunter sur les marchés ». C’est d’ailleurs pourquoi en vertu de cette disposition spécifique, les plafonds d’emprunt de quatre régimes et organismes de sécurité sociale[2] ont été habilités à augmenter leur plafond d’emprunt (recourir à des ressources non permanente) dans le cadre de la loi spéciale du 20 décembre 2024[3].

C’est d’ailleurs pourquoi la nécessité d’adopter un PLFSS (éventuellement par ordonnances en vertu des articles 47 et 47-1 de la Constitution) a été reconnu par le juge constitutionnel comme nécessaire à la continuité de la vie de la Nation (CC, 29 juillet 2005, n°2005-519 DC §18).

Une note spécifique diffusée par la DSS (direction de la sécurité sociale) en décembre 2025 à l’attention du Premier ministre, alors que les discussions du PLFSS en seconde lecture à l’Assemblée nationale laissaient craindre l’enlisement[4], livre des éléments encoure plus circonstanciés :

  • Tout d’abord les prestations et les cotisations sociales restent dues indépendamment de l’adoption d’une loi de financement ;

  • En outre, « la loi prévoyant l’indexation sur l’inflation des prestations en espèces au 1er janvier ou au 1er avril, [celles-ci] progressent mécaniquement en l’absence de disposition contraire adoptée en loi de financement ». Leur montant est considérable, près de 700 Md€ dont 300 Md€ de prestations retraites, 32 Md€ de prestations familiales et 115 Md€ de soins de ville.

  • Il en va différemment s’agissant des dépenses autres que les prestations, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’un traitement spécifique en 2025 dans l’attente de l’adoption d’une loi de financement de la sécurité sociale en bonne et due forme.

  • Mais aussi des compensations de l’Etat versées à la Sécurité sociale qui seraient liquidées en cas de loi spéciale par 1/12ème en régime de services votés (soit les niveaux de l’année précédente). 

Sur ces deux derniers points, la DSS indique que « si le PLFSS n’est pas adopté, le même cadre de gestion que celui qui a prévalu au cours des deux premiers mois de l’année 2025 pourrait être reconduit ». 

  • Cela se traduirait par un traitement spécifique s’agissant des versements de l’assurance-maladie aux établissements de santé (112 Md€) rémunérés par des tarifs (55 %) et par des dotations (45 %). Les tarifs hospitaliers étant maintenus à leur niveau de l’année précédente, les dotations reconduites par 1/12ème dans la limite de leur part reconductible (hors mesures nouvelles) ; idem pour les dotations (34 Md€) au secteur médico-social (EHPAD et établissements pour personnes en situation de handicap), ainsi que les crédits du FIR (fonds d’intervention régional) (5,5 Md€) et les dotations aux opérateurs (3,3 Md€). Par ailleurs, les COG des organismes de sécurité sociale régissant leurs dépenses de gestion (14 Md€) ne seraient pas remis en cause, mais des limitations des dépenses discrétionnaires d’investissement ou de communication seraient prises

On assisterait également à une aggravation de la dette de l’Etat envers la sécurité sociale « au titre des prestations versées par celle-ci pour son compte » ainsi que des exonérations compensées par crédits budgétaires.

Aboutissant malgré tout sur le plan financier à une dégradation des comptes sociaux

En effet si le PLFSS n’est pas adopté dans les temps et que l’adoption rapide d’une ordonnance n’est pas possible, les mesures d’économies prévues pour tenir l’ONDAM ou maximiser certaines recettes ne pourraient pas entrer en vigueur puisqu’aucune mesure nouvelle ou discrétionnaire ne pourrait être prise. Ainsi, « le besoin d’emprunt de l’ACOSS serait singulièrement accru sous l’effet de l’absence de la quasi-totalité des mesures d’économies ». En outre, s’ajouterait « la perte de 1,6 Md€ résultant de l’absence de la clause de sauvegarde (…) pour les produits de santé ». Dans l’attente, les besoins de financement à court terme et les plafonds d’endettement seraient relevés

