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Et si on dépensait moins ?

Et si on dépensait moins ? Voilà une question pour le moins incongrue en ces temps où le «quoi qu’il en coûte » ne semble jamais vraiment terminé. Pourtant, cette question est plus que légitime puisque la France débourse chaque année 262 milliards d’euros de plus en dépenses publiques que les autres pays de la zone euro. Deux cent soixante-deux milliards dont 65 milliards pour les retraites, 29 pour la santé, 22 pour l’éducation, 10 milliards pour la culture…

Cette tribune a été publiée dans les pages du JDD, le 20 mars 2022.

Sauf que, lorsque l’on se compare aux autres pays d’Europe, on constate avec effarement que de ces 262 milliards, 84 milliards sont des dépenses supplémentaires de coûts de production de nos services publics. Il est tellement évident, quand on connaît le gigantisme de ces écarts, que nous pourrions aisément dépenser des milliards en moins d’argent public tout en ayant un haut niveau de services publics.

Et ce d’autant plus que ces 262 milliards de «sur-dépenses », c’est en temps normal, quand la France n’est pas plongée dans le «quoi qu’il en coûte » de la crise. Au total, les dépenses liées à la crise, les réponses d’urgence et le plan de relance ont ajouté à nos dépenses habituelles quelque 161 milliards d’euros entre 2020 et 2021. Un montant qui n’a pas été atteint ailleurs en Europe : les dépenses publiques ont représenté plus de 62 % du PIB en France à l’apogée de la crise sanitaire… contre 59,2 % en Allemagne.

Rien que pour le recours au chômage partiel, le report des droits au chômage et de la réforme de l’assurance chômage, la dépense a été d’environ 45 milliards d’euros sur deux ans … et encore cela ne compte pas les ASA, ces fameuses autorisations spéciales d’absence pour les agents publics pendant et après les confinements que l’on peut estimer autour de 5 milliards d’euros de coût public. Le recours au chômage partiel a été beaucoup moins important chez notre voisin d’outre-Rhin : 0,9 point de PIB contre 1,5 point en France en 2020, soit légèrement moins que la moyenne européenne (1,7 point de PIB, d’après la direction générale du Trésor). 

Bref, nous avons dépensé collectivement une cinquantaine de milliards d’euros rien que pour arrêter le travail dans le pays qui travaille déjà 7 milliards d’heures de moins par an que nos homologues de la zone euro et même 12 milliards d’heures de moins que les Britanniques… Un manque d’heures travaillées qui équivaut à environ 4 millions d’emplois à temps plein. 

Autre victime de la crise et du «quoi qu’il en coûte », les investissements de défense, qui pourraient malheureusement se révéler, à plus ou moins longue échéance, essentiels, ont été largement sous-exécutés pendant la même période. En 2020, 26 milliards d’investissements militaires étaient prévus dont plus de 10 n’ont pas été effectués. Si l’on se place sur une plus longue période, ce sont tout de même 56 milliards d’euros d’investissements de défense qui n’ont pas été réalisés depuis 2009, sur un total de 171 milliards d’euros programmés ! 

Il faut dire que les dépenses d’investissement ont tendance à passer à la trappe : l’État est un mauvais investisseur et, quand il s’y met, les montants annuels sont dérisoires, de l’ordre de 15 milliards, et les collectivités locales, une soixantaine de milliards supplémentaires. Entre 1995 et 2019, la France s’est endettée pour financer ses dépenses de fonctionnement à hauteur de 900 milliards d’euros et pour investir moins de 700 milliards. 

Conséquence, malgré notre montagne de dépenses publiques, la France n’est pas meilleure que ses voisins européens, notre investissement représente tout juste 3,7 % du PIB quand la moyenne européenne est à 3,3 %, et loin derrière certains pays du nord de l’Europe comme la Suède (5 %), la Finlande (4,9 %), la Norvège (6,4 %). Il faudrait, dans le pays qui dépense le plus d’argent public au monde par rapport à sa richesse nationale, non seulement dépenser moins mais surtout dépenser mieux. 

La logique qui veut que les investissements servent de variable d’ajustement pour Bercy ne doit plus être la règle. Plus important encore : l’inscription au plus vite dans notre Constitution d’un frein à l’endettement comme en Suède, en Suisse ou en Allemagne avec le principe simple que notre pays doit se désendetter quand son économie est en croissance. On pourrait alors faire un travail sérieux pour dépenser moins avec un Parlement à la manœuvre pour évaluer l’utilisation de chaque euro d’argent public. Une réalité encore lointaine quand on voit les exemples foisonnants de gaspillages à la française.