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Déclaration immobilière : les tracasseries repoussées d'un mois... pour les bailleurs sociaux

La déclaration immobilière vient de voir sa date limite repoussée pour la 3ème reprise: de fin juin 2023 au 31 juillet 2023 puis jusqu'au 1er aout à 23h59 pour les particuliers suite à des problèmes de connexion du site impôts.gouv, et désormais jusqu'au 10 août 2023. Seule exception, les grands comptes comme les bailleurs sociaux qui bénéficient d'un délai supplémentaire de 1 mois, soit jusqu'au 31 aout 2023.

Il faut dire que les services fiscaux croulent sous les demandes rectificatives et les demandes d’informations en tous genres, au point de les saturer par endroits. La faute sans doute à un service minimum déployé par Bercy et notamment deux tares congénitales : l’absence de déclaration papier (ce qui suppose d’effectuer une déclaration téléphonique en cas d’absence d’outils informatiques) et surtout l’absence de toute instruction fiscale qui aurait pu aller beaucoup plus en profondeur par rapport au support FAQ en ligne. Bref, les services locaux semblent au bord de la crise de nerf. Une situation d'inquisition foncière qui aurait pu aisément être contournée si les services fonciers avaient fiabilisés leurs données (déclaration de travaux, données notariales, cadastre et photos numériques), au lieu de mettre les contribuables... à contribution.

Mise à jour au 31 juillet 2023 :

  • Pour les bailleurs sociaux déclaration repoussée au 31 août 2023 !

Comme nous l’indiquent le 28 juillet Les Echos, les bailleurs sociaux bénéficieront contrairement aux particuliers personnes physiques d’1 mois supplémentaire pour rendre leur déclaration immobilière, alors même qu’1/3 de ces derniers n’avaient toujours pas rendu leur copie 3 jours avant l’échéance soit désormais le lundi 31 juillet 2023.

La mesure de mansuétude qui s’applique aux bailleurs sociaux viendrait d’une difficulté particulière pour renseigner la déclaration pour les « grands comptes ». Il semble que dès le mois d’avril l’absence de décret d’application permettant de baliser les éléments déclaratifs à prendre en compte ait posé problème aux bailleurs sociaux. En effet ces derniers sont tenus d’effectuer la déclaration des occupants des logements qu’ils mettent à disposition et dont ils sont propriétaires. Or « certaines informations demandées par l’administration comme le lieu de naissance du locataire » n’étaient pas collectées par les bailleurs sociaux jusqu’à présent. Or cette information est requise pour remplir le fichier fournis par la DGFiP dans le cadre de la déclaration immobilière, afin de connaître l’identité des locataires éventuels. Il semble que la DGFiP ait accepté de ne pas pousser plus avant ses demandes d’information sur le stock des résidents, mais que « cette information sera recueillie pour les nouveaux entrants » dans le parc social – donc lors des flux futurs -.

Pour y parvenir la DGFiP a donc dû faire évoluer ses modalités de traitement afin de recevoir des informations incomplètes et massives, ce qui a abouti a réorienter une partie des plateaux d’assistance informatique sur la prise en charge des rapports d’anomalie des déclarations… ce qui a par contrecoup empêché l’intégration des données. Parmi les erreurs survenues, 2.000 grands propriétaires auraient reçu par erreur un courriel indiquant que leurs fichiers avaient été pris en compte, alors même que pour les particuliers aucun accusé réception des déclarations n’est prévu par le dispositif actuel.

La nouvelle obligation déclarative a été introduite afin de pallier le manque d’informations désormais acté par l’administration fiscale à cause de la suppression de la TH, mais informations qui demeurent nécessaires à cause de la survie de la THRS (taxe d’habitation sur les résidences secondaires) et la taxe sur les logements vacants (TLV). Si la réforme du gouvernement avait été plus ambitieuse, l’ensemble de ces taxes aurait pu également être supprimé… pour un coût modique : 2,6 milliards d’euros pour la 1ère  (2021) et 115 millions d’euros (TLV) (mais seulement 105 millions en 2022) – soit exactement en montant ce que coûte au contribuable le report par les pouvoirs publics des mesures relatives à l’allègement de la fiscalité sur les successions promises par le Président de la République durant sa campagne de 2022 (des compensations aux collectivités territoriales auraient pu voir le jour au coût historique via des majorations de DGF, ce qui aurait alléger également la fiscalité locale). Quoi qu’il en soit, les difficultés rencontrées absolument pas anticipées par la DGFiP et les traitements inégaux entre personnes physiques et personnes morales, entre grands comptes et petits comptes, montrent qu’il aurait fallu mieux encadrer le processus déclaratif, publier décret d’application et circulaire interprétative au BOFiP et débuter le processus bien plus tôt dans l’année.