Pour 2026, la DSS chiffre un déficit prévisionnel de la sécurité sociale sans adoption à près de 30 Md€, soit le déficit à politique inchangée de la CCSS (commission des comptes de la sécurité sociale) publié en octobre 2025 pour 2026 de 28,7 Md€ (dérive spontanée des comptes) auquel s’ajouterait précisément la perte de 1,6 Md€ de recettes liée au non-déclenchement de la clause de sauvegarde par la non-adoption de l’ONDAM 2026. Ces dégradations seraient néanmoins tempérées par des mesures réglementaires de l’ordre de 5 Md€ tandis que faute de base légale près de 3,5 Md€ sous la forme de gel ou de sous-revalorisation de prestations.

Rééquilibrer l’examen démocratique des finances publiques suppose d’envisager une fusion PLF-PLFSS au sein d’un PL2F2S

La semi-automaticité des dépenses de prestations permises par la LOLFSS comme celle du prélèvement des cotisations/contributions pourraient laisser à penser que la non-adoption d’un PLFSS auraient des conséquences faibles sur l’équilibre des comptes publics. A partir de la note de la DSS, nous avons mis en exergue le fait qu’au contraire, cela fragiliserait les comptes sociaux à raison d’une part de l’absence de mesures d’économies non réglementaires (dont la fixation de l’ONDAM et de l’absence de l’abondement de la clause de sauvegarde), mais aussi de l’insuffisance des ITAF (impôts et taxes affectées) accordées par l’Etat et de ses dotations (bref de l’ensemble des mesures compensatoires). Enfin, des risques financiers liés aux dépassements des plafonds d’endettement même prolongés par loi spéciale de finances, au point que l’ACOSS d’après la DSS « sur le plan juridique (…) serait, en l’absence de LFI et de LFSS, autorisée à emprunter sans limite de plafond par la loi spéciale ». Ce qui constituerait une fuite en avant inédite, tout comme l’autorisation in fine en 2025 qui lui a été accordée de se refinancer à maturité de plus d’un an du moment que la maturité moyenne de la dette globale gérée soit toujours inférieure à cette limite. 

Au vrai, ce qui doit interroger également est désormais le complet déplacement du barycentre des finances publiques au bénéfice des finances sociales, sur lesquelles en définitive, le Parlement détient un contrôle limité et dont les crédits évaluatifs, couplés aux revalorisations automatiques des prestations, en font un véhicule qui échappe largement non seulement au consentement des dépenses publiques, mais également au consentement de l’impôt s’agissant des cotisations et contributions sociales. Donc à l’autorisation annuelle parlementaire. Il s’agit d’un angle mort majeur qui mériterait d’être adressé dans le cadre d’une réforme de la LOLFSS et de la procédure budgétaire au Parlement, ne serait-ce que pour respecter la règle des dépenses nettes primaires[5] désormais portée par la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance européen sur sa composante des dépenses de sécurité sociale. 

Nous proposons à cette fin de fusionner les lois de finances et de financement de la sécurité sociale (PL2F2S) en un texte unique (loi financière unique) tripartite qui serait examiné conjointement par la commission des finances et des affaires sociales de chaque assemblée, simultanément au sein des deux assemblées, chacune d’elle examinant alternativement les parties discutées par l’autre. Cette proposition de réforme n’a rien d’incongrue puisqu’elle a déjà été adoptée par trois pays européens (voir encadré).

Pays-Bas, Suède et Finlande disposent d’une loi financière unique

Les Pays-Bas : selon une source comparée, aux Pays-Bas « la loi de finances n’est pas limitée au seul budget de l’État, mais couvre également les dépenses de sécurité sociale. Le budget du ministère des affaires sociales couvre toutes les prestations de sécurité sociale » ; dans cette configuration, deux des trois chapitres de la loi concernent la sécurité sociale — ce qui signifie que le budget social est intégré au budget général[6].  

La Finlande : un rapport sénatorial évoque la Finlande comme un pays où « il n’existe pas de budget social à part entière » — les ressources et charges de la sécurité sociale étant « pour l’essentiel intégrées à la loi de finances générale votée annuellement par le Parlement[7] ». 

