Actualité

La procédure financière du gouvernement ne respecte pas la légalité

Le printemps et le début d’été sont des périodes généralement propices au foisonnement des textes à portée financière pour le Gouvernement. Pour autant, en cette année électorale, rien ne s’est déroulé comme prévu : la France qui assurait la présidence française de l’Union (1er janvier-30 juin 2022) a demandé et obtenu de surseoir à son obligation de dépôt en avril de concert avec la publication de son programme national de réforme (PNR). Le texte sera finalement présenté d’après l’agenda officiel de la nouvelle assemblée nationale, le 27 juillet. Par ailleurs le projet de loi de règlement sera examiné quant à lui le 13 juillet à l’Assemblée nationale (et le lendemain au Sénat), enfin le débat d’orientation des finances publiques 2023 serait examiné au-delà du 27 juillet probablement en août, la session extraordinaire projetée par le Gouvernement, devant s’achever probablement autour du 15 août. Ce processus atypique de publication et d’examen des textes financiers parfois en violation de dispositions organiques ne peut s’appuyer uniquement sur l’urgence et la difficulté de la situation économique et financière. Il semble qu’il s’agisse d’un dysfonctionnement institutionnel « politique » que l’on espère totalement ponctuel. En effet la suspension du calendrier habituel a interféré avec la campagne présidentielle, empêchant toute actualisation de la trajectoire financière (avant les dernières publications de la banque de France) et empêché tout bilan de l’exécution 2021 durant la campagne présidentielle.

Des retards dans la production des projets de textes à la limite de la légalité

Traditionnellement on trouve en avril le programme de stabilité (Pstab), puis le projet de loi relatif au règlement du budget et à l’approbation des comptes de l’année n-1 déposé en avril sur le bureau de l’Assemblée nationale avant discussion mi-mai dans le cadre du Printemps de l’évaluation, pour une promulgation en juin voire début août (en fonction du nombre de lectures), enfin un débat d’orientation des finances publiques (DOFiP) pour l’année suivante (n+1) intervenant à la mi-juillet de l’année en cours.  

 

Programme de stabilité 2022-2027, date butoir 30 avril, dépassée

S’agissant de la production du programme de stabilité, celui-ci est requis par l’article 103 du traité institution la communauté européenne et le règlement (CE) n°1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques publiques. Initialement, les Etats devaient « présenter leurs programmes de stabilité à la Commission européenne au mois de décembre de chaque année[1] » jusqu’en 2010, désormais en l’état actuel des textes (via le règlement dit « six pack » de 2011 », les pays de la zone euro doivent transmettre chaque année à la Commission européenne avant le 30 avril le programme de stabilité « présentant les perspectives d’évolution de leurs finances publiques.[2] » Ce moment budgétaire est d’autant plus important que c’est sur cette base que la commission européenne rend ses évaluations rendues publiques au cours du mois de mai, puis que suivent les recommandations du Conseil Ecofin en juin, afin de « demander une modification du programme de stabilité si celui-ci s’écarte des règles européennes. [3]» Pour la première fois (puisque même la crise du Covid en 2020 n’était pas parvenue à l’infléchir) la France a décidé de ne pas rendre de Pstab 2022-2027 en avril pour en reporter la présentation après l’élection présidentielle[4], dans la mesure où « il y a[urait eu] collision entre la présentation du programme de stabilité et les élections » a expliqué Bruno Le Maire dès la fin janvier[5]. Ce qui a eu pour effet de paralyser par exemple le COR (Conseil d’orientation des retraites) afin d’actualiser ses propres trajectoires financières[6].

Ainsi les candidats à la présidentielle puis les programmes des partis lors des législatives ont eu tout loisir de proposer des trajectoires assez difficiles à rapprocher, sans disposer d’un scénario central de référence à jour.  Cet aggiornamento n’est cependant pas sans limite, car il doit désormais tenir compte de la dégradation d’un certain nombre d’indicateurs : poussée de l’inflation (+5,2% selon l’INSEE officiellement), augmentation de la charge financière de l’endettement public (à cause de la remontée des taux d’intérêt de la BCE de 0,25 points en juin, puis de 0,50 points en septembre et impact des OATi et i€, plaçant le service de la dette de l’Etat à près de 55 milliards d’euros pour 2022[7]), diverses mesures relatives au pouvoir d’achat qui vont impacter les finances publiques (dont le projet de loi relatif au pouvoir d’achat, et la loi de finances rectificative associée[8], intégrant l’augmentation de 3,5% du point de fonction publique[9] etc.) ; enfin, la baisse des subventions en provenance de la commission européenne dans le cadre du soutien au plan de relance français (39 milliards promis issus du plan de relance européen, seront baissées de -2,17 milliards d’euros en raison de la bonne tenue de la croissance française en 2021[10] sur l’enveloppe concernée qui était de 15 milliards d’euros d’après les clés de calcul[11]), ce qui devrait avoir un impact sur les recettes non fiscales.