De la friture sur la ligne

Comme le relève le journal Les Echos, c’est désormais le syndicat Solidaires Finances publiques, qui vient d’envoyer un courrier[1] « accablant à la direction des finances publiques » sur la situation de la campagne « GMBI » (Gérer mes biens immobiliers). Le syndicat relève en particulier que le report de 30 jours de la campagne déclarative est pour lui insuffisant pour absorber 40% des déclarations manquantes (des difficultés qui n'ont pas été réglées par les précisions très succinctes apportées par le décret du 28 avril 2023).

Il relève de plus que les services téléphoniques du ministère ont été totalement saturés avec près de 94.000 appels au 16 juin pour le seul numéro national (08.09.40.14.01). Les services soulignent en particulier que « beaucoup de personnes âgées ou en situation d’illectronisme, n’arrivent pas à finaliser leurs déclarations »… d’autant que « les nombreuses informations immobilières erronées reprises dans l’applicatif… poussent de nombreux usagers à se rendre aux guichets de l’administration des finances publiques. » La procédure totalement dématérialisée est en cause, alors qu’une déclaration papier était fournie lors de la précédente campagne de 1970, il y a 53 ans… (voir document joint).

L’illectronisme pourtant en baisse en France concerne les personnes âgées souvent propriétaires

D’après l’INSEE qui vient de publier une étude sur le sujet[2], 15,4% des personnes de 15 ans ou plus en France étaient en situation d’illectronisme en 2021, dont 13,9% n’avait pas utilisé internet au cours des 3 derniers mois, tandis que 1,5% « l’ont utilisé mais ne possèdent pas les compétences numériques de base dans au moins quatre domaines sur cinq, parmi la recherche d’information, la communication en ligne, l’utilisation de logiciels la protection de la vie privée et la résolution de problèmes en ligne. »

  

en %

Compétence numérique

Parmi les internautes

Ensemble de la population

Illectronisme

1,7

15,4

Capacités faibles

32,3

27,8

Communication

3,0

16,5

Résolution de problèmes

5,3

18,2

Recherche d'information

11,1

23,4

Utilisation de logiciels

18,0

29,4

Protection de la vie privée

20,5

31,6

Source : INSEE

 Par ailleurs il apparaît dans l’étude que l’illectronisme est particulièrement développé chez les plus de 60 ans qui cumulent près de 24,2% d’incapacités numériques jusqu’à 74 ans et 61,9% au-delà… alors qu’il s’agit des tranches où les propriétaires immobiliers sont les plus importants.

   

en %

Âge

Non-usage d'Internet dans les trois derniers mois

Absence de capacités numériques

Illectronisme

15-24 ans

2,3

0,1

2,4

25-39 ans

3,6

0,7

4,3

40-59 ans

4,7

1,2

5,9

60-74 ans

21,3

2,8

24,2

75 ans ou plus

59,2

2,7

61,9

Ensemble

13,9

1,5

15,4

Lecture : en 2021, 59,2 % des personnes de 75 ans ou plus n’ont pas utilisé Internet dans les trois derniers mois et 2,7 % n'ont pas les compétences numériques de base. Au total, 61,9 % sont en situation d’illectronisme.

En effet comme le montre l’étude de l’INSEE de 2021 France Portrait social[3], les 60 ans et plus représentent 42,6% de l’ensemble des propriétaires, et selon une proportion quasi-voisine d’un seul bien (42,5%) et jusqu’à 20 ou plus (43,9%). Les 60-69 ans en possèdent 24,4% et les 70 ans et plus 18,2%.

en %Ménages propriétaires d’un seul logementMénages multipropriétairesEnsemble des ménages
  23 à 45 à 910 à 1920 ou plusEnsemble 

Moins de 30 ans

4,6

2,1

1,5

1,5

1,7

2,2

1,8

11,0

30-39 ans

15,9

10,7

8,9

8,1

8,4

8,3

9,7

15,5

40-49 ans

19,0

19,6

19,6

19,3

19,3

18,6

19,6

17,7

50-59 ans

17,9

24,6

27,8

29,2

28,3

27,0

26,3

18,0

60-69 ans

18,0

23,3

25,6

26,3

25,7

24,9

24,4

16,7

70 ans ou plus

24,5

19,8

16,6

15,5

16,6

19,0

18,2

21,1

Source : INSEE France portrait social 2021.