La Suède : dans un rapport de la Cour des comptes datant de 2020[8], la Suède est mentionnée comme pays où la loi de finances « couvre toutes les prestations sociales (prestations de santé et de retraite garantie versées par les organismes) ». 

Une loi annuelle unique de finances et de financement (PLFFSS) suppose de fusionner les catégories actuelles de lois tout en conservant la logique de spécialité de l’État et la logique d’équilibre des régimes de sécurité sociale, ce qui impose une révision ciblée de la Constitution (article 34, 39, 47, 47‑1), une refonte de la LOLF et de la loi organique relative aux LFSS, ainsi qu’un redécoupage des compétences et procédures des commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées. L’objectif procédural réaliste est de parvenir à un texte en trois parties, déposé à l’automne, examiné par les deux commissions permanentes, avec un calendrier resserré unique et une faculté accrue de navette conjointe et de recours à des textes de commission pour accélérer l’examen.

Principales évolutions constitutionnelles

Il faudrait d’abord modifier l’article 34[9] pour faire disparaître la catégorie autonome des lois de financement de la sécurité sociale et la remplacer par une loi de finances couvrant l’ensemble du périmètre des administrations publiques, en distinguant explicitement, à l’intérieur de cette loi, la partie État et la partie sécurité sociale (et, éventuellement, les ODAC). La Constitution pourrait préciser que cette loi autorise la perception des ressources publiques de l’État et des régimes obligatoires de base et approuve leurs objectifs de dépenses et trajectoires d’équilibre, consolidant ainsi la dimension « loi de financement » dans une loi unique.

Les articles 47 et 47‑1 devraient être fusionnés en un seul article de procédure budgétaire définissant : un monopole gouvernemental de dépôt, un délai maximal global d’examen (par exemple 70 jours) et la possibilité, à l’issue de ce délai, pour le Gouvernement de mettre en œuvre tout ou partie des dispositions par ordonnance en cas de carence parlementaire. L’article 39 pourrait être complété pour renvoyer explicitement le projet de loi unique aux commissions des finances et des affaires sociales de la première assemblée saisie, les deux étant compétentes au fond sur les parties respectives du PLFFSS et co-saisies pour la troisième partie consolidée. 

Adaptations organiques LOLF / LOFSS

La LOLF devrait être transformée en loi organique relative à la loi de finances et de financement de la sécurité sociale, intégrant la loi organique de 2021 sur la modernisation des finances publiques et absorbant la loi organique relative aux LFSS aujourd’hui distinctes. Il conviendrait de redéfinir la structure de la loi en trois parties :

  • Partie I : dispositions relatives aux ressources, à l’équilibre et aux plafonds d’emplois de l’État et des opérateurs.

  • Partie II : dispositions relatives aux ressources affectées, objectifs de dépenses et équilibre des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement (actuelle logique LOFSS).

  • Partie III : dispositions consolidées relatives à la trajectoire des finances publiques, normes de dépenses, règles de solde structurel et autorisation de certains engagements de moyen terme (déjà amorcé par la loi organique de 2021).​

Sur le plan organique, il faudrait harmoniser : les règles de recevabilité financière des amendements (aujourd’hui alignées mais non identiques), le champ des irrecevabilités (notamment pour éviter les « cavaliers sociaux » ou budgétaires), et les documents annexés (PAP/RAP de programmes de l’État et documents de cadrage pour branches et objectifs sociaux). Le délai de dépôt unique (par exemple fin septembre) et l’encadrement organique des délais internes (dépôt, rapport, vote de première partie, vote de l’ensemble) permettraient de substituer un calendrier intégré à la séquence actuelle PLF puis PLFSS.

Règlements des assemblées et rôle des commissions

Les règlements des deux assemblées devraient organiser un double renvoi systématique en commission : la première partie serait renvoyée à la commission des finances, la deuxième à la commission des affaires sociales et la troisième ferait l’objet d’un renvoi conjoint, avec un rapport commun ou coordonné. Il faudrait formaliser la pratique déjà existante de saisines pour avis croisés (finances sur PLFSS, affaires sociales sur PLF) en la transformant en co-saisine au fond sur la troisième partie, avec des rapporteurs généraux « État » et « sécurité sociale » et, éventuellement, un rapporteur général unique pour la trajectoire consolidée.