 

Exit le « Printemps de l’évaluation », dépôt du 1er juin du projet de loi de règlement non respecté

Le même traitement a été réservé à l’examen de l’exécution budgétaire pour 2021. Celle-ci aurait dû s’échelonner d’avril à juin, ce qui aurait pu empiéter sur les élections législatives (du 12 au 19 juillet) et le lancement de la XVIème législature (fin juin), même en déclarant la procédure d’urgence (ce qui avait été le cas déjà en 2021 où l’approbation des comptes 2020 n’avait été finalisée que début août).

Un « Printemps » devenu « état de l’évaluation » en période électorale…

La majorité sous la XVème législature et l’impulsion de François de Rugy à lancer une phase consultative Pour une nouvelle Assemblée nationale, les rendez-vous des réformes 2017-2022, sous la forme de Conférence des réformes[13] entre le 20 septembre 2017 et le 20 juin 2018. Ces travaux ont abouti[14] à la mise en place par la commission des finances de l’Assemblée nationale du Printemps de l’Evaluation en 2018 en sus de l’examen et de l’approbation des comptes lors de l’examen de la loi de règlement de l’année n-1. « Le Parlement avait en effet trop pris l’habitude d’examiner le projet de loi de finances dans les moindres détails et de voter sans trop y prêter attention l’arrêt des comptes. » Désormais l’Assemblée nationale déporte l’évaluation des politiques publiques au moment de leur exécution. La commission des affaires sociales a de son côté dupliqué cet exercice en instaurant en 2019 Le printemps social de l’évaluation. A compter de 2019 un rapport spécifique est publié par le Président de la commission des finances faisant la synthèse des évaluations menées. Par ailleurs sur le plan technique depuis octobre 2019[15], les députés se sont dotés de l’outil d’évaluations des amendements Leximpact, un simulateur fiscal d’aide à la décision[16] dont le périmètre et les capacités augmentent chaque année. Le Printemps de l’évaluation se matérialise sous la forme d’une « semaine de l’évaluation » et la formulation de propositions de résolutions. En l’état actuel, le « printemps » de l’évaluation risque de devenir un « été » de l’évaluation et la semaine de contrôle assez théorique étant donné l’embouteillage des textes financiers à venir (Loi de finances rectificative finançant les mesures de « pouvoir d’achat » etc.).

Il aurait cependant été tout à fait possible de respecter les délais de dépôt mais de suspendre la procédure d’examen. En effet en vertu de la LOLF (article 46) il est prévu que «  juin de l’année suivant celle de l’exécution du budget auquel il se rapporte [12]». En vertu de la proximité des élections législatives, cette date n’a pas été respectée. C’est d’autant plus curieux que dans le cadre de larévision de la LOLF opérée de façon trans-partisane par la loi organique du 28 décembre 2021[17], celle-ci a profondément réformé le calendrier budgétaire :la date limite de dépôt du projet de loi de règlement est fixée au 1er. Avancement du débat d’orientation des finances publiques pour l’examiner conjointement avec celui relatif au programme de stabilité de façon fusionnée avec adjonction d’un rapport annuel du gouvernement sur l’évolution de l’économie nationale et sur les orientations des finances publiques (avec un important volet local).

  • Avancée de la date de dépôt des projets de lois de règlement des comptes (désormais appelées relatives aux résultats de gestion et portant approbation des comptes de l’année) non plus au 1er juin mais au 1er mai… pour donner plus de temps à l’évaluation et au contrôle dans le cadre du « printemps de l’évaluation ».

La pratique actuelle pour 2022 s’éloigne donc sensiblement de ses engagements de décembre 2021.