Il est quand même curieux qu’en matière foncière, là où les propriétaires sont massivement des personnes âgées et souvent ne disposent pas des compétences informatiques suffisantes pour réaliser leurs déclarations, aucun support papier n’ait été mis à leur disposition. Et ce d’autant qu'aucun mécanisme d’accusé réception n’a été développé pour les informer que les déclarations une fois complétées (même avec assistance téléphonique) étaient bien closes.

Des répercutions potentiellement graves sur la THRS

Le syndicat Solidaires Finances publiques relève que « la mise en place d’un outil informatique non abouti conjuguée à la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (…) pourrait amener nombre de difficultés en fin d’année » En effet, en cas d’absence de dépôt dans le temps (alors même qu’aucun accusé réception n’est prévu !) ou d’erreur dans leur déclaration, les contribuables pourraient voir leur bien ou partie de biens (garage, communs etc.) « soumis à la taxe sur les résidences secondaires », la fameuse THRS qui subsiste. « Il en résulterait une contrainte pour les usagers d’effectuer des réclamations contentieuses pour être rétablis dans leur droit… ».

Il existerait donc un contentieux de masse en suspens en lien avec les inexactitudes des déclarations immobilières (GMBI) préremplies (certains contribuables victimes d’homonymies se voyant par exemple nantis de fonds de commerces qu’ils ne possèdent pas dans des régions où ils n’ont aucune attache), parfois liées à des erreurs de téléversement ou des erreurs cadastrales non rectifiées, des remises à jours incomplètes (cas des biens acquis par décès, l’ouverture de la succession ayant eu lieu après le 1er janvier 2023 ou des biens rénovés mais dont la réception des travaux n’a pas été effectuée avant le 1er janvier etc.).

Conclusion : éviter l’erreur industrielle

Déclaration immobilière de 1970

Le bienfondé de la campagne GMBI est nécessairement en cause (la précédente date de 1970).  Certes elle se déploie à la faveur de la revalorisation prochaine des bases locatives cadastrales des locaux d’habitation devant intervenir en 2026 sur la base des loyers constatés en 2023 qui sont signifiées précisément à la faveur de la présente campagne (GMBI, sur base optionnelle), mais il faut constater que Bercy n’y a pas mis du tout les moyens suffisants.

  • Il serait plus juste de proposer un allongement de la campagne étendue à 2024 ;
  • De prévoir un support papier analogue à celui fournit en 1970 ;
  • De fournir aux déclarants un récépissé numérique, courrier ou au porteur de l’effectivité de leur déclaration (en cas de dépôt auprès des services de proximités, SIP)/ des corrections apportées ;
  • D’industrialiser (avec un véritable contrôle qualité) les services de la publicité foncière afin d’accélérer les délais de publication au fichier immobilier national (donc sa mise à jour) qui se sont envolés passant de 83,9 jours en janvier 2017 à 127,8 jours en janvier 2020 pour ensuite ne redescendre qu’à 122,3 jours en juillet 2022[4], ce qui pèse à la marge sur les informations préremplies des déclarations.
  • De produire une instruction fiscale dédiée afin d’éclairer les difficultés déclaratives les plus complexes (démembrement de parts de SCI, décès, transmissions, situations de fait (squats, biens menaçant ruine ou en cours de rénovation etc.)).

Par ailleurs, la DGFiP aurait pu trouver des moyens techniques pour ne pas impliquer les contribuables eux-mêmes: fiabiliser les données foncières, hypothécaires et cadastrales, recouper les informations à partir des autres déclarations fiscales existantes; utiliser les déclarations de travaux, les remontées notariales et les éléments de publicité foncière ou des données fiscales connexes (taxe de séjour, données des sites de location en ligne, déclarations fiscales etc.). La nécessaire implication des contribuables n'était pas démontrée, contrairement à l'insuffisant croisement des données fiscales disponibles elles-mêmes.

Après le fiasco entourant on s’en souvient la 1ère phase de revalorisation des bases locatives cadastrales des entreprises, la campagne de déclaration des biens immobiliers des particuliers semble bien mal engagée. 


[1] https://solidairesfinancespubliques.org/vie-des-services/particulier/5625-nouvelle-interpellation-du-dg-sur-gmbi.html

[2] INSEE Première, n°1953 du 22/06/2023 https://www.insee.fr/fr/statistiques/7633654

[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432517?sommaire=5435421

[4] https://www.lagazettedescommunes.com/828078/quelles-mesures-pour-reduire-les-delais-denregistrement-des-services-de-la-publicite-fonciere/, cela passe actuellement par la création de SAPF (services d’appuis à la publicité foncière) 18 prévu entre 2021 et 2023 en appui des SPF (services de la publicité foncière).