Les règlements devraient aussi :

  • Autoriser la présentation en séance d’un texte de commission pour chacune des trois parties, afin de limiter le temps en séance aux articles stratégiques et aux grandes missions ou branches, dans l’esprit des réformes de 2021 sur le temps législatif programmé, assorties d’exceptions ciblées.

  • Permettre un découpage ordonné de la discussion : première partie (ressources/équilibre État), deuxième partie (sécurité sociale), troisième partie (trajectoire consolidée), avec des temps de parole coordonnés par la Conférence des présidents et des procédures communes de seconde délibération éventuelle.

Accélération de la procédure parlementaire

Le nouveau calendrier constitutionnel et organique pourrait prévoir : dépôt du PLFFSS au plus tard le dernier lundi de septembre, délai de 30 jours pour la première chambre, 20 jours pour la seconde, puis 20 jours pour la navette et la CMP, soit 70 jours au total. L’alignement des délais aujourd’hui distincts pour le PLF (article 47) et le PLFSS (article 47‑1) éviterait la superposition des débats à l’automne et encouragerait une vision consolidée des arbitrages budgétaires et sociaux, que plusieurs analyses de la LOLF appellent de leurs vœux.

La loi organique pourrait enfin autoriser, dans certaines conditions, un recours renforcé au vote bloqué sur chacune des trois parties ou sur la troisième partie consolidée, tout en garantissant un examen minimal des grandes missions budgétaires et des objectifs de dépenses des branches. En parallèle, la programmation pluriannuelle (déjà intégrée à la LOLF depuis 2021) serait articulée explicitement avec la troisième partie du PLFFSS, afin que la loi unique joue pleinement le rôle de traduction annuelle de la trajectoire de finances publiques pour l’ensemble du périmètre État–sécurité sociale.

Eléments comparatifs décisifs pour accélérer la procédure d’examen

En Italie, le « cadre d’équilibre » (soldes et objectifs de finances publiques) est fixé et voté plusieurs mois avant la loi de finances dans des documents programmatiques successifs, de sorte que la discussion budgétaire d’automne ne remet plus en cause les grands équilibres approuvés par les deux chambres[10]. En Allemagne, la rationalisation de la procédure passe surtout par la centralité du Haushaltsausschuss (commission du budget), où se concentre l’essentiel du travail d’amendement, ce qui conduit à un passage en séance publique très encadré, essentiellement consacré à des arbitrages politiques de second niveau. 

I. Italie : vote anticipé du cadre d’équilibre

Le dispositif italien repose sur un séquençage constitutionnel et organique qui dissocie clairement, dans le temps, les décisions sur les soldes et les décisions sur le détail des mesures budgétaires. Chaque année, le gouvernement présente au printemps un document de programmation économique et financière (aujourd’hui décliné dans le cadre européen du Semestre), puis, à l’automne, un document actualisé fixant les objectifs de déficit, de dette et de solde structurel ; ces textes sont adoptés par un vote solennel des deux chambres et forment un mandat contraignant pour la loi de finances.

Constitutionnellement, l’Italie a introduit la « règle d’or » budgétaire dans sa Constitution au début des années 2010, en inscrivant l’objectif d’équilibre ou de quasi‑équilibre des comptes publics et en prévoyant une loi organique d’application encadrant la trajectoire pluriannuelle. La loi de finances (budget) doit ensuite être déposée à la mi‑octobre, dans le respect strict des soldes votés, ce qui limite la portée des amendements parlementaires sur le niveau global du déficit : ceux‑ci se concentrent sur la composition des recettes et des dépenses, sans pouvoir dégrader l’équilibre agréé ex ante.

Sur le plan procédural, cette architecture a plusieurs effets :

  • Le débat politique « de sommet » sur le niveau du déficit et de la dette a lieu au printemps et à l’automne avant le dépôt de la loi de finances, autour de textes programmatiques relativement courts et lisibles.