 

Un débat d’orientation des finances publiques 2023 reporté en août… 

On l’a vu plus haut la réforme de la procédure budgétaire devrait amener dès 2023 et pour le DOFiP 2024 à en avancer l’examen en mai. Cependant le débat sur le DOFiP 2023 devrait être expédié en plein mois d’août, alors que nécessairement l’ensemble des éléments disponibles sont d’ores-et-déjà arrêtés par les services de Bercy. A titre illustratif, les documents pour le DOFiP 2022 étaient rendus publics le 30 juin 2021, pour un débat intervenant en juillet[18]. Il n’y a cependant pas en la matière de contrainte juridique calendaire.

La Cour des comptes reste-t-elle la vigie des finances publiques ?

L’ensemble de ces écarts/retard par rapport à la légalité organique voir internationale, pose problème. Mais le plus étonnant est que la Cour des comptes en tant que juridiction financière indépendante, qui affirme se placer « à équidistance » entre les pouvoirs exécutifs et législatifs, bien qu’étant toujours rattachée institutionnellement au pouvoir exécutif (comme l’ensemble des juridictions administratives), suit le tempo imposé par le Gouvernement au lieu du sien propre.

A sa décharge, l’indisponibilité de certains documents lui rendent la tâche plus difficile qu’à l’accoutumée, mais en vertu de son pouvoir d’enquête, elle devrait pouvoir se faire communiquer toutes les pièces nécessaires, même préparatoires afin de fournir les documents dont elle a charge de publication au bénéfice du public et de la Représentation nationale :

  • La Cour publie ainsi traditionnellement en avril son rapport intitulé Le Budget de l’Etat en n-1 (résultats et gestion). C’est ainsi qu’elle a rendu public ce document le 13 avril 2021 pour l’exercice 2020[19] accompagné de ses notes d’exécutions budgétaires (NEB). Elle aurait bien entendu pu réaliser un document analogue dans le cadre de l’exécution et du règlement des comptes 2021 en avril 2022, même en l’absence de projet de loi d’approbation des comptes de la part du gouvernement. Les parlementaires ne s’en saisissant à qu’à l’issue des élections législatives. La Cour apportant par ailleurs une contribution importante à la campagne présidentielle en fournissant des comptes certifiés et à jour du dernier exercice clôt.
  • Ensuite, elle publie également traditionnellement un rapport préalable à l’examen du DOFiP intitulé, situation et perspective des finances publiques pour l’année n+1, qui a été rendu public pour le millésime 2022, le 22 juin 2021[20]. A la décharge de la Cour cependant, pour produire ce document, celle-ci doit disposer a minima du Pstab publié en avril (en l’espèce inexistant), des comptes exécuté de l’année antérieur (disponible via ses propres services) et de l’exécution de l’année en cours (là encore disponible par ses propres moyens).

En tout état de cause il apparaît que la Cour aurait pu produire tout ou partie des documents d’information du Parlement sur les comptes publics exécuté en 2021 et/ou prévisionnels pour 2022 et 2023. Celle-ci aurait également pu s’étonner de l’absence de certains documents gouvernementaux l’empêchant de réaliser à bonne fin et dans les délais ses propres missions. Aucun élément de la sorte n’a été rendu public sur le site de l’institution.

Conclusion

A l’heure où l’on rappelle qu’il existe une lecture « parlementariste » du régime semi-présidentiel de la Vème République, les reports de publication de documents essentiels décidés au plus haut niveau relatifs l’actualisation de la trajectoire de nos finances publiques à la faveur des scrutins nationaux de 2022, maintient le public et la représentation nationale dans une ignorance financière qui nuit au débat démocratique. Mieux, des institutions spécialisées et juridictionnelles (comme la Cour des comptes), suivent le rythme de l’Exécutif et se gardent bien de maintenir leur propre programmation en toute indépendance. Ces défauts peuvent rétroagir sur l’activité propre du Haut Conseil des finances publiques émanation de la Cour des comptes qui reste un organisme de synthèse, à la faveur de sa saisine dans le cadre des collectifs budgétaires (comme celui à venir de juillet). Bref on voudrait rester flou sur la situation de nos finances publiques qu’on ne s’y prendrait pas autrement… quitte à placer l’Etat en délicatesse juridique par rapport à son propre calendrier budgétaire. Heureusement, du côté de la statistique publique (INSEE), les pendules restent à l’heure ; de même que du côté de la Banque de France, même si la première des deux institutions ne s’occupe pas de prévisions au-delà d’un an.