  • La discussion budgétaire proprement dite devient essentiellement un exercice de mise en œuvre, dans un cadre numéraire intouchable, ce qui réduit les marges de manœuvre pour des coalitions ad hoc et stabilise la trajectoire, même en contexte de fragmentation parlementaire.

Ce mécanisme donne une forte visibilité à la responsabilité des forces politiques lors des votes sur les documents de programmation, tout en évitant que l’équilibre global soit renégocié à chaque amendement lors du budget. Il repose toutefois sur une discipline collective et sur l’acceptation, par les majorités successives, d’une auto‑limitation de leurs pouvoirs lors de l’examen de la loi de finances.

II. Allemagne : centralité du Haushaltsausschuss et filtrage des amendements

En Allemagne fédérale, le Budget fédéral suit formellement la même procédure que les autres lois, avec trois lectures au Bundestag, mais la pratique budgétaire est dominée par le Haushaltsausschuss (commission des finances), qui concentre l’examen détaillé et la quasi‑totalité des modifications de crédits. Le projet de budget est transmis simultanément au Bundestag et au Bundesrat, mais c’est la commission du budget qui, après la première lecture en séance, prend la main sur le texte et élabore, titre par titre, un projet consolidé intégrant les arbitrages entre groupes[11].

La rationalisation des amendements se joue à plusieurs niveaux :

  • Les groupes parlementaires structurent en amont leurs demandes au sein de groupes de travail et les traduisent en propositions d’amendements négociées en commission ; le Haushaltsausschuss dispose d’un statut particulier et travaille en lien étroit avec la Cour des comptes fédérale.

  • La plupart des amendements individuels sont absorbés, retravaillés ou rejetés dans ce cadre, de sorte que le texte qui arrive en deuxième lecture en plénière est déjà très stabilisé ; en séance, le droit d’amendement individuel demeure, mais son usage est encadré politiquement et se limite à des points très ciblés.

La structure même du budget (par ministères et titres très détaillés) et l’existence de contraintes juridiques fortes (Schuldenbremse (frein à l’endettement) intégrée à la Loi fondamentale, lois pluriannuelles, engagements préexistants) limitent les marges d’amendement sur les grands agrégats. La troisième lecture intervient rapidement après la seconde, et la procédure peut être encore abrégée avec l’accord d’une large majorité lorsque seuls des ajustements techniques restent en cause.

Ce modèle conduit à un déplacement du centre de gravité du débat : la conflictualité politique majeure se concentre sur quelques débats en séance (discours généraux, « budget du Chancelier » ou de ministères symboliques), tandis que le reste de la discussion se déroule dans le cadre plus technico‑politique du Haushaltsausschuss. Il en résulte une forte efficacité procédurale, un filtrage des amendements et une grande prévisibilité de la trajectoire budgétaire, tout en préservant formellement le droit d’initiative et d’amendement de chaque député.

Ces deux exemples évoqués plus haut pourraient avoir une déclinaison en France via :

  • Un vote des deux chambres sur les soldes des différentes APU (administrations publiques) dans le cadre du DOFiP (débat d’orientation des finances publiques) qui aurait un caractère impératif (hors recalibrage lié aux variables macroéconomiques lors du dépôt du PL2F2S en septembre dans notre hypothèse) ;

  • Une rationalisation des dépôts des amendements financiers en commission, réservant un droit de tirage sur les contingents à déposer en séance à la discrétion de la conférence des Présidents par exemple dans chaque chambre ;

On pourrait également y adjoindre conjointement à la discussion des soldes des différents niveaux des administrations publiques, l’adoption de la règle de dépenses nettes primaires. Au moins en volume (en cas de modification du niveau d’inflation). En effet, par définition les dépenses d’assurance chômage (stabilisateurs automatiques) en sont exclues, ainsi que le poids du service de la dette (utile en cas de dégradation de la conjoncture). Resterait alors à préciser lors du dépôt du projet de loi de finances unique en septembre les clés de passage entre les soldes et la règle de dépenses adoptés en juillet et leur niveaux en valeur présentés en septembre. 

Conclusion

Le difficile pilotage des finances publiques en France et sa séparation en plusieurs vecteurs a aboutit à ce que le centre de gravité de la dépense publique échappe à la loi de finances en dehors de l’article d’équilibre liminaire. Cette difficulté s’accompagne d’une approbation des recettes de la sécurité sociale qui ne vaut pas consentement de l’impôt. Les crédits évaluatifs échappant également juridiquement au consentement des dépenses. Par ailleurs les difficultés actuelles montrent l’intérêt d’accélérer la procédure de ces deux textes devant les chambres. La mise en place d’une loi de finances unique permettrait de régler en partie ces problèmes si elle était couplée à une décision anticipée s’agissant des soldes d’équilibres des différents niveaux d’administration, et de la règle de dépenses nettes primaires de l’ensemble des administrations publiques. Une rationalisation accrue des discussions parlementaires en commission pour les textes financiers permettrait par ailleurs d’accélérer la navette entre les deux assemblées (70 jours d’examen au maximum) et permettrait de dégager le temps parlementaire nécessaire autorisant la mise en place d’une loi de financement des collectivités territoriales[12] dont la discussion pourrait débuter au Sénat, lorsque le PL2F2S (ou PLFU) débuterait quant à lui à l’Assemblée nationale, permettant d’améliorer encore le suivi à 360° de nos finances publiques nationales.

[1] Note relative au PLF et PLFSS 2025, SGG, août 2024, voir documents attachés. 

[2] ACOSS, CRPF, CANSSM et CNRACL.

[3] Voir le dossier législatif du Projet de loi spéciale prévue à l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/pjl_speciale_article45lolf_2025

[4] Note pour le Premier ministre, Conséquence d’un retard ou d’un défaut d’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, DSS, 4 décembre 2025. Voir documents attachés.

[5] Voir notre note plus précise sur ce mécanisme : https://www.ifrap.org/situation-financiere-de-la-france-une-mansuetude-etonnante-de-la-commission-europeenne. Règle qui désormais intègre les dernières évolutions en matière de dépenses militaires de réarmement commun, programme SAFE, voir https://sgae.gouv.fr/sites/SGAE/accueil/a-propos-du-sgae/archives/connaissez-vous-linstrument-safe.html pour un effort qui sera extourné de la norme européenne de 16,2 Md€ https://www.forcesoperations.com/leurope-propose-une-ligne-de-credit-de-16-mde-pour-soutenir-leffort-de-defense-francais/ 

[6] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/277214.pdf ainsi que HCFPS (2014), Analyse comparée des modes de financement de la sécurité sociale en Europehttps://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/HCFIPS/2014/RAPPORT/HCFIPS-2014-RAPPORT--ANALYSE_COMPAREE_DES_MODES_DE_FINANCEMENT_DE_LA_PROTECTION_SOCIALE_EN_EUROPE.pdf

[7] Voir, Sénat (2006), Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, https://www.senat.fr/rap/r06-041/r06-0411.pdf

[8] Cour des comptes, Finances publiques : pour une réforme du cadre de la loi organique et de la gouvernance (novembre 2020). https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/277214.pdf

[9] Fusionner les dispositions relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale : « Les lois de finances et de financement de la sécurité sociale déterminent les ressources et les charges de l'État et des régimes obligatoires de base de sécurité sociale dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique unique. »

[10] Luigi Gianniti, De Bayrou à Lecornu : réflexions italiennes sur le système politique français, Télos, 29 octobre 2025 https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/de-bayrou-a-lecornu-reflexions-italiennes-sur-le-s.html

[11]https://www.bundestag.de/en/parliament/function/legislation/17budgact-245884 ainsi que https://www.bundestag.de/en/parliament/function/legislation/18budgcomm-245886 

[12] https://droit.cairn.info/revue-revue-francaise-de-finances-publiques-2016-2-page-135?lang=fr, mais aussi plus récemment, à l’initiative du Sénat, proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements, 9 août 2022, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N46133 

Note de la Direction de la sécurité sociale
Note relative au PLF et PLFSS pour 2025