[1]https://www.senat.fr/rap/r04-277/r04-27721.html 

[2] Voir Fipeco, https://fipeco.fr/commentaire/Les%20programmes%20de%20stabilit%C3%A9%20des%20pays%20de%20la%20zone%20euro

[3] Voir, Fr. ADAM, O. FERRAND, R. RIOUX, Finances publiques, Presses de Sciences-Po Dalloz, 4ème édition, 2018 p.391.

[4] https://www.lalettrea.fr/action-publique_executif/2022/03/22/bercy-reporte-apres-la-presidentielle-la-presentation-de-son-programme-de-stabilite,109762326-bre

[5] https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/26/budget-bercy-a-deja-les-yeux-rives-sur-2027_6111118_823448.html

[6] https://www.previssima.fr/actualite/la-presentation-du-rapport-annuel-du-conseil-dorientation-des-retraites-est-reportee.html

[7] https://www.lopinion.fr/economie/dette-la-petite-charge-qui-monte-qui-monte

[8] https://www.lopinion.fr/economie/macron-est-il-en-train-de-cramer-la-caisse

[9] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/le-chiffrage-du-projet-de-loi-pouvoir-dachat-jusqua-262-milliards-deuros-en, avec des conséquences lourdes pour la fonction publique territoriales, +2,3 milliards en année pleine, https://www.lesechos.fr/economie-france/social/pouvoir-dachat-le-point-dindice-des-fonctionnaires-revalorise-de-35-1462568

[10] https://www.contexte.com/actualite/pouvoirs/la-france-perd-217-milliards-deuros-sur-les-39-milliards-quelle-attendait-du-plan-de-relance-europeen_153307.html Via l’actualisation des fonds du FRR (Facilité pour la reprise et la résilience) dans le cadre du programme RePowerUE, 7% de croissance contre 5,8% estimé par les services de la Commission européenne pour 2021. Voir https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/2022_06_30_update_maximum_financial_contribution_rrf_grants.pdf, ainsi que

[11] https://www.contexte.com/actualite/pouvoirs/les-27-commencent-a-reevaluer-les-allocations-du-plan-de-relance-europeen-2_146489.html

[12] https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/l-examen-parlementaire-des-lois-de-finances

[13] https://www2.assemblee-nationale.fr/qui/pour-une-nouvelle-assemblee-nationale-les-rendez-vous-des-reformes-2017-2022

[14] Parallèlement à la publication par le CEC du Rapport, Morel-à-l’huissier, Petit, sur l’évaluation des dispositifs d’évaluation des politiques publiques, 15 mars 2018, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cec/l15b0771_rapport-information ainsi que http://joelgirauddepute.fr/index.php/2019/05/28/printemps-de-levaluation-une-reforme-necessaire-de-la-procedure-budgetaire/

[15] Comme l’indique Richard Ferrand, op. cit : « En 2019 nous nous sommes également dotés d’un outil de simulation et de chiffrage des amendements relatifs au projet de loi de finances. Cet outil a été utilisé par les députés lors des discussions budgétaires de première lecture en octobre. Il permet d’évaluer ex ante l’impact des amendements relatifs à l’impôt sur le revenu, en mesurant les effets pour un foyer fiscal type et en évaluant le coût budgétaire par l’Etat. Le périmètre de l’outil devrait s’élargir d’année en année, afin de couvrir progressivement l’ensemble du projet de loi de finances. Cet outil a été développé avec l’aide du Gouvernement et l’accès aux données fiscales pertinentes. Il permet aux députés de parfaire leur travail législatif, en étant plus précis sur leurs propositions. »

[16] Pascale Tessier, Leximpact, simulateur fiscal et nouvel outil d’aide à la décision, La Gazette des communes, Club finances, 20 février 2020, https://www.lagazettedescommunes.com/664267/leximpact-simulateur-fiscal-et-nouvel-outil-daide-a-la-decision/?abo=1 voir le site du simulateur, https://leximpact.an.fr/

[17] https://www.vie-publique.fr/loi/281020-loi-28-decembre-2021-lolf-modernisation-gestion-des-finances-publiques

[18] https://www.budget.gouv.fr/reperes/finances-publiques/articles/publication-du-rapport-preparatoire-au-debat-dorientation-des

[19] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-budget-de-letat-en-2020-resultats-et-gestion

[20] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-situation-et-les-perspectives-des-finances-publiques-12